Intervention de Philippe Nachbar

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 28 novembre 2018 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2019 — Mission « culture » - crédits « patrimoines » et « création transmission et démocratisation des savoirs » - examen du rapport pour avis

Photo de Philippe NachbarPhilippe Nachbar, rapporteur pour avis :

Il m'appartient de rapporter les crédits du programme 175 « Patrimoines ». Il s'agit du patrimoine, de l'architecture, mais aussi, des musées, des archives, et du patrimoine archéologique.

L'année 2018 a été incontestablement une année particulière. En effet, c'était l'année européenne du patrimoine culturel, qui a donné lieu à la labellisation d'un grand nombre de projets à travers le territoire. En outre, en France, elle a été marquée par une politique en faveur du patrimoine ambitieuse et nouvelle. Notre commission a connu des années où le patrimoine était sacrifié. Nous nous étions d'ailleurs mobilisés avec beaucoup de force à cette époque. À d'autres moments, la situation était beaucoup plus favorable. Cette année, de manière incontestable, entre le budget et l'opération « Loto du patrimoine » sur laquelle je reviendrai, a été particulièrement bonne, après un certain nombre d'années difficiles en raison de baisse des financements croisés - nous connaissons les difficultés financières des communes et départements. D'ailleurs, de nombreux départements ont dû se retirer du financement du patrimoine. Il était donc essentiel qu'un sursaut se produise. Celui-ci a eu lieu cette année.

Nous sommes tous convaincus de l'importance du patrimoine, en termes d'attractivité - touristique et économique -, de cohésion sociale - c'est notre mémoire collective qui est en jeu -, de maintien des savoir-faire et des entreprises. D'ailleurs, nous avons auditionné, comme chaque année, le groupement des monuments historiques qui regroupe toutes les entreprises spécialisées. Il est très inquiet de voir disparaître à jamais des savoir-faire et des métiers : des stucateurs ou des tailleurs de pierre par exemple. C'est une perte terrible pour la restauration du patrimoine.

Le patrimoine peut également être un outil au service de la revitalisation des centres historiques dégradés. C'était le but de la loi Malraux il y a plusieurs décennies. Je crois qu'il convient de le rappeler plus que jamais.

À l'examen des crédits, on constate des chiffres paradoxaux. Les crédits « patrimoines » augmentent en autorisations d'engagement de 10,9 %, mais baissent de 0,4 % en crédits de paiement. Cela s'explique par le transfert de l'action « patrimoine linguistique » du programme 175 vers un autre programme, pour un montant de 3,22 millions d'euros. Si les crédits apparaissent en baisse, ce n'est pas le cas en réalité.

On constate, pour les musées, une baisse des crédits de paiement. Cela est dû à l'évolution de l'échéancier des travaux du centre Georges-Pompidou. Les subventions des opérateurs sont stables. Les crédits pour l'enrichissement des collections publiques à Paris et en province sont préservés. L'État encourage d'ailleurs les opérateurs à développer leurs ressources propres. Or, à ce jour, seuls quelques établissements parviennent à dégager un autofinancement supérieur à 50 %, comme Versailles, le Louvre, le musée Picasso, et le musée d'Orsay. Les autres musées restent tributaires des subventions de l'État et, le cas échéant, des collectivités.

On constate une diminution des crédits pour les archives de 7 % en autorisations d'engagement et de 17 % en crédits de paiement, liée à l'évolution des échéanciers de travaux. Cette année correspond à la fin des travaux sur les sites des archives nationales, de Paris comme de Pierrefitte-sur-Seine.

Les crédits déconcentrés pour l'archéologie préventive et les fouilles en région sont revalorisés de cinq millions d'euros dans un souci de sincérité budgétaire. En effet, les années précédentes, on constatait une insuffisance des crédits en faveur de l'archéologie préventive dans le courant de l'année, qu'il fallait financer en prélevant sur les crédits du patrimoine, au détriment des travaux sur les monuments historiques. C'est la raison pour laquelle cinq millions d'euros ont été ajoutés au programme « patrimoine archéologique », qui augmente ainsi de 3,4 %. On peut espérer que ce sera suffisant. Mais il est arrivé certaines années qu'il faille abonder de plus de dix millions d'euros cette action.

Cette année encore, on constate une certaine inquiétude vis-à-vis d'une sous-consommation des crédits. Le ministre s'est engagé - et il nous l'a dit - à ce que l'intégralité des crédits soit exécutée d'ici à la fin de l'année. La sous-consommation est préoccupante. Elle entraîne la suspension de certains chantiers, d'où les conséquences catastrophiques pour les entreprises spécialisées dans les monuments historiques et les difficultés en matière d'emplois, d'apprentissage et de formation. Cette année, on peut espérer que ces crédits soient consommés compte tenu de l'effort consenti en faveur du patrimoine.

Les crédits consacrés au patrimoine et aux monuments historiques en 2019 augmentent en autorisations d'engagement de 25,1 % et de 4 % en crédits de paiement. L'augmentation très importante s'explique par deux grands projets : d'une part, la restauration du château de Villers-Cotterêts - le président de la République souhaite y installer un laboratoire mondial de la francophonie alors qu'il est aujourd'hui dans un état pathétique. Pour l'anecdote, ce château a abrité, pendant un siècle et demi, le « dépôt de mendicité » de la ville de Paris. Outre l'aspect humain qui est effroyable, le bâtiment a été totalement dégradé. L'autre projet est la rénovation du Grand Palais, dont le montant est estimé à 450 millions d'euros. D'autres opérateurs que l'État participent au financement de ces deux projets. Même ces deux grands projets mis à part, les crédits progressent fortement, notamment pour renforcer le fonds incitatif pour les monuments historiques des petites communes à faible potentiel financier mis en place l'an dernier. Quatre critères doivent être remplis pour son intervention : la taille de la commune - moins de 10 000 habitants avec une priorité pour les communes de moins de 2 000 habitants -, les ressources des communes, le type d'opération - il s'agit d'opérations portant surtout sur des monuments en péril ou en mauvais état, dont plus de 10 000 sont répertoriés - , enfin le type d'édifices : il s'agit des immeubles protégés au titre des monuments historiques. Il y a une seule condition : la région doit financer le projet à hauteur d'au moins 15 %. À ce jour, toutes les régions en France financent le patrimoine, sauf deux : la Normandie - où les départements sont très investis sur ce sujet - et Centre-Val de Loire. Ce fonds a permis de financer 151 opérations dans 12 régions.

Chaque année dans le rapport, je déplorais que Paris et la région parisienne drainent l'essentiel des crédits. Cette année, on constate un effort de régionalisation.

Il faut ajouter aux crédits du programme les 21 millions d'euros débloqués en compensation des taxes sur les recettes du Loto du patrimoine. Après la polémique, l'État a décidé de dégeler l'intégralité des crédits du programme 175 en 2018. Ces crédits transiteront par le budget de l'État mais seront affectés prioritairement à des projets sélectionnés dans le cadre du Loto du patrimoine, dont la gestion relève d'un opérateur de l'État, à l'image du centre des monuments nationaux (CMN). Trois projets vont être privilégiés : le château de Bussy-Rabutin en Côte d'Or, l'abbaye de Montmajour dans les Bouches-du-Rhône, et le château de Castelnau-Bretenoux dans le Lot. Ces crédits doivent être dépensés avant la fin de l'année 2018, annualité budgétaire oblige. C'est pourquoi seront privilégiées des opérations en cours.

Un mot sur la mission Bern et la première édition du Loto du patrimoine. Il y a une quinzaine d'années, notre commission avait créé une mission d'information que je présidais, et dont Philippe Richert était rapporteur. Nous avions conclu à la nécessité de mettre en place en France, sur le modèle de ce qui existait dans d'autres pays, une loterie en faveur du patrimoine. Bien que séduisante, l'idée avait été jugée compliquée à mettre en oeuvre pour des raisons budgétaires et techniques. La fourchette haute des estimations du Loto du patrimoine devrait être atteinte, grâce notamment aux jeux de grattage, dont la commercialisation se poursuit. Ils abonderont de 20 millions d'euros le financement de la protection du patrimoine, hors budget, à travers la Fondation du patrimoine. Celle-ci a sélectionné 269 projets dans toute la France, dont vous trouverez la liste en annexe du rapport. Elle est très équilibrée entre la métropole et l'outre-mer. L'opération sera pérennisée en 2019 et 2020. Conformément à la convention signée pour trois ans entre la Fondation du patrimoine et la Française des jeux. Il faut souhaiter qu'elle soit définitivement pérennisée, à l'issue de l'évaluation qui sera faite au terme de cette période. Le montant total des travaux sur les sites en péril signalés - 2 000 - est évalué à 2,5 milliards d'euros. L'intérêt du Loto est donc moins dans les crédits qu'il rapporte, que dans l'élan qu'il a permis de donner en France. La présidente de la Française des jeux m'a indiqué que de très nombreux tickets avaient été achetés par de nouveaux joueurs. Trouver des moyens nouveaux était nécessaire, alors que certaines sources financières pour le patrimoine se sont taries, tels la réserve parlementaire, qui a beaucoup servi pour le petit patrimoine rural, et le mécénat. Les dons des particuliers ont beaucoup baissé cette année, en raison de l'incertitude liée au prochain démarrage du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu et de la transformation de l'impôt sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière. En outre, le mécénat pourrait être menacé : vous avez tous vu le rapport de la Cour des comptes, ainsi que les polémiques autour de certaines opérations de mécénat. Dans le rapport qu'il a fait au nom de la mission d'information de note commission, notre collègue Alain Schmitz a pourtant montré l'importance de ce financement privé pour le patrimoine. Il y a de réels doutes aujourd'hui sur la capacité de l'État à financer dans la durée la protection du patrimoine, surtout dans une période où il se lance dans de grands travaux. Le CMN a été amené à reporter certaines opérations sur le Panthéon, à Saint-Cloud, au Mont-Saint-Michel, faute de crédits suffisants. Nous devons donc faire preuve de vigilance, afin que l'effort qui est fait ne s'arrête pas.

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