Problème, voilà trois ans que ce compte d’affectation spéciale sert de « compte réservoir » – si je puis me permettre l’expression –, ce qui s’est traduit par le reversement cumulé de 1, 8 milliard d’euros au budget général. La transition écologique s’est, une fois encore, inclinée devant les urgences de la petite cuisine budgétaire !
Chacun doit ici avoir en tête les données du problème. L’impôt sur les sociétés va rapporter, si tout va bien, environ 31, 5 milliards d’euros en 2019, ce qui représente approximativement 1, 3 % du PIB, pourcentage qu’on ne doit pas croiser très souvent chez nos partenaires européens.
Cette réalité fait litière du faux débat mené pendant des années sur le taux de l’impôt sur les sociétés, qui a surtout besoin d’une sacrée réparation d’assiette pour que les PME à vocation locale, régionale ou même nationale n’aient pas l’impression de payer plus que les grands groupes familiarisés avec les prix de transfert, le shadow banking – pardonnez-moi l’anglicisme – la finance de l’ombre, le « double irlandais » ou le roboratif « sandwich hollandais ».
De son côté, la TICPE, dont nous avons quelque peine à suivre les destinées maintenant qu’elle est affectée à des missions différentes, va dégager 37, 7 milliards d’euros de recettes, hors taxes.
Si on ajoute la TVA induite, on se retrouve avec une recette fiscale de 45 milliards d’euros, c’est-à-dire une fois et demie l’impôt sur les sociétés, qui connaît tout de même un certain nombre d’exceptions stupéfiantes.
Certaines se comprennent, mais je dois dire que les plus récentes évolutions du tarif de la taxe posent question, notamment avec la fameuse contribution climat-énergie.
Sous l’analyse de l’article 9 de la loi de finances initiale pour 2018, notre rapporteur général indiquait : « Eu égard au caractère contraint de leur consommation énergétique et à leur faible capacité d’investissement en rénovation énergétique des logements ou en véhicules économes en énergie, les ménages ayant les revenus les plus faibles seront naturellement davantage impactés par une hausse de la fiscalité énergétique. »
C’est, du reste, la conclusion tirée par l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, dans une récente étude évaluant le programme présidentiel du Président de la République. L’OFCE a estimé l’impact selon les déciles de la composante carbone, en prenant pour hypothèse un prix de la tonne de carbone de 73 euros, soit un montant inférieur à la valeur de la tonne de carbone proposée par le Gouvernement pour 2021.
Selon lui, « l’impact selon les déciles de ménages varie d’un facteur 4 entre le premier – 1, 8 % du revenu – et le dernier décile – 0, 4 %. Les dépenses d’énergie de chauffage, considérées dans cette estimation comme incompressibles, contribuent fortement à ces disparités ».
On peut effectivement décider de continuer sans se poser de questions, mais il est évident que nous irions alors au-devant de graves difficultés.
Il y a de moins en moins de logique, mes chers collègues, à consacrer la TICPE à compenser aux collectivités locales, ce qui revient à leur faire payer une partie de la facture des fractures sociales, dans des conditions insatisfaisantes, le coût du revenu de solidarité active ou de la prise en charge de l’autonomie et de la dépendance.
Là où nous devrions solliciter la sécurité sociale, la solidarité et la mutualisation, nous sommes en situation d’accabler de taxes l’automobiliste ou le locataire.
La contribution climat-énergie n’est absolument pas consacrée à la moindre transition énergétique et son produit a, selon toute vraisemblance, alimenté quelques entreprises énergivores en allégements de cotisations sociales.
Et demain, plus elle augmentera, plus elle servira à maintenir des milliers de salariés au SMIC, puisque ce niveau de rémunération est désormais libéré de toute contribution dite « patronale » au financement de la sécurité sociale.
Nous avons pourtant bien d’autres choses à faire avec nos produits fiscaux, mais pas seulement.
Dans un rapport qui vient de sortir sur le projet de loi d’orientation des mobilités, le Conseil économique, social et environnemental recommande d’utiliser de manière exclusive et fléchée le produit des taxes sur la consommation énergétique en faveur de la mobilité.
Une telle idée ne nous semble pas dénuée d’un certain bon sens, même si elle nécessite de sérieuses adaptations de notre droit à la situation.
Une démarche budgétaire plus audacieuse et plus en phase avec les attentes du temps aurait dû conduire à renoncer au transfert de 36 milliards d’euros de TVA vers la sécurité sociale pour compenser l’attrition de ses ressources et s’attaquer aux 17 milliards d’euros restants de la TICPE afin de renforcer les politiques de transition.
N’en avons-nous pas besoin pour financer des plans climat-air-énergie territoriaux assortis d’objectifs précis en termes de réduction des déchets, de rationalisation de leur usage, d’investissement dans des véhicules non ou moins polluants ?
N’en avons-nous pas besoin pour financer des plans de déplacements doux, des réseaux de transport collectif dignes de ce nom, évitant les effets de centralité, source de rupture de charges et de baisse de la qualité ?
N’en avons-nous pas besoin pour promouvoir les circuits alimentaires courts, susceptibles de favoriser l’apprentissage du goût et de la qualité dès l’enfance, à l’école ?
N’en avons-nous pas besoin pour promouvoir un renforcement des réseaux ferrés, même à vocation locale ou régionale, source d’un aménagement du territoire plus équilibré, permettant le moindre recours au transport automobile ?
Aucun de ces enjeux, pas plus que les puissantes attentes sociales en matière d’emploi, d’action sociale, de logement, ne trouve grâce et place dans le projet de budget qui nous est soumis par le Gouvernement.
Cet attachement aux choix opérés en 2017, cette continuité affirmée et affichée, nous ne pouvons, eu égard à la situation profonde du pays, que vous inviter, mes chers collègues, à les rejeter en adoptant cette question préalable !