Que l’on ne se méprenne pas : je ne suis pas favorable à une fiscalité affectée, à l’instar, d’ailleurs, de la commission des finances, mais présenter, comme vous le faites, la TICPE comme un impôt écologique, c’est une escroquerie ! Même le fait de croire que la hausse des tarifs va inciter les ménages à changer leur mode de transport ne convainc pas, car vous oubliez ceux qui n’ont pas de solution alternative, notamment dans les zones rurales. Le président du Sénat a justement rappelé que 40 % des Français n’ont pas accès à un mode de transport collectif. Même avec la prime à la conversion, l’achat d’un véhicule écologique reste trop coûteux pour nombre de Français.
Par ailleurs, jusqu’aux annonces récentes du Président de la République, on constatait que les dispositifs de soutien que vous avez cités étaient en baisse. Le crédit d’impôt pour la transition énergétique, le CITE, a été divisé par deux ; la TVA à 5, 5 % a été contenue ; les dépenses relatives au chèque énergie n’augmentent que lentement.
J’en viens maintenant aux dépenses de l’État, dont la trajectoire de baisse reste toujours aussi peu perceptible.
Certes, je le soulignais encore en début de semaine lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2018, le Gouvernement produit de réels efforts de sincérisation du budget. Pour une fois, il y a une note positive. Je me suis notamment félicité du taux de mise en réserve très bas.
En revanche, en ce qui concerne la maîtrise des dépenses, nous restons sur notre faim. Alors que, sur le quinquennat, la loi de programmation des finances publiques prévoit une diminution de 1 % par an en volume, la cible pour 2019 s’avère d’ores et déjà dépassée, avec plus de 600 millions d’euros. Certes, la norme de dépenses « totales » devrait être respectée, mais il s’agit simplement d’une stabilisation.
Il convient aussi de noter que certaines dépenses annoncées ne sont pas prises en compte dans le budget de 2019 ni dans la programmation pluriannuelle.
Ainsi en est-il du service national universel : on ne sait pas si c’est 2 milliards ou 4 milliards d’euros de dépenses. Bizarrement, on n’en parle pas.
Les baisses de dépenses se concentrent sur le logement et l’emploi, comme l’an dernier. Nous ne nous y opposons pas, mais nous considérons que d’autres réformes mériteraient d’être menées. Or l’on voit que les vrais efforts de réformes de structure restent à faire. Celles-ci sont indispensables, car, sans elles, nous ne parviendrons pas à résorber nos déficits. Je pense notamment à la masse salariale de l’État, qui représente, avec le compte d’affectation spéciale « Pensions », 40 % des dépenses de l’État, à savoir 140 milliards d’euros. Vous n’annoncez qu’une diminution de 4 164 emplois, ce qui signifie que, pour parvenir à votre objectif de suppression de 50 000 emplois, 90 % de l’effort reste à faire d’ici à la fin du quinquennat. J’observe d’ailleurs que la masse salariale augmente de 1, 6 % cette année.
Votre stratégie de réforme reste malaisée à décrypter. En témoigne la difficulté hallucinante que nous avons rencontrée pour obtenir les conclusions du comité Action publique 2022. C’est la preuve que vous n’assumez pas les économies structurelles. Pour notre part, nous pensons que nous ne pouvons pas faire l’impasse sur une vraie réflexion autour du champ d’intervention de l’État et des moyens qui lui sont assignés.
C’est la raison pour laquelle la commission des finances proposera plusieurs amendements en seconde partie, afin notamment d’augmenter le temps de travail dans la fonction publique et de porter de un à trois le nombre de jours de carence, en cohérence avec le secteur privé. Nous présenterons également un amendement, plus symbolique que budgétaire, tendant à réduire le nombre d’emplois dans les administrations centrales, qui voient curieusement leurs effectifs croître, de façon à laisser des agents publics sur le terrain, au contact du public. Nous proposerons en outre une rationalisation de l’Aide médicale d’État.
J’en viens maintenant à la question du pouvoir d’achat, qui devait être au cœur de ce budget.
Sur les 6 milliards d’euros que vous présentez comme étant en faveur du pouvoir d’achat, vous savez très bien que les deux tiers correspondent en réalité à la compensation du manque à gagner lié à la hausse de la CSG intervenue l’an dernier. Surtout, bizarrement, vous oubliez les mesures de hausses de prélèvements décidées par les partenaires sociaux, qui vont peser sur les Français. Vous oubliez également, mais le Sénat y a remédié, le quasi-gel des allocations et des retraites.
En réalité, faute de marges de manœuvre budgétaires, votre politique revient, pour l’essentiel, à transférer du pouvoir d’achat d’une catégorie de ménages à une autre, et non à augmenter le pouvoir d’achat agrégé par une vraie action sur la croissance.
En clair, les retraités, les ménages modestes et les classes moyennes supérieures sont les grands perdants de ce bonneteau fiscal et budgétaire.
Au niveau individuel, le constat est sévère.
C’est le cas notamment en matière de fiscalité de l’énergie, sur laquelle nous reviendrons. Le Sénat vous proposera une chose simple : la constance par rapport à l’an dernier.
Il faut le savoir, pour un ménage se chauffant au fioul domestique et utilisant une voiture diesel – ce n’est pas forcément un choix ; c’est le carburant des gens qui travaillent –, l’impact des hausses de fiscalité écologique représentera 136 euros en 2018 et 538 euros en 2022 !
À partir de ces constats, la commission des finances proposera, comme elle l’a fait l’année dernière, de geler les tarifs de la TICPE à leur niveau de 2018, en supprimant la trajectoire prévue jusqu’en 2022. Nous ne ferons ainsi que confirmer le vote du Sénat l’an dernier.
Par ailleurs, je veux dire un mot sur la suppression du tarif spécifique du gazole non routier, le GNR, dont la hausse brutale ne peut que frapper. Certes, j’en conviens, il s’agit d’une niche – est-elle justifiée ? –, mais il nous paraît impossible de la remettre en cause sans tenir compte de son impact sur la compétitivité des entreprises industrielles concernées, en particulier les plus petites, celles qui n’ont pas la capacité de répercuter les hausses sur le client final. C’est une vraie perte de compétitivité, puisque le tarif du GNR va tripler. C’est pourquoi la commission des finances a adopté un amendement tendant à prévoir un dispositif de remboursement du montant de la hausse proposée pour les plus fragiles, à savoir les PME, à l’instar de ce qui existe pour les agriculteurs.
Toujours sur le thème de la fiscalité écologique, la commission a également décidé d’instaurer une exemption de taxe générale sur les activités polluantes pour les déchets ménagers et assimilés collectés au titre du service public de gestion des déchets pour la part qui reste à ce jour non valorisable, c’est-à-dire environ 30 % des déchets.
Nous aurons l’occasion de débattre de l’ensemble de nos amendements, qui sont principalement destinés à améliorer ou à corriger des dispositifs existants.
J’utiliserai la minute qu’il me reste à la tribune pour vous annoncer que, quelques semaines à peine après l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, le groupe de suivi constitué autour de cette thématique a jugé utile de s’emparer du sujet de l’arbitrage des dividendes, mis en lumière par le journal Le Monde et d’autres médias internationaux.
Nous vous proposerons un dispositif qui permet d’éviter que des actionnaires non résidents de sociétés françaises échappent à la retenue à la source qui doit être appliquée sur les dividendes qu’ils perçoivent, en prêtant, directement ou indirectement, leurs actions, au moment du versement du dividende, soit à une banque française, soit à un résident d’un pays lié à la France par une convention fiscale prévoyant une retenue à la source de 0 %. C’est un amendement important. Nos concitoyens, qui subissent aussi des hausses d’impôts, parfois légitimes, ne comprendraient pas que des dispositifs de fraude aident certains à bénéficier d’un taux d’imposition nul.
En conclusion, la commission des finances vous demande d’adopter les amendements qu’elle vous propose, ainsi que les économies en dépenses.