Intervention de Patrice Joly

Réunion du 21 novembre 2018 à 14h30
Lutte contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Patrice JolyPatrice Joly :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui exige que nous jouions cartes sur table.

Côté face, nous devons prendre en compte certaines réalités, qu’on le veuille ou non : les distributeurs automatiques sont de moins en moins utilisés par nos concitoyens. Confrontés à l’utilisation massive des cartes bancaires, les distributeurs automatiques ne font plus autant recette. Selon le groupement d’intérêt économique des cartes bancaires, il y aurait 68 millions de cartes bancaires en circulation en France en 2017, à l’origine de 564 milliards d’euros de transactions, ce qui souligne l’attractivité de ce mode de paiement pour les Français.

Côté pile, le paiement en espèce ne perd pas pour autant la face !

Selon l’étude de la Banque centrale européenne publiée en novembre 2017, les espèces restent le type de paiement le plus populaire chez les commerçants, qui n’ont, d’ailleurs, pas d’autres choix que de les accepter. Elles représentent 79 % du nombre total des achats réalisés en magasin et 54 % de la valeur de ces paiements.

Bien qu’exprimant une préférence pour les paiements par carte, les Français réalisent deux tiers de leurs transactions en magasin en espèces. Il s’agit principalement d’achats d’un faible montant, ce qui confirme le rôle des espèces, en France, dans le règlement des petits achats du quotidien.

Or, face à la digitalisation du secteur bancaire, avec l’essor des comptes et des services en ligne, l’utilisation des téléphones portables pour effectuer des paiements, les banques sont de plus en plus nombreuses à procéder à la fermeture d’agences et, par conséquent, de distributeurs automatiques, rendant ainsi difficile l’accès aux espèces, moyen de paiement préféré des consommateurs français.

C’est, d’ailleurs, sous l’angle de l’accès aux espèces que cette proposition de loi rédigée par notre collègue Éric Gold aborde la question de la désertification bancaire.

Si l’ensemble du territoire est impacté par ces fermetures successives de distributeurs automatiques, il existe d’importantes inégalités entre le monde rural et les grandes villes. Il y a une surdensification dans les métropoles régionales ou, encore, à Paris. On constate ainsi un déséquilibre de l’offre bancaire, qui touche en priorité les personnes les moins riches, les aînés et le monde rural.

À titre d’exemple, dans la Nièvre, les migrations contribuent à accentuer le vieillissement structurel du département : les seniors sont plus nombreux à s’installer qu’à partir, et inversement pour les jeunes. Ce département, tout comme les autres territoires ruraux, doit faire face à des populations de plus en plus vieillissantes.

Même si ces dernières ne sont pas nécessairement réticentes à l’évolution des modalités de paiement, des habitudes se sont créées, et une part importante de la population a besoin d’espèces.

Les habitants des campagnes, des bourgs et des petites villes ont aujourd’hui accès à un nombre toujours plus faible de distributeurs automatiques de billets. Cela les oblige à parcourir plusieurs kilomètres pour retirer de l’argent. Ils peuvent également se trouver confrontés à l’hostilité des commerçants, qui refusent parfois la carte bancaire pour des raisons économiques liées au coût du matériel et aux commissions prélevées.

Face à cette désertification bancaire, des initiatives existent et ont été renforcées – elles ont été rappelées par de précédents orateurs. Nous avons par exemple ratifié, en juillet dernier, la directive européenne sur les services de paiement, qui concerne le cashback.

Dans les zones rurales, particulièrement, lorsque l’accès aux espèces est de plus en plus compliqué, le commerçant a la possibilité de distribuer manuellement des espèces. Ces opérations permettent, d’une part, de remettre les espèces au cœur de la stratégie des petits commerçants, en tissant du lien social entre les consommateurs et les commerçants, et, d’autre part, de redynamiser le commerce de proximité, ainsi que les centres-villes.

Cependant, le cashback n’est qu’une solution pour lutter contre l’absence de distributeur ; il ne peut combler le manque à lui tout seul.

Les distributeurs automatiques de billets sont indispensables aux petites communes rurales. C’est un service à la population qui participe à la sauvegarde du commerce local, pour lequel tous les élus se mobilisent chaque jour.

Il s’agit là d’un enjeu lié à l’aménagement du territoire, comme on l’évoque régulièrement au sein de cette assemblée. Récemment encore, nous avons adopté à l’unanimité la proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs de nos collègues Martial Bourquin et Rémy Pointereau.

Les Français eux-mêmes sont inquiets de ce déclin des centres-villes. Une enquête réalisée par l’institut CSA, en juin dernier, auprès d’un millier de Français, montre que sept Français sur dix sont préoccupés par cette désertification. Nos cœurs de ville et de bourg meurent ; plus de 700 villes se trouvent en grande difficulté, tout comme plusieurs centaines de bourgs, pôles de centralité.

Le plan gouvernemental « Action cœur de ville », lancé en mars 2018, est une première étape, qui permettra à quelque 200 villes de bénéficier d’une convention de revitalisation de leur centre. Mais le chemin est encore long pour redonner de l’attractivité à nos départements ruraux.

Les maires et, plus largement, les élus locaux peinent à maintenir la présence des services publics, ainsi que des commerces de proximité. Beaucoup vous diront même que conserver un distributeur automatique de billets en milieu rural s’apparente, parfois, à un combat de haute lutte en termes de négociation avec les établissements bancaires.

Cette question soulève – vous l’aurez compris, mes chers collègues – d’autres problématiques, très prégnantes dans nos territoires ruraux.

La ruralité n’est en rien hostile aux évolutions numériques. Bien au contraire, elle réclame des infrastructures, des réseaux pour se connecter au reste de la France et au monde ! Les habitants qui la composent ne sont pas plus exigeants que les autres. Ils ne demandent qu’à avoir un égal accès aux services minimums présents dans les métropoles et les grandes villes !

Pour ces raisons, le groupe socialiste et républicain a accueilli avec beaucoup d’intérêt la proposition de loi de notre collègue Éric Gold.

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