en remplacement de Mme Nassimah Dindar, rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « Outre-mer ». - J'ai le plaisir et l'honneur de vous présenter les observations de notre rapporteure pour avis, Mme Nassimah Dindar, sur les crédits de la mission « Outre-mer » dans le projet de loi de finances pour 2019.
Mme Dindar a été contrainte de se rendre à La Réunion en raison de l'urgence de la situation sur l'île. Comme vous le savez sans doute, la contestation portée par le mouvement des « gilets jaunes » y a pris une tournure violente, et l'économie de l'île, déjà en grande difficulté, est quasiment paralysée depuis plus de dix jours. Un couvre-feu a été instauré la semaine dernière, et, à la demande de la ministre outre-mer, qui se rend aujourd'hui sur place, les prix des carburants et du gaz ont été abaissés hier.
Notre rapporteure pour avis nous avait alertés l'an passé sur la situation sociale très dégradée de la plupart des territoires ultramarins, qui en fait de véritables poudrières. Entre la fin de l'année 2016 et le début de l'année 2017, la Guyane avait été secouée par un mouvement social d'une ampleur et d'une longueur inédites depuis les émeutes de 2009. Le passage de l'ouragan Irma à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy et les difficultés sociales et sécuritaires qui en découlent appellent toujours un important effort de reconstruction. Le CHU de Pointe-à-Pitre, pivot de l'organisation des soins sur l'île de la Guadeloupe, a été largement détruit par un violent incendie en novembre 2017. Cette année, l'île de Mayotte a été le théâtre d'intenses manifestations contre l'insécurité et l'immigration illégales.
Ces difficultés remettent cruellement en lumière l'intensité des difficultés économiques, sanitaires, sociales et sécuritaires rencontrées par la plupart des territoires ultramarins. Permettez-moi de citer, à titre d'illustration, quelques chiffres qui me paraissent rendre compte de manière particulièrement parlante de la situation difficile, parfois même critique, des outre-mer sur les sujets qui intéressent notre commission.
Le chômage des jeunes culmine à des niveaux insoutenables, avec 45 à 55 % de jeunes concernés dans la plupart des outre-mer, soit la moitié d'une génération. Il est inquiétant de constater que ces chiffres sont en très nette augmentation par rapport à l'an dernier aux Antilles et à La Réunion.
Les Drom, qui ne comptent que 2,8 % de la population nationale, représentent 10 % des bénéficiaires du RSA en 2015. 19 % de la population est bénéficiaire du RSA en Guadeloupe, 16 % en Martinique, 14 % en Guyane et 18 % à La Réunion, contre 4 % dans l'hexagone.
De très graves et profondes difficultés sont également constatées dans le champ sanitaire, du point de vue de l'état de santé des populations ultramarines comme de l'offre de soins disponible sur ces territoires. Notre commission a pu le mesurer de manière très concrète lors des deux déplacements qu'elle a effectués, en 2016 et 2018, sur les territoires de l'Océan Indien et en Guyane. Mayotte et la Guyane sont particulièrement affectées par la mortalité périnatale, qui est le triple de celle constatée dans l'hexagone. Les standards de prise en charge sont encore très éloignés des normes hexagonales, du fait principalement du manque de praticiens. Ainsi, dans les maternités périphériques du centre hospitalier mahorais (CHM), les accouchements se font le plus souvent sans présence d'un médecin obstétricien. L'ensemble du territoire guyanais est déficitaire pour tous les maillons de l'offre de soins (offre médicale, PMI, prise en charge du handicap et de la dépendance, structures psychiatriques), ce qui nécessite de fréquentes évacuations sanitaires.
Sur le logement, enfin, les besoins restent immenses en matière de logement social, alors qu'une très large part de la population ultramarine y est éligible. Selon la DGOM, il serait nécessaire de disposer d'ici à 2030 de 50 000 logements supplémentaires en Guadeloupe pour répondre aux besoins, dont au moins 25 000 logements sociaux. 113 500 logements ultramarins dans les Drom sont par ailleurs considérés comme insalubres et indignes.
Face à ce sombre tableau, il faut reconnaître que le Gouvernement s'est montré particulièrement actif, en ce début de quinquennat, sur le front ultramarin. L'exécutif s'est déplacé à plusieurs reprises dans ces territoires, et a fait passer de nombreuses annonces portant sur le champ social. Lors de son déplacement aux Antilles en septembre dernier, le Président de la République a ainsi annoncé la reconnaissance de l'exposition au chlordécone comme maladie professionnelle ; après sa visite à Mayotte en octobre 2017, la ministre de la santé a annoncé la création d'une agence régionale de santé (ARS) de plein exercice sur ce territoire, ainsi que le doublement des montants du fonds d'intervention régional (Fir) dédiés à Mayotte.
Surtout, des Assises de l'outre-mer se sont tenues au premier semestre 2018, et ont débouché en juin dernier sur la publication d'un Livre bleu retraçant les attentes formulées par nos concitoyens d'outre-mer au cours de larges consultations publiques.
Il faut bien entendu se réjouir de cette meilleure prise en compte des difficultés ultramarines dans le débat public comme dans les ambitions gouvernementales. Nous devrons cependant nous montrer très attentifs quant à la traduction concrète de ces annonces, qu'elle soit législative ou financière. Les Assises de l'outre-mer sont intervenues huit ans après les États généraux de 2009, alors que nombre des constats et des propositions formulés dans ce cadre gardent toute leur actualité et toute leur urgence. Je vous rappelle par ailleurs que nous avons voté en 2017 une loi d'orientation pour les outre-mer, dite loi « Erom », qui est encore bien loin d'avoir produit tous ses effets - à tel point que l'on peut craindre qu'elle demeure à l'état de loi programmatique, plutôt que de loi de programmation. Afin que les constats et propositions formulés par les Assises ne se restent pas limités à de simples outils de communication, les véhicules législatifs et juridiques permettant de mettre en oeuvre l'ensemble des mesures du Livre bleu doivent être très rapidement identifiés.
Je me suis employée à rechercher la traduction de ces annonces dans le budget qui nous est proposé pour l'année 2019. Je vous le dis sans plus de suspense : si l'on peut observer une première évolution positive des outils financiers déployés en direction des outre-mer, les moyens proposés seront très insuffisants à répondre à l'immensité des besoins.
En 2019, les crédits de la mission « Outre-mer » s'élèveront à 2,6 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 2,5 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une augmentation respective de près de 23 % et 27 %, à périmètre courant, par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2018.
Cette augmentation, spectaculaire à première vue, résulte d'importantes mesures de périmètre qui font sensiblement évoluer les contours de la mission, puisqu'elles s'élèvent au total à 417 millions d'euros de crédits de paiement, soit 17 % des crédits de la mission. Ces mesures portent principalement sur le programme 138, qui retrace les différentes actions de soutien aux entreprises ultramarines.
Hors mesures de périmètre, les crédits de la mission seraient stables par rapport à la loi de finances initiale pour 2018 (0 % d'évolution en AE et + 0,1 % en CP, selon les éléments fournis par la DGOM). L'augmentation des crédits constants serait concentrée sur le programme 138, tandis que le programme 123 relatif aux conditions de vie outre-mer connaîtrait une diminution de 3,2 % en AE et 0,2 % en CP. Je dois vous dire que je m'interroge sur la compatibilité de cette évolution avec les objectifs de convergence fixés par le Gouvernement.
Dans ce budget, deux sujets entrent plus particulièrement dans le champ de compétence de notre commission.
Plus de la moitié des dépenses de la mission (soit 1,4 milliard d'euros) est consacrée à la compensation des exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane, de La Réunion ainsi que de Saint-Martin et Saint-Barthelémy. Cette politique d'exonération vise à la fois à améliorer la compétitivité des entreprises ultramarines, par une compensation des difficultés structurelles liées à leur position géographique, et à encourager la création d'emplois par la réduction du coût du travail.
Cette politique d'exonération a fait l'objet de mesures de rationalisation successives au cours des dernières années, visant notamment à recentrer ces exonérations sur les bas salaires, et qui est poursuivie dans le cadre de l'article 8 PLFSS pour 2019. Cet article opère, en même temps que la transformation du CICE en exonérations de cotisation sociales, un recentrage du soutien aux entreprises sur les niveaux de rémunération allant jusqu'à 2 SMIC - alors que le régime précédent permettait des allégements jusqu'à 3,5 SMIC pour les secteurs prioritaires, voire 4,5 SMIC pour certaines entreprises. C'est là l'origine de la première mesure de périmètre touchant à la mission, pour un montant de 296 millions d'euros.
Les amendements que j'ai déposés sur le PLFSS pour étendre la fourchette d'exonération n'ont malheureusement pas été repris par l'Assemblée nationale. Cela me paraît regrettable, et je vous le redis : il me semble dangereux de créer des trappes à bas salaires dans les outre-mer, qui ont au contraire fortement besoin de développer l'emploi qualifié pour renforcer leur attractivité.
S'agissant ensuite du domaine sanitaire et social, les budgets prévus dans le cadre de la présente mission sont limités : ils s'élèvent à 21 millions d'euros seulement pour un ensemble hétéroclite regroupant le sanitaire, le social, la culture, la jeunesse et les sports. En réalité, la plupart des dispositifs sanitaires sont financés ou dans le cadre de la sécurité sociale, ou au travers de financements versés aux collectivités territoriales pour l'exercice de leurs compétences.
Les crédits ouverts sont fléchés vers l'allocation spéciale vieillesse à Saint-Pierre-et-Miquelon, une aide aux personnes âgées et handicapées à Wallis-et-Futuna, ainsi que diverses subventions visant au financement d'actions de santé dans les collectivités d'outre-mer. La mission finance également le régime de solidarité territoriale (RST) polynésien.
J'observe que, contrairement aux années passées, les montants associés à ces différentes lignes budgétaires ne sont pas détaillés, ce qui ne me paraît pas de nature -c'est un euphémisme- à garantir la bonne information des parlementaires que nous sommes.
Les budgets dédiés au service militaire adapté (SMA) et au logement sont stables par rapport à l'année dernière, et ne portent pas de particulière ambition - ambition pourtant plus que nécessaire au regard des enjeux associés dans les outre-mer.
Il nous faut malgré tout nous satisfaire de ce que le budget qui nous est proposé confirme, en tout état de cause, la stabilisation des crédits spécifiquement dédiés à l'outre-mer au-dessus du seuil symbolique de 2 milliards d'euros. Je relève par ailleurs la mission « Outre-mer » représente 0,54 % du budget général de l'État pour 2019, contre 0,48 % l'an passé. Ce pourcentage en hausse témoigne au moins d'une certaine préservation des crédits spécifiquement affectés à l'outre-mer dans le cadre de l'effort financier global.
Je souhaite, pour conclure, vous faire quelques observations sur la confusion qui me paraît régner autour des dispositifs budgétaires bénéficiant aux outre-mer, ce qui rend malaisée l'évaluation des crédits associés dans le cadre du débat parlementaire.
Nous devons avoir en tête que la mission « Outre-mer » est bien loin de retracer l'ensemble des crédits consacrés aux territoires ultramarins : ceux-ci bénéficient en effet de crédits transversaux portés par 88 programmes relevant de 31 missions. La majeure partie des crédits concourant à l'action sanitaire et sociale de l'État dans les outre-mer est ainsi portée par d'autres missions que celle que nous examinons aujourd'hui. Au total, si l'on prend en compte à la fois les crédits retracés par la présente mission, ces crédits transversaux ainsi que les dépenses fiscales spécifiques aux territoires ultramarins, l'effort total de l'État en outre-mer atteindra 21,2 milliards en 2019 - soit dix fois les montants sur lesquels nous nous prononçons aujourd'hui.
Il résulte de cette architecture budgétaire que les réformes touchant aux outre-mer sont pour l'essentiel opérées en dehors du champ de la présente mission, ce qui rend leur suivi complexe. Je relève en particulier un réel problème de lisibilité des mesures successives d'ajustement des exonérations de cotisations sociales, qui sont faites, selon les années, ou bien dans le cadre du projet de loi de finances (PLF), ou bien dans celui du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), c'est-à-dire de manière non concomitante à l'examen de la présente mission. Les mesures structurantes concernant la santé interviennent également à titre principal en dehors du présent budget : la prise en charge totale par l'assurance maladie des soins de ville à Mayotte -et le report du déploiement un temps annoncé de la CMU-C sur ce territoire- a ainsi été actée dans le cadre de l'article 35 du PLFSS.
Enfin, les diverses mesures de périmètre qui redessinent au fil des ans les contours de la mission rendent très malaisé l'établissement de comparaisons entre les différents exercices budgétaires.
Sur ce point cependant, un élément du budget qui nous est proposé retient mon attention : les marges de manoeuvre dégagées par les mesures de périmètre prévues pour 2019 sont pour partie réaffectées à de nouvelles dépenses budgétaires. La maquette du programme 138 intègre ainsi une nouvelle action intitulée « Financement de l'économie », abondée par l'extinction de la TVA NPR ainsi que la réforme de l'impôt sur le revenu. Ce déplacement des moyens de la mission des dépenses fiscales et sociales vers des crédits budgétaires correspond à une orientation générale fixée par le Gouvernement. Lors de la discussion de l'article 8 du PLFSS en séance publique au Sénat, le ministre de l'action et des comptes publics a décrit la logique des mesures proposées en ces termes ! « moins de niches sociales et moins de niches fiscales pour les transformer en crédits budgétaires pour la mission ».
Je ne suis pas par principe opposée à une telle évolution, à condition de garder en tête que l'économie des territoires ultramarins est devenue, au fil des années, largement dépendante de la dépense fiscale et des exonérations de cotisations sociales. Cette dépendance ne résulte bien évidemment pas d'une préférence formulée par les territoires ultra marins eux-mêmes : c'est le résultat d'une préférence historique pour l'outil de la défiscalisation, au détriment de celui de la dépense budgétaire. Toute réforme en ce sens devra donc, en tout état de cause, être accompagnée d'un important travail d'évaluation préalable, afin de ne pas asphyxier les économies ultramarines, et de pédagogie auprès des acteurs concernés.
Tels sont, Monsieur le Président, mes chers collègues, les principaux éléments que je souhaitais porter à votre connaissance au sujet de la mission « Outre-mer ». Compte tenu de l'ensemble de ces observations, vous comprendrez que c'est sans grand enthousiasme que je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits - qui correspondent, je l'espère, à un budget de transition en attendant la traduction concrète des propositions des Assises.