Intervention de Xavier Pintat

Réunion du 3 mai 2011 à 22h30
Traité avec la grande-bretagne et l'irlande du nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques — Adoption d'un projet de loi en procédure accélérée dans le texte de la commission

Photo de Xavier PintatXavier Pintat, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la signature du traité relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes, que nous examinons aujourd’hui, figure parmi les décisions essentielles prises lors du sommet franco-britannique de Londres, le 2 novembre 2010.

La construction par la France et le Royaume-Uni, sur notre territoire, d’un outil d’expérimentation commun voué à la simulation pour les armes nucléaires constitue, en effet, un projet remarquable à la fois par sa dimension scientifique et par le montant des économies qu’il permettra de réaliser.

Toutefois, ce projet est surtout important par sa dimension stratégique. Il touche à la dissuasion nucléaire et engage une coopération européenne dans un domaine où le Royaume-Uni entretenait jusqu’ici une relation pratiquement exclusive avec les États-Unis.

Je formulerai trois observations.

Premièrement, ce traité s’inscrit, bien entendu, dans le cadre de la relance de notre coopération bilatérale de défense et de sécurité avec le Royaume-Uni.

Le sommet de Londres a assigné une feuille de route ambitieuse à cette coopération. Celle-ci s’appuiera d’ailleurs sur une autre convention, à vocation plus générale, un traité-cadre de coopération qui, en application de nos règles constitutionnelles, ne nécessite pas d’approbation parlementaire avant sa ratification.

La France et le Royaume-Uni visent le même objectif : il s’agit de préserver des capacités militaires essentielles ainsi qu’une base industrielle et technologique de premier plan, malgré un contexte budgétaire difficile.

Je rappelle que le Royaume-Uni a prévu de réduire de 8 % son budget de défense d’ici à 2015, avec des conséquences telles que le retrait de son porte-avions et un « trou capacitaire » sur l’aviation embarquée jusqu’en 2020, la renonciation à l’aviation de patrouille maritime, la réduction de format de la flotte de surface, de l’aviation et des forces terrestres.

Certes, on peut estimer que, si les Britanniques s’orientent vers des coopérations accrues avec la France, c’est sans doute moins par choix que par nécessité.

Par ailleurs, il ne faut pas méconnaître les obstacles potentiels à la mise en œuvre de ce partenariat, par exemple les contraintes liées aux arbitrages financiers propres à chaque pays ou les inévitables différences d’appréciation portant sur les besoins opérationnels et les priorités industrielles.

Il me semble, toutefois, que les décisions annoncées à Londres concilient l’ambition et le pragmatisme. Les objectifs qui ont été identifiés portent sur un nombre limité de domaines, présentant un intérêt majeur pour l’un et l’autre pays.

Je pense, bien entendu, à la dissuasion nucléaire, mais également aux systèmes de combat sous-marins, aux satellites de télécommunications, aux drones d’observation et de combat et aux missiles, avec le projet « One MBDA » visant à constituer un secteur franco-britannique des armes complexes.

Cette relance de la coopération supposait une impulsion politique forte, qui devra être maintenue dans la durée. C’est pourquoi il faut se féliciter que le traité-cadre de coopération ait prévu une structure de pilotage située au plus haut niveau, c’est-à-dire celui du Président de la République française et du Premier ministre britannique. À l’échelon immédiatement inférieur, deux autres organes, relevant respectivement des chefs d’état-major interarmées et des directeurs nationaux de l’armement, permettront de superviser la mise en œuvre des projets communs.

C’est également pour soutenir cette dynamique de coopération que le président de notre commission, Josselin de Rohan, s’est fortement investi dans la mise en place d’un suivi parlementaire franco-britannique. La première réunion associant les commissions de la défense des deux chambres du Royaume-Uni et de la France a eu lieu au Sénat quelques jours après le sommet de Londres. La prochaine se tiendra au mois de juillet 2011.

Je voudrais à présent revenir sur le débat dans lequel on a cherché à opposer le renforcement de notre coopération bilatérale avec le Royaume-Uni et l’avenir de l’Europe de la défense.

Je ne conteste pas que, dans un premier temps, notre démarche ait pu susciter des interrogations chez certains de nos partenaires, voire froisser quelques susceptibilités. Néanmoins, je suis certain que, au final, elle ne peut avoir qu’un effet stimulant.

D’ailleurs, cette méthode de coopération réaliste, fondée sur de véritables besoins et calendriers communs, a été montrée en exemple par plusieurs responsables étrangers. Elle témoigne que des partages de capacités ou des dépendances mutuelles sont envisageables.

Il est souhaitable que d’autres groupes de pays engagent, sur le même modèle, des coopérations de nature à permettre une meilleure utilisation de leurs ressources.

Au demeurant, la coopération franco-britannique n’est pas exclusive de la participation d’autres partenaires européens aux projets décidés en commun, dès lors, bien sûr, que ces États visent les mêmes objectifs. Elle ne s’oppose pas non plus à d’autres formats d’association, car elle ne couvre pas, loin de là, tout le champ potentiel des coopérations. À titre d’exemple, nous travaillons avec le Royaume-Uni sur les satellites de télécommunications et avec d’autres pays sur les satellites d’observation.

Enfin, il faut rappeler que la France et le Royaume-Uni sont les deux seuls pays européens à disposer de toute la gamme des capacités militaires, ce qui se reflète dans le niveau de leurs budgets de défense. Leur statut international et l’étendue des relations qu’ils entretiennent sur tous les continents les amènent objectivement à jouer un rôle de premier plan en matière de sécurité internationale.

Il est évident qu’un effritement des capacités militaires françaises et britanniques nuirait à la défense européenne dans son ensemble. En cherchant à optimiser leurs moyens et à préserver leurs capacités, les deux pays non seulement obéissent à leurs intérêts nationaux, mais aussi contribuent à maintenir une participation européenne significative dans l’OTAN et une base solide pour les opérations de la politique de sécurité et de défense commune.

On a trop souvent regretté que le Royaume-Uni ne se tourne pas suffisamment vers l’Europe en matière de défense pour reprocher aujourd’hui à ce pays une coopération renforcée avec l’autre acteur militaire majeur qu’est la France.

Pour toutes ces raisons, cette coopération, bien qu’elle soit bilatérale, me paraît incontestablement utile pour l’Europe dans son ensemble.

Deuxièmement, j’évoquerai le traité qui nous est soumis aujourd’hui. Celui-ci touche au domaine de la dissuasion nucléaire et constitue un volet marquant des décisions prises à Londres.

Il faut le rappeler d’emblée, ce traité porte sur un aspect bien délimité et précis des programmes nucléaires militaires des deux pays : les techniques de simulation permettant de garantir la fiabilité et la sûreté des armes nucléaires sans essais en grandeur réelle.

Il faut le souligner également, cette coopération ne porte pas sur la mise au point des armes elle-même. Il s’agit de partager l’utilisation d’une installation construite en commun, où chacun pourra effectuer séparément ses propres expérimentations, en pleine souveraineté.

Comme la France, le Royaume-Uni a signé en 1996 le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, le TICE. Nos deux pays ont d’ailleurs déposé le même jour, le 6 avril 1998, leur instrument de ratification.

Comme la France, le Royaume-Uni recourt à la simulation pour valider le fonctionnement de ses armes. Pour mettre en œuvre cette capacité, les deux pays font appel à des ressources similaires : des moyens de calcul, des travaux de physique théorique, enfin la validation expérimentale de ces derniers grâce à deux grands types d’outils, à savoir, d'une part, des lasers extrêmement puissants et, d'autre part, des installations radiographiques pour étudier l’étape initiale du fonctionnement de l’arme, ce que l’on appelle la « phase froide ». C’est sur ces installations radiographiques que porte le traité du 2 novembre dernier.

La direction des applications militaires – la DAM – du CEA, le Commissariat à l’énergie atomique, et son homologue britannique, l’Atomic Weapons Establishment, ou AWE, préparaient séparément des projets comparables de perfectionnement de leurs installations.

Constatant une grande convergence de besoins et de calendriers, ils sont arrivés à la conclusion qu’une installation commune permettrait de satisfaire les besoins de chaque pays. Il restait, sur ce domaine hautement sensible, à obtenir le dernier accord, l’accord politique, et à définir des modalités pratiques apportant à chaque pays les mêmes garanties que s’ils disposaient d’une installation strictement nationale.

Le traité que nous examinons aujourd’hui constitue l’aboutissement de ces discussions. Mon rapport écrit comporte tous les détails sur cette installation commune qui sera réalisée au centre du CEA situé à Valduc, en Côte-d’Or, et qui se dénommera EPURE, pour Expérimentations de physique utilisant la radiographie éclair.

Le traité du 2 novembre 2010 formalise le contenu, le déroulement et le calendrier du programme. Il pose le principe du partage des coûts pour la construction et le fonctionnement de l’installation. Les dispositions relatives aux garanties et modalités d’accès sont particulièrement importantes.

La France – je le rappelle – s’engage à garantir l’accès du Royaume-Uni à EPURE durant cinquante ans. Le Royaume-Uni prend l’engagement réciproque pour le centre de recherches commun qui sera créé à Aldermaston.

Le traité prévoit le statut des zones dédiées à une utilisation exclusivement nationale, dont l’accès est régi par les autorités de chaque pays. Il comporte également une série de dispositions très précises sur les règles applicables en matière de sûreté, de gestion des déchets ou de responsabilité.

Troisièmement, enfin, le traité que vous examinez aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, et la coopération qu’il permet d’engager m’apparaissent comme des résultats marquants du sommet de Londres.

D’abord, cette coopération permettre de réaliser, grâce au partage des investissements, une économie appréciable pour la France : 200 millions d’euros entre 2015 et 2020, 200 millions à 250 millions d’euros après 2020, soit, au total, entre 400 millions et 450 millions d’euros sur la durée de vie de l’installation.

Ensuite, chaque pays conservera l’entière responsabilité de ses expériences et la propriété des résultats, mais le regroupement sur un même site sera propice aux échanges scientifiques et à l’émulation qui s’ensuit. Il s’agit d’un élément non négligeable dans la perspective du maintien, sur le long terme, de la qualité et de la motivation des scientifiques en charge de la garantie de nos armes.

Enfin, cette coopération en matière nucléaire militaire comporte une dimension politique majeure. Elle s’effectuera dans le plein respect de la souveraineté de chaque État. Mais, monsieur le ministre, mes chers collègues, elle témoigne de leur très haut degré de confiance, dans un domaine où le Royaume-Uni entretenait historiquement une relation privilégiée avec les États-Unis.

Elle marque aussi très clairement la volonté de la France et du Royaume-Uni de garantir la crédibilité de leur dissuasion. Nos deux pays présentent, en matière de dissuasion nucléaire, une grande proximité de doctrine et de postures. C’est pourquoi ils ont soutenu des positions similaires lors du débat nucléaire qui a marqué l’année 2010, à la conférence d’examen du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP, et à l’OTAN, au moment de la rédaction du nouveau concept stratégique.

Dans le préambule du traité du 2 novembre 2010, la France et le Royaume-Uni soulignent « l’importance de la dissuasion nucléaire, qui est un élément-clé de leurs stratégies de défense nationales et alliées », et se disent déterminés à maintenir « une capacité nucléaire minimale crédible ».

Cette crédibilité est essentielle au regard de la défense de chacun des deux pays, mais elle joue également un rôle plus large, à l’échelle européenne.

Comme ils le rappellent également dans le préambule du traité, la France et le Royaume-Uni considèrent que leurs forces nucléaires « contribuent à la sécurité de l’Europe dans son ensemble ».

Il me semble que ce traité conforte le maintien d’une capacité de dissuasion nucléaire en Europe. La possession d’une telle capacité par des pays européens reste nécessaire dans un monde marqué par la subsistance d’arsenaux importants et le risque de prolifération nucléaire, notamment au Moyen-Orient.

En conclusion, je voudrais saluer la qualité du travail préparatoire réalisé par la direction des applications militaires du CEA et par son équivalent britannique. Ils ont rendu possible ce projet, qui présente un intérêt financier évident pour notre défense et donne une nouvelle dimension tout à fait stratégique à notre coopération avec le Royaume-Uni.

Au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je vous demande d’adopter ce projet de loi.

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