Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les dispositifs de soutien aux entreprises inclus dans la mission « Économie » sont tellement hétérogènes que les gouvernements successifs semblaient s’être résolus, année après année, à une simple logique de rabot. Il faut reconnaître, madame la secrétaire d’État, que le vôtre n’a pas fait le choix du rabot : il a fait le choix du super-rabot…
Il suffit de considérer quelques chiffres : hors plan France Très haut débit, sur lequel je reviendrai, les crédits de la mission s’établissent à 1, 8 milliard d’euros, en baisse, inédite, de 5, 8 %, soit 100 millions d’euros. Cette baisse est très concentrée sur les dispositifs d’intervention en faveur des entreprises du programme 134, dont le montant global recule de 18 %, soit 632 millions d’euros, en un an.
Au demeurant, madame la secrétaire d’État, « super-rabot » n’est pas forcément une critique, car il est nécessaire de mettre de l’ordre parmi les multiples aides directes ou indirectes, prêts, garanties, actions collectives de formation, de promotion ou encore de mutualisation – sans même parler des crédits d’impôt et autres dépenses fiscales. En effet, leur accumulation progressive, leur sédimentation et leur gestion en silos avaient fini par les rendre illisibles et impropres à incarner les priorités politiques d’un gouvernement, quel qu’il soit.
Une partie de la baisse des crédits s’explique aussi par la suppression de la dotation de 40 millions d’euros à Bpifrance Garantie. Non que l’État se désengage, mais Bpifrance dispose, au moins pour l’instant, de la trésorerie nécessaire pour assurer cette mission. Je me félicite toutefois qu’une ligne de crédits, certes symbolique – 10 000 euros –, ait été rétablie par l’Assemblée nationale, sur l’initiative d’Olivia Grégoire, pour préserver le lien entre le Parlement et Bpifrance.
Mais tout de même, madame la secrétaire d’État : depuis 2014, le montant global des dispositifs d’aide aux entreprises est passé de 235 à 65 milliards d’euros, soit une réduction, considérable, de 73 % !
L’exemple le plus significatif est sans aucun doute celui du Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, qui sera placé en gestion extinctive à partir de l’année prochaine, après avoir vu sa dotation fondre de 80 % entre 2010 et 2018. Nous y reviendrons lors de l’examen des amendements.
Ce que nous percevons entre les lignes, c’est un désengagement progressif et délibéré de l’État, comme une manière de dire aux collectivités territoriales, et d’abord aux communes et aux régions : c’est maintenant votre travail !
Or les choses ne sont pas aussi simples. Dans un contexte budgétaire contraint pour les collectivités territoriales, le maintien de dispositifs ponctuels, au demeurant très modestes, constitue une forme de soutien complémentaire : pour ainsi dire, un « plan B », lorsqu’il n’existe pas de « plan A » au niveau local. Ce n’est pas grand-chose pour l’État, mais c’est beaucoup pour les territoires.
J’ajoute que, du simple fait de la recomposition de la carte intercommunale, de nombreuses communes rurales sortent des classements en zone de revitalisation rurale, ou ZRR, à la suite de quoi leurs entreprises perdent le bénéfice des exonérations correspondantes.
Ce qui vaut pour les dispositifs vaut aussi pour les acteurs. Pour eux aussi, l’effort budgétaire est inédit : 264 postes seront supprimés l’année prochaine dans le cadre du recentrage, sur certaines actions prioritaires, de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, de la direction générale des entreprises et de la direction générale du Trésor. En pratique, ce recentrage est surtout un resserrement des réseaux dans les territoires, avec notamment une suppression d’effectifs importante dans les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, les DIRECCTE.
La même remarque vaut pour les chambres de commerce et d’industrie. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le signaler lors de l’examen de la première partie, alors que la revue de leurs missions se poursuit et que les mesures d’accompagnement du projet de loi PACTE ne sont pas encore votées, les CCI font face à une nouvelle baisse de leur taxe affectée : 100 millions d’euros en moins l’année prochaine, 400 millions d’euros sur le quinquennat. C’est pourtant l’inverse qui avait été annoncé l’an dernier. Résultat : elles doivent se préparer à supprimer 2 000 postes.
Madame la secrétaire d’État, il ne faudrait pas que la mission « Économie » devienne la mission « Économies », au risque d’abandonner sa vocation première !
Je terminerai par quelques mots sur le plan France Très haut débit. Le programme 343 représente la participation de l’État, soit 3, 3 milliards d’euros, à cette opération destinée à assurer la couverture de 100 % du territoire en très haut débit d’ici à 2022.
Madame la secrétaire d’État, toutes les autorisations d’engagement ont aujourd’hui été consommées, et seuls des crédits de paiement seront débloqués en 2019. Or il est aujourd’hui clair que les sommes prévues ne suffiront pas.
Elles ne suffiront pas, d’abord, à résoudre les problèmes que nous constatons tous dans nos territoires. Seuls 10 % des locaux situés dans la zone d’initiative publique sont, à ce jour, éligibles à la fibre optique, contre 56 % des locaux de la zone d’initiative privée, plus dense, donc plus rentable.
La possibilité de demander des engagements contraignants aux opérateurs, les fameux appels à manifestation d’engagements locaux, ou AMEL, ne résoudra pas tous les problèmes. L’ouverture d’un guichet de cohésion numérique pour financer des technologies alternatives – 4G fixe et satellite – dans les zones reculées va dans le bon sens, mais ce guichet ne représente que 100 millions d’euros, sous forme de subventions individuelles de 150 euros par équipement, sans engagement des opérateurs à maintenir un tarif attractif au-delà d’un certain délai.
Surtout, si les crédits actuels permettent de financer la couverture du territoire à 100 % en très haut débit, ce qui compte, à terme, c’est bien l’objectif d’une couverture à 100 % en fibre optique. Il faut dès aujourd’hui se poser la question de l’après-2022. Je ne parle pas seulement du déploiement des réseaux, mais aussi de leur maintenance à long terme.
Demain, plusieurs réseaux coexisteront en France, ce qui constituera une rupture avec l’époque du monopole d’Orange sur le réseau cuivre. C’est un défi majeur.