Intervention de Yannick Vaugrenard

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 28 novembre 2018 à 9h35
Projet de loi de finances pour 2019 — Mission « sécurités » - programme 152 « gendarmerie nationale » - examen du rapport pour avis

Photo de Yannick VaugrenardYannick Vaugrenard, rapporteur des crédits du programme 152 de la mission « Sécurités » :

Je voudrais débuter cette intervention en constatant que nos forces de sécurité sont très éloignées des élans d'affectation constatés après les attentats terroristes que nous avons subis. Or, la gendarmerie en particulier doit fait face très fréquemment à de lâches et violentes agressions, de la part de personnes ou de groupes extrémistes organisés.

La versatilité de l'opinion ne saurait nous atteindre. C'est pourquoi je veux affirmer mon soutien et ma reconnaissance aux services que nos gendarmes rendent à la Nation, avec courage et sang-froid. Mais ce soutien doit aussi être matériel et financier.

À l'issue de notre analyse des crédits de la gendarmerie pour 2019, il me faut malheureusement constater que « le compte n'y est pas ». Qu'il s'agisse des moyens de fonctionnement courant, des véhicules ou encore de l'immobilier, les crédits prévus ne sont pas à la hauteur des enjeux. Plus encore que les montants prévus, c'est la stratégie d'ensemble qui semble faire défaut. En effet, si l'on veut préserver l'ensemble des capacités opérationnelles de la gendarmerie, il faut aujourd'hui d'élaborer un plan global de remise à niveau, en mettant clairement en regard les missions et les moyens correspondants, sur une base pluriannuelle. Je partage donc tout-à-fait l'idée, évoquée par mon collègue Philippe Paul et proposée par une commission d'enquête sénatoriale, d'une nouvelle loi de programmation pluriannuelle des forces de sécurité.

Outre les éléments déjà indiqués, je voudrais souligner les points suivants.

D'abord, les dépenses d'investissement seront en recul en 2019. Certes, un montant de 108,9 millions d'euros en crédits de paiement permettra de financer la cinquième annuité du plan de réhabilitation de l'immobilier domanial de la gendarmerie nationale pour la période 2015-2020. Parallèlement, le plan de renforcement de la sécurité des casernes, deuxième année du plan, se verra attribuer 15 millions d'euros.

Si les crédits prévus par ces deux plans semblent importants, ils doivent toutefois être comparés aux véritables besoins. Les études entreprises par la gendarmerie nationale permettent ainsi d'évaluer les besoins budgétaires en matière immobilière à environ 300 millions d'euros par an, soit 100 millions pour la maintenance et 200 millions pour les opérations de reconstruction ou de renouvellement. Ainsi, au total, les crédits prévus pour 2018-2020 sont inférieurs de plusieurs centaines de millions d'euros aux crédits réellement nécessaires. Sur invitation du directeur général de la gendarmerie nationale, j'ai bénéficié d'une immersion de vingt-quatre heures au sein de l'antenne du GIGN de Nantes, dont les membres servent la Nation avec un dévouement sans limite. À cette occasion, j'ai également mesuré les conditions déplorables de leur hébergement avec leurs familles, qui ne se plaignent pourtant pas.

S'agissant par ailleurs des équipements, comme l'a indiqué Philippe Paul, le renouvellement des véhicules est insuffisant. L'âge moyen des véhicules a certes un peu diminué, passant à 7,4 ans et 120 000 km. Ces chiffres cachent toutefois de grandes disparités, le rythme de mise en réforme des véhicules ayant beaucoup ralenti cette année à cause du gel des crédits déjà évoqué.

Deuxième élément, il convient de constater que, malgré les assurances exprimées l'an passé par le Président de la République, la gendarmerie nationale ne reviendra pas en arrière sur l'application de la directive européenne temps de travail, pour son volet relatif au repos journalier. La perte correspondante en équivalents temps pleins a été définitivement chiffrée par l'inspection générale de l'administration à 4 000 ETP. Ce sont donc des emplois définitivement perdus, qui sont loin d'être compensés par le plan de croissance des effectifs. Le Général Lizurey affirme que cette perte a désormais été absorbée par l'institution sans que le service public en soit affecté. C'est donc l'ensemble des gendarmes, dont la situation est déjà souvent difficile, qui ont donc dû pallier ce déficit en travaillant davantage.

Troisième élément, la question des « tâches indues » n'est toujours pas entièrement traitée malgré certains progrès. Ces tâches indues recouvrent des missions historiquement affectées aux forces de sécurité intérieure, pour des raisons tenant notamment à leur très grande disponibilité, et désormais accomplies par simple habitude. Sont par exemple concernés les convocations et les notifications de décisions judiciaires, les fonctions de gardes statiques devant les bâtiments officiels, l'enregistrement des procurations électorales ou encore le traitement des scellés judiciaires pour destruction.

Plusieurs étapes ont certes déjà été franchies afin de réduire le périmètre de ces missions. Ainsi en est-il par exemple de l'enregistrement de la perte de documents officiels, qui a été restreinte aux seuls cas de pertes sans renouvellement de documents, des gardes statiques, qui ont été fortement réduites, et de la notification des mesures de suspension administrative du permis de conduire.

De l'avis des personnels, ces évolutions sont loin d'être suffisantes. Au moment où se met en oeuvre la police de sécurité du quotidien, il importe plus que jamais de dégager les personnels actifs de la gendarmerie de missions périphériques pour véritablement augmenter leur présence sur le terrain.

Je souhaiterais enfin faire le point sur une réforme en cours au ministère de l'intérieur, que nous devons suivre avec attention car elle peut avoir des conséquences importantes pour le fonctionnement des forces de sécurité intérieure, en particulier la gendarmerie.

Dans le cadre de la transformation numérique de l'État menée sous l'égide de la direction interministérielle du numérique, le ministère des armées s'est déjà doté d'une direction générale du numérique, dite « DNUM ». Un décret et trois arrêtés ont été pris cet été pour mettre en place cette direction générale. Ces textes définissent davantage une direction générale de gouvernance et de coordination qu'une direction qui mènerait elle-même les projets numériques. Ceci permet de préserver un équilibre entre un niveau central d'impulsion qui veille au caractère harmonieux de la transformation numérique de l'ensemble du ministère, et des niveaux plus proches du terrain qui peuvent continuer à innover de manière souple et efficace.

Or le ministère de l'intérieur est en cours de réflexion pour créer sa propre direction générale du numérique. Celle-ci sera placée auprès du secrétariat général du ministère et devrait regrouper plusieurs services préexistants. Je rappelle que les forces de sécurité disposent aujourd'hui d'outils efficaces comme le service des technologies et des systèmes d'information de la Sécurité intérieure (le ST(SI)2), placé auprès de la gendarmerie mais bénéficiant également à la police, et qui est à l'origine de NéoGend et NéoPol, ou encore du système de gestion des soldes « AGORH@ », loués pour leur efficacité et leur coût maîtrisé.

Il nous paraît essentiel que le nouveau dispositif, à propos duquel nous avons entendu le secrétaire général du ministère de l'Intérieur, permette de capitaliser sur ces réussites reconnues. Il s'agit de générer de nouvelles économies tout en préservant les spécificités des systèmes d'information de la sécurité intérieure, dont les exigences en termes de disponibilité et d'efficacité sont très élevées. Il faut également préserver les capacités d'innovation, la souplesse et l'agilité des services existants, qui associent étroitement compétences numériques et de terrain. N'oublions pas non plus que, dans ce domaine des applications informatiques, un accident est vite arrivé, comme en témoigne le précédent de LOUVOIS. Il convient de noter que la création d'une direction générale des achats est également en cours ; nous aurons à suivre ce dossier dans les prochains mois.

En conclusion, je crois qu'il faut prendre très au sérieux les difficultés exprimées par l'ensemble des forces de sécurité intérieure, notamment devant la commission d'enquête qui avait été présidée par Michel Boutant. Dans ce contexte, les crédits du programme 152 pour 2019 ne me paraissent pas, que ce soit par leur volume global ou par leur répartition, de nature à éloigner le risque d'une crise au sein de la gendarmerie nationale.

En conséquence, je préconise d'émettre un avis défavorable aux crédits qui nous sont proposés.

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