Madame la présidente, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen en séance du projet de loi de finances pour 2019, après un long temps d’examen en commission.
Je veux, en préambule, remercier l’ensemble de mes collègues de la commission des finances, mobilisés depuis plusieurs semaines déjà pour étudier en détail les mesures budgétaires et fiscales de ce budget 2019. Près de cinq cents personnes ont d’ores et déjà été auditionnées par le rapporteur général et les rapporteurs spéciaux, et nous avons conduit plus de quarante heures d’auditions en commission plénière. J’associe à ces remerciements, bien sûr, l’ensemble de nos collègues des commissions saisies pour avis.
Ces travaux préparatoires, qui sont d’ailleurs loin d’être terminés, nous permettront d’avoir des échanges nourris avec le Gouvernement. Ils témoignent de l’engagement du Sénat à débattre et à amender ce projet de budget, qui, loin d’être un acte prévisionnel purement technique et comptable, ce qui justifierait que l’on en bâcle l’examen, constitue bien un acte fort et structurant de notre vie politique.
J’en viens donc maintenant à l’analyse des principales mesures de ce projet de loi de finances.
Pour ce qui concerne le cadrage macroéconomique, force est de constater que 2019 devrait marquer une déception, puisque la croissance s’établirait à 1, 7 %, alors que le Gouvernement envisageait encore 1, 9 % en juillet dernier.
L’accélération de l’activité, dont certains prédisaient qu’elle résulterait quasi automatiquement – je n’ai pas dit magiquement – des réformes gouvernementales, ne s’est toujours pas manifestée et le contexte international est malheureusement de plus en plus incertain, comme vient de le rappeler l’OCDE.
Dans le même temps, les efforts de redressement de nos finances publiques ne sont pas à proprement parler au rendez-vous. Je rappellerai simplement que, sous le précédent quinquennat, le déficit est passé de 5 % à 2, 7 % du PIB, en diminuant chaque année, dans une conjoncture économique pourtant très défavorable. Entre 2017 et 2019, il passera de 2, 7 % à 2, 8 % du PIB. Nous ne faisons pas le minimum d’ajustement structurel requis par nos engagements européens ; nos résultats en matière de déficit public sont moins bons que ceux de nos principaux partenaires européens, et la dette publique continue de croître. Il y a lieu de nous en inquiéter dans un contexte de montée des incertitudes économiques dans le monde et dans la zone euro.
J’en viens maintenant au volet fiscal de ce budget 2019, qui témoigne en creux non seulement de l’inefficacité, mais également de l’iniquité des mesures prises par la majorité gouvernementale l’an passé. En effet, ciblées sur les catégories sociales les plus favorisées – je pense à la suppression de l’ISF et à la mise en place du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital –, celles-ci ont eu un coût de près de 5 milliards d’euros. J’ajoute que la baisse de la taxe d’habitation pour 7 milliards d’euros sur deux ans, si elle ne concerne pas les mêmes catégories de contribuables, n’en met pas moins à mal l’autonomie financière des collectivités locales.
Faute de maîtrise réelle de la dépense publique, le Gouvernement n’a pu que compenser ces mesures fiscales coûteuses par la hausse d’autres impositions, dont les effets se prolongeront en 2019 : hausse de la CSG sur les retraités ou encore hausse graduelle, sur cinq ans, de la TICPE.
À cet égard, le présent projet de loi de finances consolide le recours à la fiscalité énergétique, avec la suppression de l’exonération pour le gazole non routier, qui aura une incidence directe et très pénalisante sur nombre de petites et moyennes entreprises. Nombre d’orateurs reviendront sur ce point : la fiscalité énergétique sur les entreprises et les ménages progressera de 6, 6 milliards d’euros sur deux ans, alors que les solutions alternatives n’existent pas encore, et donc ne permettent pas de réaliser la transition énergétique à laquelle nous aspirons tous.
Le pouvoir d’achat d’un certain nombre de ménages modestes, en particulier retraités et ruraux, sera incontestablement amputé l’an prochain. Pour nombre de nos concitoyens, le « budget du pouvoir d’achat » est bien loin de ses promesses. Sans doute y a-t-il là un puissant moteur de mécontentement, et il n’est pas nécessaire de chercher beaucoup plus avant les motifs de ce que nous constatons jour après jour sur nos routes et nos ronds-points.
Pour ce qui concerne les dépenses, les mêmes missions que l’an passé sont sacrifiées, et en premier lieu les missions « Travail et emploi » et « Logement ».
Comment dire mieux que ce sont les plus modestes des Français qui payent vos politiques !
Le Gouvernement fait le choix du désengagement du service public de l’emploi, alors même que le taux de chômage reste très élevé, au-dessus de 9 % de la population active ; il prend le risque de faire encore chuter la construction de logements sociaux, déjà amorcée, et il rabote les pensions et les prestations sociales en les désindexant.
Ces orientations dessinent un désengagement des politiques sociales conduites par l’État, désengagement que le plan Pauvreté ne peut masquer.
Le Gouvernement avait promis que, grâce au processus Action publique 2022, il trouverait les économies structurelles faisant aujourd’hui défaut. Il faut tout d’abord noter que, après avoir présenté ce processus comme un élément de crédibilité de la loi de programmation des finances publiques, il a refusé de rendre ses conclusions publiques. Notre commission, par mon intermédiaire, a dû menacer de recourir aux pouvoirs de la LOLF pour obtenir ce rapport. Or toute transformation de l’action publique doit se faire dans la transparence et le débat, surtout que le Premier ministre a affirmé, ici même, lors des questions d’actualité au Gouvernement, qu’il s’agissait d’un outil pour la réflexion du Gouvernement et qu’il a refusé de nous le transmettre. Bien sûr, la représentation nationale, elle, n’a pas à réfléchir… §Je note d’ailleurs à ce sujet que les parlementaires et les citoyens ne disposent toujours pas de l’ensemble des informations nécessaires pour pouvoir juger de la pertinence des mesures que le Gouvernement propose.
L’an passé, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances, j’avais présenté un amendement pour donner l’accès au « code source » des dispositions fiscales proposées par le Gouvernement, ce qui permettrait de ne pas dépendre, pour la moindre simulation fiscale, du bon vouloir de celui-ci et des services de Bercy. Cet amendement n’a pas été retenu par l’Assemblée nationale, mais je le présenterai de nouveau. Messieurs les ministres, nous sommes déterminés à refuser de légiférer à tâtons. Notre démocratie en sortirait d’autant plus renforcée.
Je terminerai en évoquant le même sujet que le rapporteur général. Le Sénat, qui a travaillé depuis plusieurs années sur le thème de la lutte contre la fraude fiscale, a adopté des dispositions en matière de responsabilité des plateformes en ligne pour la collecte de la TVA. Il a enrichi le projet de loi de lutte contre la fraude.
Les membres du groupe de suivi que nous avons mis en place au sein de notre commission des finances proposeront, une fois de plus, une initiative transpartisane, pour soumettre les dividendes versés à des ressortissants étrangers à une retenue à la source effective. Il n’est en effet pas possible de demander à nos concitoyens des efforts s’ils n’ont pas le sentiment que tout le monde y consent et y concourt.
J’espère ainsi que, malgré nos probables divergences sur un certain nombre de mesures contenues dans ce projet de loi de finances, nous saurons tous nous réunir autour de cette ambition.