Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 30 novembre 2018 à 14h30
Loi de finances pour 2019 — Investissements d'avenir

Photo de Victorin LurelVictorin Lurel :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, l’exercice auquel nous nous prêtons en ce début d’après-midi est pour le moins étrange. En effet, la présentation du compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État » s’opère de façon conventionnelle, avec un montant artificiel de crédits. Les impératifs de la LOLF sont aménagés afin de préserver la confidentialité des opérations de cession envisagées au cours de l’année suivante.

Cette année, le montant conventionnel de crédits est multiplié par deux. Ce choix artificiel est censé tenir compte des cessions envisagées par le Gouvernement et faisant l’objet de dispositions législatives dans le projet de loi dit « PACTE », que nous allons prochainement examiner.

Mes chers collègues, vous connaissez sans doute à grands traits le projet du Gouvernement. Il s’agit de céder 10 milliards d’euros de participations afin d’abonder un fonds pour l’innovation dite « de rupture », dont seuls les intérêts seront affectés à l’innovation. La dotation du fonds est donc non consomptible.

Ce projet initial a été précisé dans le courant de l’année. Créé en janvier dernier, le fonds est placé auprès de l’EPIC Bpifrance. Il a reçu une dotation transitoire dans l’attente des cessions effectives d’Aéroports de Paris et de la Française des jeux, soit 1, 6 milliard d’euros en numéraire, et des titres de l’État dans Thales et EDF. Ces titres n’ayant pas vocation à être cédés, ils sont confiés au fonds à titre temporaire, afin d’assurer dès cette année le soutien à l’innovation de 250 millions d’euros.

Surtout, en août dernier, les modalités de placement de la dotation en numéraire du fonds ont été précisées. En pratique, les 10 milliards d’euros seront placés sur un compte ouvert auprès du Trésor, portant des intérêts annuels de 2, 5 %. Compte tenu de ce taux, particulièrement avantageux dans le contexte actuel de taux faibles, je serais tenté de féliciter le Gouvernement pour ce rendement. La réalité est malheureusement plus sombre : le rendement annuel du fonds de 250 millions d’euros sera retracé dans le budget général de l’État au titre du service de la dette. J’y vois tout simplement un tour de passe-passe. En effet, la dotation du fonds pour l’innovation viendra s’inscrire en déduction de la dette maastrichtienne. Par cet artifice, le Gouvernement affiche une réduction artificielle de l’endettement public. Le mécanisme du Gouvernement permet, en réalité, de contenir de 20 % le dérapage de l’endettement de l’État.

Compte tenu de ce mécanisme, la commission des finances a adopté un amendement visant à réduire la contribution au désendettement assurée par le compte, dont le montant est doublé par rapport à l’an dernier. Il ne faudrait pas que l’État préempte les recettes des privatisations en empêchant le Parlement de donner son avis.

Récapitulons les conséquences pour le budget général de cette opération : les dividendes tirés d’ADP et de la FDJ seront perdus, pour un montant moyen de 200 millions d’euros par an, tandis que les intérêts dus au titre de la dotation du fonds pour l’innovation s’élèveront à 250 millions d’euros par an. Or le Parlement ne sera nullement associé aux modalités du soutien à l’innovation qui sera apporté par le fonds.

Mes chers collègues, relevez que, jusqu’à présent, je n’ai pas abordé la pertinence de ces cessions d’entreprises. Ces débats auront lieu lors de l’examen du projet de loi PACTE, et ils seront nourris, j’en suis certain. J’appelle simplement votre attention sur la manœuvre du Gouvernement, sur les risques qu’elle fait courir aux intérêts patrimoniaux de l’État, donc à ceux de nos enfants, que le Gouvernement affirme pourtant privilégier par ce tour de bonneteau.

D’autres solutions existent ; j’en citerai deux.

La première nous est livrée par le Gouvernement lui-même : la dotation transitoire actuelle pourrait être prolongée, dans l’attente des retours des investissements consentis dans le cadre des PIA. Ces derniers sont estimés à près de 3 milliards d’euros d’ici à 2022, puis à 8 milliards d’euros d’ici à dix ans. C’est précisément le montant nécessaire pour compléter la dotation du fonds.

La seconde consiste en une évolution du statut de l’Agence des participations de l’État. Actuellement, il s’agit sans doute du seul gestionnaire de participations qui ne bénéficie pas du produit des actifs qu’il gère. Si cette agence était dotée de la personnalité morale, elle pourrait percevoir ces dividendes. Elle serait liée à l’État par un contrat pluriannuel déterminant le montant du dividende annuel qu’elle serait tenue de lui verser.

Cette évolution apporterait une solution aux deux difficultés principales actuellement constatées : d’une part, l’instabilité du montant annuel des dividendes perçus par l’État serait lissée ; d’autre part, l’information du Parlement ainsi que ses pouvoirs de contrôle seraient améliorés. L’équation insoluble entre l’information du Parlement et la confidentialité des opérations de l’État actionnaire, que le Gouvernement invoque pour justifier la mise à l’écart des deux assemblées, serait résolue.

Sous réserve de l’adoption de l’amendement que je vous présenterai et des observations que j’ai formulées, je vous recommanderai d’adopter, quoique dans la douleur, les crédits du compte spécial pour 2019.

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