Nous accueillons le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques M. Laurent Duplomb. Et je me réjouis du retour de notre collègue Yannick Botrel, co-rapporteur spécial des crédits de l'agriculture.
rapporteur spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du CAS Développement agricole et rural ». - Je suis moi aussi très heureux de retrouver mon ami et complice Yannick Botrel.
La plupart des crédits du programme 149 sont consacrés au financement national du deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC), qui soutient certaines composantes qualitatives de la politique agricole. Or les crédits chutent de 16,8 %. Cette évolution reflète deux modifications majeures, qui, pour l'une, pose un problème rédhibitoire et, pour l'autre, suscite une réelle perplexité. Pour le reste, les crédits du programme 149 sont à peu près inertes, la loi de programmation des finances publiques ayant placé la mission sous une contrainte budgétaire forte. Ce choix, s'agissant d'une branche d'activité économique majeure, confrontée à des difficultés structurelles considérables et affectée par des à-coups conjoncturels de forte amplitude, me semble inapproprié. Car sans les subventions publiques, 60 % des exploitations auraient eu en 2016, selon les données de l'Insee, un résultat courant avant impôt négatif. En pareille conjoncture, le gel des soutiens est un mauvais signal, qui contredit les ambitions d'une agriculture forte, compétitive, contribuant à l'aménagement du territoire et installée sur une trajectoire de transition agro-écologique.
L'indemnité de compensation des handicaps naturels (ICHN) connaît certes une augmentation de 20 millions d'euros : mais cela est seulement dû à la réforme du zonage, qui fait entrer de nouvelles exploitations dans le dispositif, mais en fait sortir 3 800 - avec un impact à évaluer au plus vite. Le surcroît de crédits n'est pas un supplément net : comme trop souvent, on pioche dans les dotations du premier pilier de la PAC pour combler les impasses du financement du second pilier. Les concours nets moyens à l'agriculture sont au mieux stabilisés.
Les dotations réservées au verdissement de la politique agricole baissent fortement : les retards de paiement des aides avaient justifié des dotations inhabituellement élevées l'an dernier, certes, mais le niveau des soutiens reste sans élan. Le Président de la République a annoncé un objectif de conversion de 15 % des sols agricoles vers une production bio, alors que nous sommes à 8 % aujourd'hui. Cette ambition n'est pas dotée.
Les aides agricoles ont subi des retards de paiement considérables ces dernières années. Un rattrapage très hésitant a eu lieu. Il faut s'en féliciter, mais les interventions les plus significatives pour le verdissement sont celles qui ont été régularisées avec le plus de retard. Il faudra rester vigilant sur le calendrier des versements demeurant à normaliser. Je signale aussi que certains services fiscaux négligent le fait que les sommes finalement reçues se rattachent à plusieurs exercices ! Les facteurs de dysfonctionnement de la chaîne des paiements ne sont pas tous surmontés. Les défaillances informatiques de l'agence de services et de paiement et les insuffisances des capacités de contrôle demeurent. Aucun moyen n'est inscrit pour corriger ces déficits de capacité. Structurellement, la gestion des paiements agricoles pourrait être significativement améliorée : hélas on attend toujours le choc de simplification. La mauvaise exécution des paiements nous vaut année après année des corrections financières parmi les plus élevées que la Commission européenne prononce contre les États...
L'une des mesures du projet de budget suscite tout particulièrement la perplexité : l'an dernier, 300 millions d'euros avaient été inscrits pour imprévus. La dotation est réduite d'un tiers pour 2019, la consommation des crédits en 2018 ayant été de l'ordre de 190 millions d'euros. Cela a été la divine surprise de l'année puisqu'au moment de la construction du budget, on pouvait craindre plus d'un milliard d'euros de corrections financières. Le Gouvernement, manifestement, escompte encore cette fois une issue heureuse... Et aucune marge n'est laissée pour le soutien aux exploitations elles-mêmes. À ce propos, il est regrettable que la ligne ouverte en 2018 n'ait pas été mobilisée à ce jour pour accompagner les agriculteurs, éleveurs en particulier, qui subissent la sécheresse. Sur ce déficit de précaution, le Gouvernement répond que la dotation en cas de besoin serait abondée par une loi de finances rectificative, mais les collectifs n'ont pas vocation à couvrir des impasses budgétaires parfaitement identifiables au moment de la loi de finances initiale ! Le budget ne comporte pas non plus les moyens de doter les mécanismes par lesquels transitent les interventions d'urgence de soutien aux revenus agricoles. Et malgré son intérêt, la nouvelle déduction pour épargne de précaution n'aura aucune valeur pour les 50 % d'agriculteurs dont le revenu est inférieur à 14 000 euros par an.
Il existe encore un point de désaccord majeur entre le Sénat et le Gouvernement, qui porte sur les réductions d'allègements du coût du travail saisonnier. Le Gouvernement refuse de rétablir un dispositif qui concerne 73 000 exploitations soumises à une concurrence très forte de la part de pays à faible coût du travail. Certes, par rapport au budget initial qui prévoyait tout simplement la suppression du dispositif TO-DE (travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi), un début de solution a été apporté. Toutefois, il reste une perte sèche de l'ordre de 30 à 40 millions d'euros - et de 30 millions d'euros sur les autres lignes du programme 149 puisque le petit geste sur les TO-DE serait financé par un redéploiement de crédits...
Ce blocage et plus largement le défaut de cohérence du budget par rapport à notre ambition agricole constituent une raison impérieuse de rejeter les crédits de la mission, comme l'an dernier. Je vous avais alors, en revanche, recommandé l'adoption des crédits du CAS-DAR. Je n'en ferai pas de même cette année. D'une part, le compte a accumulé des capacités de dépense qui vont bien au-delà de sa capacité effective à dépenser : la taxe qui l'alimente et qui pèse sur les exploitations agricoles mériterait d'être allégée, sinon elle ira alimenter d'autres politiques publiques. D'autre part, les interventions du CAS ne sont pas évaluées avec suffisamment de rigueur.
rapporteur spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du CAS Développement agricole et rural ». - Merci de vos paroles amicales, qui me vont droit au coeur. Je vais compléter ce propos par des considérations sur les crédits de la forêt et la politique de sécurité sanitaire agricole et alimentaire. Avant cela, sur la composante analysée par Alain Houpert, je veux souligner quatre éléments. En premier lieu, la mission que nous examinons pèse moins de 10 % de l'ensemble des concours à l'agriculture qui s'élèveraient à plus de 23 milliards d'euros en 2019. Nous avons peu de visibilité sur la PAC et encore moins de capacité d'inflexion : or, elle représente plus de dix fois les crédits budgétaires agricoles. Il serait bon de réfléchir à des moyens de renforcer l'information des deux commissions des finances du Parlement sur l'exécution budgétaire européenne, puisqu'il existe des vases communicants entre le budget national et la gestion des enveloppes budgétaires européennes.
Deuxième point : la structure des soutiens publics à l'agriculture a considérablement évolué et la part des déductions sociales et fiscales se renforce par rapport à celle des crédits. Cela réduit la pilotabilité des interventions et en atténue les capacités contracycliques. Il faut donc être très vigilant sur les allègements et autres niches sociales, et sur le dispositif TO-DE, d'autant que le remplacement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) par des allègements de cotisation pourrait se traduire par un bilan moins avantageux pour les exploitants, une fois prises en compte les perspectives d'un ressaut de l'imposition des revenus.
Troisième point : le Gouvernement bénéficie des efforts entrepris au cours de la législature précédente pour améliorer la gestion des aides européennes. Le plan Feaga a demandé un travail considérable de mise à jour d'un registre parcellaire graphique qui avait été négligé. L'investissement commence à produire des résultats ; la Commission européenne et la justice européenne paraissent sensibles à l'amélioration de notre infrastructure de paiement. Les exploitants agricoles ont participé à cet effort et il serait assez justifié que les économies pour la France leur reviennent, au moins pour la partie des corrections financières établies sur des constatations réelles.
Enfin, la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques n'intègre en rien le Brexit, qui privera le budget européen de recettes nettes. Il faudra bien se résoudre à renationaliser une part des soutiens européens ! Dans le domaine agricole la loi de programmation n'est pas soutenable, paradoxe au vu de sa justification.
La politique forestière de la France ne décolle pas et la réduction des crédits de paiement pour la forêt en 2019 traduit ce manque d'ambition. L'atonie des années précédentes se prolonge. Il faudra tenir compte aussi de l'impact de la suppression de l'indemnité compensatoire de défrichement dans les cas envisagés aux articles 18 bis et 18 ter du projet de loi de finances, à supposer que ces deux dispositions survivent à leur examen par le Conseil constitutionnel, puisque le produit minime de la taxe correspondante revient au fonds spécial bois pour lequel il représente une certaine ressource quand même. Les crédits baissent à nouveau et les économies réalisées sur les suites de la tempête Klaus, qu'il est hasardeux de considérer comme... closes, ne sont pas mobilisées pour la forêt. Les dépenses d'investissement sont à l'étiage dans le domaine de la lutte contre l'incendie et de l'amélioration des dessertes forestières. Quant à la subvention destinée à l'Office national des forêts (ONF), son niveau est maintenu mais il serait logique de l'augmenter ! Car l'ONF a deux missions distinctes, l'une d'intérêt général, l'autre de valorisation de la ressource en bois et forêt. Un conventionnement est intervenu entre l'ONF, l'État et les communes forestières. En échange d'objectifs de collecte et d'investissement, les relations financières ont été stabilisées. J'ai régulièrement indiqué que l'effort de collecte demandé à l'ONF ne semblait pas cohérent avec les objectifs de la stratégie française de transition énergétique et de bioéconomie. Le contrat d'objectifs et de performances (COP) repose sur une modification de la composition du personnel de l'ONF - davantage de contrats de droit privé et moins de fonctionnaires. Tous ces équilibres posent problème. Si l'on ajoute que la forêt française est en mauvaise santé et que sa composition mériterait d'être mieux pensée, nous sommes face à des difficultés importantes, récurrentes. Nous attendons la présentation du nouveau projet stratégique pour la forêt et le bois. Il faudra l'examiner avec soin et le chiffrer. En attendant, la situation financière de l'ONF n'est pas bonne. Malgré un prix du bois relativement élevé, le chiffre d'affaires plafonne, l'établissement ne parvenant pas à écouler toute sa récolte. Il est endetté à hauteur de 340 millions d'euros pour un chiffre d'affaires très inférieur. L'ONF n'est pas le seul acteur de la forêt à souffrir : de nombreuses scieries sont en situation délicate et beaucoup de notre capacité de transformation a disparu ces dernières années.
Les crédits de sécurité sanitaire des aliments sont à peu près stabilisés, une fois prise en compte la réduction des dépenses liées au contentieux des vétérinaires sanitaires, qui a été piloté à vue ces dernières années. Seules deux modifications sont notables. Le budget prévoit 40 emplois nouveaux pour le rétablissement d'un contrôle sanitaire aux frontières après le Brexit. L'ampleur des besoins n'est pas facile à évaluer, elle dépendra des effets de détournement du trafic, mais il manquerait 40 emplois. La seconde évolution c'est le renforcement de la dotation à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et de travail (Anses). Est-ce pour espérer récupérer une partie des autorisations de mise sur le marché des produits vétérinaires ? Le Royaume-Uni en assurait 40 %. Selon les données de la comptabilité analytique de l'agence, pourtant, ces activités sont lourdement déficitaires pour elle. Elles exercent donc un effet d'éviction sur le financement de la recherche et des analyses. Au demeurant, il est inquiétant que se soit constitué une sorte de marché de la police sanitaire, avec une concurrence féroce entre les agences nationales des États membres pour récupérer les marchés. Cela pose problème à l'heure où nos compatriotes sont très sensibles aux questions de nocivité de certains produits. Pour le reste, en dépit des carences de notre infrastructure de maîtrise du risque sanitaire, rien de nouveau. Les états généraux de l'alimentation avaient été l'occasion d'annoncer des objectifs très généraux, mais aussi très ambitieux. Le budget ne les traduit pas. CAP 2022 a repris nos observations sur la sécurité sanitaire des aliments et pointé les carences. En vain. Enfin, alors même que l'on réaffirme des ambitions pour le bio, les objectifs du plan Ecophyto 2 ne sont pas plus atteints que ceux du premier plan. Tout ceci est déconcertant, car on connaît la gravité des risques induits par les déficiences. Il faut une réorganisation structurelle : intégration des différents services ministériels, plus grande cohérence des financements, gouvernance plus ouverte et sans conflits d'intérêts. Je rappelle notre rapport rédigé il y a trois ans...
L'audition récente sur les aides agricoles ne m'a pas rassuré. Les retards de versement ont été considérables, alors que les agriculteurs sont dans la difficulté et attendent. Et la sur-administration se traduit par des coûts de gestion trop élevés, avec des contrôles à trois niveaux, européen, ministériel, régional... Des économies de gestion sont possibles dans l'administration.
La plus grande vigilance sera de mise en 2019, année charnière, alors que des incertitudes sans précédent planent sur le monde agricole : aléas climatiques de plus en plus forts, volatilité des marchés sans précédent, concurrence exacerbée entre les pays et les continents, perte de production en France sous l'effet des mesures contre les produits phytosanitaires, négociations commerciales jamais aussi féroces entre les quatre centrales d'achat et les 12 000 fournisseurs. Dans le même temps la PAC est de moins en moins commune. Les négociations portent actuellement sur une réduction de 15 % du premier pilier et 25 % du deuxième. Renationalisation des aides, écologie punitive, voire dictature de l'écologie... Et la seule réponse du Gouvernement consiste à réduire le budget de l'agriculture de près de 20 %, 300 millions d'euros d'économies demandés aux agriculteurs.
C'est le budget de tous les paradoxes. Les TO-DE seront supprimés d'ici 2021, alors que ce Gouvernement veut réduire le coût du travail et que la loi Egalim a réduit les possibilités d'usage des phytosanitaires, ce qui exige d'employer plus de main-d'oeuvre. Avec la suppression du soutien à ces emplois saisonniers, la compétitivité de la France va souffrir : l'écart est de 75 % entre notre pays et la Pologne, par exemple...
La dotation de réserve pour aléas climatiques et problèmes sanitaires a perdu 100 millions d'euros, un véritable pied de nez à l'agriculture... En 2018, 190 millions ont été utilisés, dont 178 pour les refus d'apurement communautaire - une auto-assurance de l'État contre ses propres erreurs administratives. L'enveloppe diminue, malgré les problèmes actuels, et surtout la sécheresse, qui va entraîner de gros dégâts cet hiver. Quant à la peste porcine, la seule mesure trouvée a été l'installation d'une clôture électrique entre la Belgique et la France. Le Brexit induit aussi des problèmes sanitaires. Je rappelle que 1,7 milliard d'euros de denrées alimentaires proviennent de pays extérieurs à l'Union européenne, qui n'appliquent pas les normes européennes et qui concurrencent de façon déloyale nos produits. On demande de plus en plus à nos agriculteurs, on surtranspose les règlementations européennes et l'on fait entrer des marchandises qui échappent à toute exigence. Nous avons parlé cette année du Mercosur, de l'accord Australie-Nouvelle Zélande, de l'accord CETA ; après le Brexit de nouveaux accords interviendront et via le Royaume-Uni de nouveaux produits extérieurs seront déversés sur les marchés européens. Or seulement 40 ETP sont prévus pour contrôler ces importations aux frontières françaises ! La direction générale de l'alimentation a avoué en avoir demandé 90 ; mais c'est 900 qu'il faudrait en recruter pour assurer un contrôle efficace.
J'en appelle à la cohérence du Gouvernement sur la stratégie de sécurité sanitaire mais aussi sur l'application de la loi Egalim et l'équilibre des relations commerciales. Sur les TO-DE, il faudrait ajouter 40 millions d'euros pour faire écho à ce qu'a voté le Sénat mercredi dernier.
La fiscalité sur l'épargne de précaution apportera peut-être une certaine amélioration, dès lors que les stocks sont inclus dans le périmètre, et non la seule épargne en numéraire. La durée de dix ans nous convient aussi. Mais pourquoi limiter le mécanisme à quatre associés en GAEC ? En outre, la règle de minimis est un calcul si difficile à faire que les centres de gestion se garderont bien de conseiller cette épargne.
La maîtrise de la TICPE sur le gasoil non routier est une bonne chose, elle permet une simplification administrative, la réduction du tarif se faisant sans déclaration. La redevance pour pollutions diffuses augmente de 50 millions d'euros, perçus sur les achats de phytosanitaires, pesant par conséquent sur les agriculteurs.
La suppression des petites taxes pose question. Un tel toilettage est bienvenu, mais pour faire quoi ? Les 87 millions d'euros de recettes de ces taxes sont compensés en 2019, mais après ? Le moral des agriculteurs n'a jamais été aussi bas. Nous critiquons sans cesse nos agriculteurs au nom de l'écologie tandis que nous ouvrons grand la porte aux importations qui ne respectent pas nos normes.
La commission des affaires économiques est donc défavorable à ce budget. Puisque 320 sénateurs viennent de se prononcer pour le maintien des TO-DE, il faut dire clairement au Gouvernement que sans les fonds nécessaires pour faire perdurer ce dispositif, l'avis sera obligatoirement défavorable.
Certains sujets reviennent d'année en année... Pour les versements PAC, à fin 2018, deux tiers des dossiers de l'année 2016 restent à traiter. La fédération de l'agriculture biologique a saisi le Défenseur des droits. Nos rapporteurs ont-ils reçu des assurances à ce sujet ?
Sur les aides sécheresse, je rejoins le rapporteur pour avis : contrairement à ce qui se passe en France, les pouvoirs publics en Allemagne ont débloqué les sommes, si bien que les agriculteurs allemands achètent aujourd'hui le fourrage qui nous manquera cet hiver.
Je regrette qu'aucune nouvelle disposition fiscale ne soit prise en faveur de la forêt. On nous parle constamment d'écologie... Alors soutenons la filière et construisons en bois ! L'écologie est surtout un bon prétexte pour créer des taxes.
L'ONF est de manière récurrente en déficit et endetté. N'est-il pas temps de séparer ses missions, et de confier à une autre structure publique, la Forestière, qui gère au sein du groupe CDC des forêts privées, l'exploitation des forêts publiques ? C'est une piste de réforme !
Les moyens humains manquent dans les administrations départementales, les moyens humains manquent sur le terrain. Reste-t-il suffisamment d'agents au niveau local, par rapport à l'administration centrale ? Combien d'ETP cela représente-t-il ? Les agriculteurs sont en grande difficulté, ce qui explique leur mal-être. Les dispositions budgétaires sont-elles suffisantes pour faire face aux aléas climatiques ?
Je serai moins négatif que nos deux rapporteurs spéciaux. Il y a tout de même des motifs de satisfaction ! Le nouveau ministre, j'imagine, sera sensible au travail effectué par le Sénat ; j'escompte que nous aurons avec lui un dialogue de qualité. La réduction budgétaire n'est pas forcément une mauvaise chose, car on ne peut réclamer des économies à l'État et demander toujours plus de crédits. Le dispositif sur l'épargne de précaution, les allègements fiscaux, sont de bonnes solutions. Je rejoins M. Duplomb sur les travailleurs occasionnels. Il faut tenter de rapprocher les dispositions de ce que le Sénat a voté tout récemment.
La diminution du nombre de fonctionnaires est un impératif, mais la sécurité alimentaire en est un autre, il faut donc plutôt envisager des redéploiements, ce qui résoudra aussi la suradministration de dispositifs qui fonctionnent mal. En Bretagne, sur le programme Leader 2014-2020, nous n'avons consommé que 3 % des crédits. Les agriculteurs dans la détresse ne comprennent pas les retards de versements, dus à de graves dysfonctionnements.
Comment évolue le secteur de la pêche ? L'activité économique se porte bien mais le nombre de navires recule. Il faut parler aux jeunes de ce métier, où l'on gagne bien sa vie.
Je voudrais évoquer l'avenir des chambres d'agriculture, dont les missions s'accroissent par transferts, à mesure du désengagement territorial de l'administration. Si l'on va vers une réduction des chambres, l'agriculture en subira l'impact de plein fouet. Qu'en est-il du travail de nos rapporteurs spéciaux sur la fiscalité agricole ? Car on ne voit rien venir...
Enfin, en matière sanitaire, on parle beaucoup d'abattoirs, des grands prédateurs dans les territoires de montagne : vous avez dit que les crédits ont été légèrement majorés, mais qu'ils étaient peut-être insuffisants. Pouvez-vous en dire un peu plus ?
En 2016, 15 % des recettes provenaient de subventions, ce qui représentait 124 % du résultat brut avant impôt. Le monde agricole vit donc sous perfusion ! Le schéma agricole que nous défendons ne doit-il pas être revu ?
Laurent Duplomb, tel un docteur, a posé le bon diagnostic : l'État est schizophrène, ses objectifs, notamment l'agriculture biologique, induisent un besoin de main-d'oeuvre, mais ses décisions défavorisent l'emploi. Le calendrier de versement des aides doit être normalisé, le Gouvernement s'y est engagé, mais nous devons demeurer vigilants ! L'ONF est devenue une agence de préservation des espèces et de la biodiversité, je conviens que c'est utile mais le bois ne travaille pas assez en France - sauf en menuiserie. Marc Laménie, oui, les agents devraient être moins dans les contrôles et plus en appui sur le terrain, dans les fermes. Quant aux aléas climatiques, ils ne sont aujourd'hui pas couverts. C'est certain, le système de l'épargne de précaution risque d'être délaissé à cause de la règle de minimis ; et il concernera effectivement plutôt les agriculteurs qui ont un revenu supérieur à 50 ou 60 000 euros.
On laisse entrer n'importe quel produit en France, je suis bien d'accord. Nous accordons des clauses d'équivalence sanitaire pour des motifs commerciaux. Et après, il est bien difficile de réagir. La France a la zone maritime la plus vaste du monde, elle devrait être le premier producteur, mais on assiste à des bagarres entre pays, sur le ramassage des coquilles Saint-Jacques, par exemple : que l'Europe explique les règles au lieu de les imposer.
Thierry Carcenac a raison de souligner le rôle central des chambres d'agriculture, elles sont des acteurs importants dans les territoires. Sur la fiscalité agricole, moi non plus, je ne vois rien venir de vraiment significatif malgré la déduction pour épargne de précaution. On évalue à 18 millions d'euros le coût des prédateurs. Enfin, s'il existe une agriculture à deux vitesses, il ne faut pas négliger les petites exploitations...
Sur la filière bois, Alain Houpert et moi avions rédigé un rapport il y a plusieurs années ; j'ai le sentiment que depuis, rien n'a changé. L'activité est très fragmentée, trois millions de propriétaires forestiers, un grand nombre d'organismes professionnels, et pas moins de cinq ministères concernés. Je n'ai pu auditionner les représentants de l'ONF cette année, mais l'idée de fractionner ses activités ne me paraît pas avoir grand intérêt : la Société forestière, du groupe CDC, gère 100 000 hectares de forêt, pour le compte des collectivités territoriales, mais surtout pour son propre compte car la Caisse des dépôts est un gros propriétaire forestier ! Je ne vois pas comment elle pourrait intervenir efficacement à la place de l'ONF. L'office est en réforme permanente depuis des années, c'est du reste un problème ! Mais on ne saurait renverser le modèle.
Sur les débouchés de la filière bois, on progresse : à Rennes, un collège a été construit entièrement en bois, et dans la région de Toulouse, un pôle de recherche en chimie du bois mène des recherches prometteuses, qui en sont au stade fondamental mais atteindront sans doute dans quelques années le stade de la valorisation industrielle. Il faut rendre la filière plus opérationnelle, avec moins d'opérateurs et des objectifs plus ambitieux, mais il existe une vraie ligne de fracture sur la valorisation de la ressource, entre les professionnels qui souhaitent que le bois soit transformé entièrement sur le territoire national, et ceux qui estiment que fermer les frontières aurait des conséquences dramatiques sur les cours du bois.
Suradministration ? Vaste débat. En France, où l'on considère que chacun est un délinquant potentiel, on a tendance à prendre toutes les mesures pour surveiller les activités. En outre, le ministère de l'agriculture demeure sous le coup d'enquêtes européennes et risque un redressement en cas de décision défavorable de l'Union européenne... La lassitude des agriculteurs s'explique à la fois par toute la paperasserie à remplir et par le risque, qui subsiste, d'une reprise après contrôle. Peut-être y a-t-il des gains à espérer dans l'efficacité du contrôle.
On manque effectivement de main-d'oeuvre dans le secteur de la pêche, mais aussi de personnel dans les usines de transformation, à Douarnenez par exemple, et l'on fait venir des travailleurs de La Réunion. Pourquoi une telle démotivation à l'égard de ce métier ? Siégeant au conseil départemental de l'agriculture des Côtes d'Armor, j'entends déplorer amèrement le nombre insuffisant de nouvelles installations, mais on passe son temps également à se plaindre, à décrier l'activité, à tenir un discours négatif sur le métier ! Cela aussi, c'est de la schizophrénie ! Sur la pêche, je voudrais évoquer une conséquence du Brexit dont on ne parle guère : 60 % de la ressource halieutique provient des eaux britanniques...
Sur la fiscalité, on enregistre tout de même des progrès. Les grands principes ont été présentés dès l'origine par le Gouvernement, et ils ont été bien accueillis par tous les interlocuteurs, y compris les parlementaires. Lors d'une réunion au ministère des finances à l'époque, les professions agricoles avaient formulé des demandes de correction, sur le passage à l'impôt sur les sociétés par exemple, ou sur les modalités de l'épargne de précaution. Sur ces deux points, ce qui a été demandé a été repris dans les mesures gouvernementales.
La réintégration des retards de versement pose parfois problème : tel service du fisc applique un lissage lorsque l'aide est perçue au titre de plusieurs exercices, mais tel autre le refuse et prend en compte d'un coup la totalité de la somme...
Quant aux TO-DE, je déplore leur disparition programmée, car les aides étaient ciblées sur des emplois temporaires, dans des activités de main-d'oeuvre, récolte des légumes, fruits, fleurs. La perte sera sensible pour une certaine catégorie d'employeurs.
Effectivement ! Le premier producteur mondial de sapins de Noël est situé dans le Morvan. Il perdra 400 000 euros, soit le bénéfice total d'exploitation. La production des sapins de Noël se déplacera dans d'autres pays...
Le pouvoir d'achat des ménages dans les années cinquante et soixante était consacré à 50 % à l'alimentation, aujourd'hui cette part est tombée à 8 %. Je suis agriculteur depuis 1995 : le prix du lait n'a pas changé depuis cette date, celui de la viande non plus. En revanche les charges ont bondi... Je produisais alors 300 000 litres de lait, pour un revenu inchangé j'en produis aujourd'hui 600 000 litres. Sans aides, il n'y aurait plus de production agricole en France.
L'avis des rapporteurs est défavorable sur les crédits de la mission.
À l'issue de ce débat la commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».