Intervention de Yannick Botrel

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 20 novembre 2018 à 9h20
Projet de loi de finances pour 2019 — Mission « agriculture alimentation forêt et affaires rurales » et compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural » - examen du rapport spécial

Photo de Yannick BotrelYannick Botrel, alimentation, forêt et affaires rurales » et du CAS Développement agricole et rural » :

rapporteur spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du CAS Développement agricole et rural ». - Merci de vos paroles amicales, qui me vont droit au coeur. Je vais compléter ce propos par des considérations sur les crédits de la forêt et la politique de sécurité sanitaire agricole et alimentaire. Avant cela, sur la composante analysée par Alain Houpert, je veux souligner quatre éléments. En premier lieu, la mission que nous examinons pèse moins de 10 % de l'ensemble des concours à l'agriculture qui s'élèveraient à plus de 23 milliards d'euros en 2019. Nous avons peu de visibilité sur la PAC et encore moins de capacité d'inflexion : or, elle représente plus de dix fois les crédits budgétaires agricoles. Il serait bon de réfléchir à des moyens de renforcer l'information des deux commissions des finances du Parlement sur l'exécution budgétaire européenne, puisqu'il existe des vases communicants entre le budget national et la gestion des enveloppes budgétaires européennes.

Deuxième point : la structure des soutiens publics à l'agriculture a considérablement évolué et la part des déductions sociales et fiscales se renforce par rapport à celle des crédits. Cela réduit la pilotabilité des interventions et en atténue les capacités contracycliques. Il faut donc être très vigilant sur les allègements et autres niches sociales, et sur le dispositif TO-DE, d'autant que le remplacement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) par des allègements de cotisation pourrait se traduire par un bilan moins avantageux pour les exploitants, une fois prises en compte les perspectives d'un ressaut de l'imposition des revenus.

Troisième point : le Gouvernement bénéficie des efforts entrepris au cours de la législature précédente pour améliorer la gestion des aides européennes. Le plan Feaga a demandé un travail considérable de mise à jour d'un registre parcellaire graphique qui avait été négligé. L'investissement commence à produire des résultats ; la Commission européenne et la justice européenne paraissent sensibles à l'amélioration de notre infrastructure de paiement. Les exploitants agricoles ont participé à cet effort et il serait assez justifié que les économies pour la France leur reviennent, au moins pour la partie des corrections financières établies sur des constatations réelles.

Enfin, la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques n'intègre en rien le Brexit, qui privera le budget européen de recettes nettes. Il faudra bien se résoudre à renationaliser une part des soutiens européens ! Dans le domaine agricole la loi de programmation n'est pas soutenable, paradoxe au vu de sa justification.

La politique forestière de la France ne décolle pas et la réduction des crédits de paiement pour la forêt en 2019 traduit ce manque d'ambition. L'atonie des années précédentes se prolonge. Il faudra tenir compte aussi de l'impact de la suppression de l'indemnité compensatoire de défrichement dans les cas envisagés aux articles 18 bis et 18 ter du projet de loi de finances, à supposer que ces deux dispositions survivent à leur examen par le Conseil constitutionnel, puisque le produit minime de la taxe correspondante revient au fonds spécial bois pour lequel il représente une certaine ressource quand même. Les crédits baissent à nouveau et les économies réalisées sur les suites de la tempête Klaus, qu'il est hasardeux de considérer comme... closes, ne sont pas mobilisées pour la forêt. Les dépenses d'investissement sont à l'étiage dans le domaine de la lutte contre l'incendie et de l'amélioration des dessertes forestières. Quant à la subvention destinée à l'Office national des forêts (ONF), son niveau est maintenu mais il serait logique de l'augmenter ! Car l'ONF a deux missions distinctes, l'une d'intérêt général, l'autre de valorisation de la ressource en bois et forêt. Un conventionnement est intervenu entre l'ONF, l'État et les communes forestières. En échange d'objectifs de collecte et d'investissement, les relations financières ont été stabilisées. J'ai régulièrement indiqué que l'effort de collecte demandé à l'ONF ne semblait pas cohérent avec les objectifs de la stratégie française de transition énergétique et de bioéconomie. Le contrat d'objectifs et de performances (COP) repose sur une modification de la composition du personnel de l'ONF - davantage de contrats de droit privé et moins de fonctionnaires. Tous ces équilibres posent problème. Si l'on ajoute que la forêt française est en mauvaise santé et que sa composition mériterait d'être mieux pensée, nous sommes face à des difficultés importantes, récurrentes. Nous attendons la présentation du nouveau projet stratégique pour la forêt et le bois. Il faudra l'examiner avec soin et le chiffrer. En attendant, la situation financière de l'ONF n'est pas bonne. Malgré un prix du bois relativement élevé, le chiffre d'affaires plafonne, l'établissement ne parvenant pas à écouler toute sa récolte. Il est endetté à hauteur de 340 millions d'euros pour un chiffre d'affaires très inférieur. L'ONF n'est pas le seul acteur de la forêt à souffrir : de nombreuses scieries sont en situation délicate et beaucoup de notre capacité de transformation a disparu ces dernières années.

Les crédits de sécurité sanitaire des aliments sont à peu près stabilisés, une fois prise en compte la réduction des dépenses liées au contentieux des vétérinaires sanitaires, qui a été piloté à vue ces dernières années. Seules deux modifications sont notables. Le budget prévoit 40 emplois nouveaux pour le rétablissement d'un contrôle sanitaire aux frontières après le Brexit. L'ampleur des besoins n'est pas facile à évaluer, elle dépendra des effets de détournement du trafic, mais il manquerait 40 emplois. La seconde évolution c'est le renforcement de la dotation à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et de travail (Anses). Est-ce pour espérer récupérer une partie des autorisations de mise sur le marché des produits vétérinaires ? Le Royaume-Uni en assurait 40 %. Selon les données de la comptabilité analytique de l'agence, pourtant, ces activités sont lourdement déficitaires pour elle. Elles exercent donc un effet d'éviction sur le financement de la recherche et des analyses. Au demeurant, il est inquiétant que se soit constitué une sorte de marché de la police sanitaire, avec une concurrence féroce entre les agences nationales des États membres pour récupérer les marchés. Cela pose problème à l'heure où nos compatriotes sont très sensibles aux questions de nocivité de certains produits. Pour le reste, en dépit des carences de notre infrastructure de maîtrise du risque sanitaire, rien de nouveau. Les états généraux de l'alimentation avaient été l'occasion d'annoncer des objectifs très généraux, mais aussi très ambitieux. Le budget ne les traduit pas. CAP 2022 a repris nos observations sur la sécurité sanitaire des aliments et pointé les carences. En vain. Enfin, alors même que l'on réaffirme des ambitions pour le bio, les objectifs du plan Ecophyto 2 ne sont pas plus atteints que ceux du premier plan. Tout ceci est déconcertant, car on connaît la gravité des risques induits par les déficiences. Il faut une réorganisation structurelle : intégration des différents services ministériels, plus grande cohérence des financements, gouvernance plus ouverte et sans conflits d'intérêts. Je rappelle notre rapport rédigé il y a trois ans...

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