Mon intervention abordera trois sujets principaux : l'augmentation de l'immigration régulière, le dynamisme de la demande d'asile et enfin l'échec de la lutte contre l'immigration irrégulière.
Dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2019, la mission « Immigration, asile et intégration » représente 1,86 milliard en autorisations d'engagement (AE) et 1,69 milliard en crédits de paiement (CP), en hausse de 38 % en AE et de 22 % en CP par rapport à la loi de finances pour 2018. À périmètre constant, une fois les transferts de crédits corrigés, ces crédits augmenteront de 12 %. Cette évolution est supérieure à celle de l'ensemble des dépenses publiques inscrites dans le PLF et s'écarte de plus de 200 millions d'euros de la trajectoire prévue par la loi de programmation des finances publiques.
Si le Gouvernement présente ce budget comme la mise en oeuvre du plan ambitieux adopté en conseil des ministres le 12 juillet dernier, je regrette de retrouver les mêmes incohérences que dans la loi « asile, immigration et intégration ».
Certes, il y a lieu de se féliciter des réels efforts consentis dans certains domaines sur lesquels notre commission avait depuis longtemps appelé le Gouvernement à agir.
Ainsi, en matière d'intégration, l'augmentation des crédits devrait bénéficier à l'accueil des étrangers primo-arrivants avec, comme nous le préconisions, le doublement des cours de langue. Il conviendra cependant de rester attentif à la manière dont seront mises en oeuvre les mesures arbitrées et de procéder rapidement à leur évaluation. Certains efforts sont également bienvenus concernant l'accompagnement des demandeurs d'asile et leurs conditions matérielles d'accueil. L'objectif du Gouvernement est d'atteindre plus de 97 000 places d'hébergement pour les demandeurs d'asile fin 2019, grâce à la création de 1 000 nouvelles places dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), de 2 500 nouvelles places d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile (HUDA) et de 2 000 nouvelles places dans les centres provisoires d'hébergement (CPH) pour les personnes vulnérables ayant obtenu le statut de réfugié. Toutefois, malgré ces hausses ponctuelles et significatives par rapport à la loi de finances pour 2018, les moyens programmés dans le présent budget sont généralement fondés sur des hypothèses peu plausibles et restent notoirement insuffisants au regard de la réalité des phénomènes migratoires auxquels la France est confrontée.
Le PLF pour 2019 prévoit une stabilisation de la demande d'asile en 2019 puis en 2020. Or, situation atypique en Europe, la France reste exposée à une demande d'asile sans précédent, en progression de près de 19 % début 2018, et à des flux secondaires qui ne se tarissent pas, notamment depuis l'Espagne. Le budget de la mission est donc élaboré sur le fondement d'hypothèses irréalistes, qui permettent au Gouvernement de minimiser les besoins de financement des politiques migratoires. Ces hypothèses ont été jugées peu crédibles par l'ensemble des acteurs que j'ai entendus, et faussent d'emblée la sincérité de la programmation budgétaire. Je regrette vivement le « pari » que le ministre de l'intérieur a reconnu faire en la matière : faute de financements suffisants, le Gouvernement ne se donne pas les moyens des objectifs qu'il affiche. Sans un soutien budgétaire satisfaisant aux opérateurs que sont l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), ni les délais moyens cibles de traitement des demandes d'asile en six mois ni l'objectif de 86 % de demandeurs d'asile hébergés ne semblent tenables.
L'immigration régulière reste très dynamique, même si les admissions exceptionnelles au séjour ont arrêté de croître cette année. Il est regrettable que le Gouvernement persiste à refuser, si ce n'est d'abroger la « circulaire Valls », au minimum de mieux en encadrer les règles, quand on sait que cette circulaire a contribué à l'augmentation de plus de 30 % des régularisations d'étrangers en situation irrégulière en cinq ans.
Enfin, l'écart entre les annonces et les actes du Gouvernement se vérifie tout particulièrement dans le domaine de la lutte contre l'immigration irrégulière, parent pauvre de la politique migratoire. En la matière, les crédits ne représentent que 8 % du budget de l'ensemble de la mission. Si un effort important est consenti cette année pour la rétention, avec 450 places créées en centres de rétention administrative, l'effort est quasi nul depuis quatre ans sur les crédits consacrés à l'éloignement des étrangers en situation irrégulière.
Alors que le Gouvernement ne semble toujours pas en mesure de réaliser un quelconque suivi des déboutés du droit d'asile, il n'est guère étonnant que les politiques d'éloignement soient en échec. Le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) reste à un niveau très faible en 2017. Pire, il continue de baisser cette année : sur les six premiers mois de l'année 2018, 12,6 % des décisions d'éloignement seulement ont été exécutées.
Nous le disons depuis un moment, les accords de Dublin sont à bout de souffle. Ainsi, moins de 12 % des étrangers sous « statut Dublin » ont effectivement été transférés vers un autre État de l'Union européenne au cours des premiers mois de l'année 2018.
Au-delà de cette présentation générale, je souhaite vous communiquer quelques données plus précises. En matière d'immigration régulière, l'OFII voit ses moyens humains progresser avec une hausse de 95 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Par ailleurs, le nombre de visas délivrés, après avoir fortement baissé en 2015 et 2016 en raison des attentats, augmente de nouveau. En 2017, 242 665 premiers titres de séjour ont été accordés, soit une hausse de 5,3 % par rapport à 2016.
L'immigration régulière demeure principalement familiale (avec 35,9 % du total des flux en 2016) et étudiante (pour 32,3 %) ; l'immigration de travail reste marginale comme l'immigration « humanitaire ». Au total, près de 3 millions d'étrangers disposent d'un titre de séjour français valide en métropole, 68 % d'entre eux bénéficiant d'une carte de résident valable dix ans et renouvelable de plein droit.
En matière d'intégration, les efforts sont bienvenus, même s'il faut veiller à ce que les objectifs soient réellement mis en oeuvre. L'augmentation des crédits servira au doublement du nombre d'heures de formation linguistique pour les parcours existants, mesure sur laquelle j'insiste depuis longtemps, et à la création d'un nouveau parcours de 600 heures. Elle servira également à l'orientation et l'insertion professionnelles.
Les crédits consacrés à l'asile représentent une part essentielle du budget de la mission, puisqu'ils s'élèvent à 1,21 milliard d'euros. Cependant, nous jugeons peu crédible l'hypothèse retenue par le Gouvernement d'une progression de la demande d'asile de 10 % en 2018 et de 0 % en 2019 puis en 2020. En effet, la France est aujourd'hui le troisième pays de l'Union européenne en nombre de demandes de protection internationale reçues. Par ailleurs, le nombre de demandes d'asile a augmenté de 17,5 % en 2017 et a déjà crû de 21 % au cours des neuf premiers mois de l'année 2018. Selon les spécialistes, nous pourrions atteindre 120 000 demandes d'ici la fin de l'année. Les hypothèses du Gouvernement ne résistent donc pas à l'épreuve des faits et ses annonces ne sont pas réalistes. De plus, les objectifs assignés à l'OFPRA et à la CNDA en matière de réduction des délais de traitement des demandes d'asile semblent, dans ces conditions, difficilement atteignables. Il faut tout de même mentionner l'effort des préfectures pour réduire les délais d'enregistrement des demandes et de prise de rendez-vous.
En matière de lutte contre l'immigration irrégulière, la hausse des crédits est destinée à financer la rénovation et la création de places dans les centres de rétention administrative (CRA). Nous n'avons cependant pas obtenu de réponse à nos interrogations sur la nature des travaux réalisés et le nombre de personnels mis à disposition, compte tenu notamment de l'augmentation de la durée maximale de rétention de 45 à 90 jours.
Le phénomène de l'immigration irrégulière est par nature difficile à évaluer. Trois indicateurs sont disponibles. Il y a d'abord l'aide médicale d'État (AME) dont bénéficiaient 315 835 personnes fin 2017, chiffre en hausse de 1,4 % par rapport à 2016 et, surtout, en progression de 50 % depuis 2011. On constate également une forte augmentation du nombre d'étrangers contrôlés en situation irrégulière : 119 635 personnes ont été interpellées en 2017, contre 97 143 en 2016. Enfin, l'ampleur de cette immigration peut être mesurée au travers des refus d'admission, qui se sont élevés à 87 000 en 2017, contre 64 000 en 2016.
Pour conclure, je regrette que l'effort porté sur les procédures d'éloignement soit quasi nul. Sur les 103 940 mesures d'éloignement prononcées en 2017, seules 17,5 % ont été exécutées. En particulier, alors que le nombre d'OQTF a augmenté, le taux effectif d'éloignement a baissé : sur les premiers mois de l'année 2018, ce taux d'exécution a atteint 12,6 %.
Par conséquent, je propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».