Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, nous avions l’habitude, chaque année, que le montant des recettes pour le compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État » soit fixé de manière conventionnelle à 5 milliards d’euros. Pour l’année 2019, le projet de loi de finances double la prévision de recettes en la portant à 10 milliards d’euros. Cette hausse prévisionnelle découle des privatisations envisagées l’année prochaine par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi PACTE, qui sera bientôt examiné au Sénat. L’État entend ainsi se séparer d’Aéroports de Paris, de la Française des jeux et d’Engie.
Inscrite aujourd’hui au budget sans l’avis du Parlement, ainsi que l’a justement fait remarquer notre collègue Victorin Lurel, cette recette importante doit être consacrée, d’une part, au désendettement de l’État, pour 2 milliards d’euros, et, d’autre part, à la création en capital du fonds pour l’innovation et l’industrie. Pour nous, c’est un non-sens stratégique, économique et politique, et je vais essayer de le démontrer dans la suite de mes propos.
C’est un non-sens économique, parce que le Gouvernement estime lui-même que ce fonds pour l’innovation ne serait doté chaque année que de 250 millions d’euros, distribués sous forme de prêts ou d’avances remboursables. Cette somme correspond aux dividendes issus du placement du capital obtenu par la cession des actifs en question. Or l’État percevra 173 millions d’euros de dividendes du seul groupe ADP en 2018. En outre, avec une progression moyenne de 10 % du résultat net observé lors des dix dernières années, on estime que, d’ici à cinq ans, les seuls dividendes perçus d’ADP pourraient financer la totalité de ce fonds.
J’apprécierais vivement que l’on nous explique, dès lors, l’intérêt économique que l’on trouve à se séparer d’un groupe comme ADP, d’autant que d’importants investissements sont par exemple réalisés pour l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, qui permettront d’augmenter sa capacité de 10 millions de voyageurs. Il est également question d’améliorer sa desserte grâce à l’efficience de sa plateforme multimodale et de créer un quartier d’affaires international dans le cadre du projet « Cœur d’Orly ».
Pourquoi nous séparer d’infrastructures aussi stratégiques ? Pourquoi perdre la maîtrise de cette entreprise, alors qu’il est possible de flécher, tout simplement, la totalité des dividendes perçus d’ADP vers ce fonds pour l’innovation et l’industrie ? Autrement dit, pourquoi choisir une privatisation plutôt qu’une optimisation des dividendes actuellement perçus, au regard de leur produit ?
Ce sont des questions essentielles qui sont posées au Gouvernement, lequel, à l’heure actuelle, ne nous a toujours pas démontré l’efficacité d’une telle opération. Bien au contraire ! Dois-je rappeler comment ce gouvernement a décidé de céder Alstom à Siemens pour zéro euro ? Vous pouvez froncer les sourcils, monsieur le secrétaire d’État, mais c’est ainsi : vous avez accepté que Siemens soit majoritaire dans le groupe résultant de la fusion ! Nous n’aurons donc plus la maîtrise d’Alstom ni de la filière ferroviaire !
Je n’ai pas encore évoqué la privatisation de la Française des jeux, qui laissera l’État gérer et supporter seul les dépenses sociales liées aux addictions et au surendettement sans même percevoir des dividendes. Les plus grandes craintes ont également été exprimées à l’Assemblée nationale quant à un désengagement de la Française des jeux du financement du sport, un domaine déjà fortement amputé dans le projet de loi de finances pour 2019.
Permettez-moi de faire ici le lien avec l’incohérence et le non-sens stratégique que j’évoquais au début de mon propos. L’année dernière, j’avais déjà souligné le danger de perdre la main sur des entreprises stratégiques pour notre pays. Je le redis cette année avec force : ces cessions risquent de considérablement diminuer les capacités d’intervention de l’État et, à terme, de l’empêcher de se mobiliser pour sauver une grande entreprise française, comme il l’a fait pour PSA il y a quelques années.
Une autre question se pose : ce fonds pour l’innovation et l’industrie n’est-il pas mis en place au détriment de la capacité d’action et de stratégie industrielle de l’État ? Les raisons mêmes de sa création nous échappent, puisque le crédit d’impôt recherche, le CIR, permet déjà de mobiliser des sommes autrement plus importantes.
L’année dernière, la question de l’intérêt de ce fonds avait également été posée, dans la mesure où deux acteurs publics importants agissaient antérieurement dans ce domaine : le Commissariat général à l’investissement et, surtout, Bpifrance, une belle réalisation que l’on aurait pu recapitaliser afin de lui permettre d’être plus interventionniste encore dans les territoires. Pourquoi ne pas l’avoir fait ? À l’issue de la mission d’information que j’ai menée avec Alain Chatillon, nous avions souligné notre préférence pour un renforcement de Bpifrance, afin de lui permettre d’assurer un niveau plus élevé de financement de l’innovation. Nous insistions aussi sur l’importance de coordonner ses actions avec celles du Commissariat général à l’investissement. À l’heure actuelle, nous ne percevons toujours pas la valeur ajoutée de ce fonds pour l’innovation et l’industrie par rapport aux deux structures existantes.
En bref, nous persistons et nous signons : ce fonds pour l’innovation et l’industrie n’a pas remplacé et ne remplacera jamais la volonté politique d’un État stratège pour soutenir à tout moment nos entreprises nationales, les plus grandes – quand elles sont en difficulté –, mais aussi les PME, les ETI et les TPE.
Dans une économie-monde, alors que la Chine met le paquet pour défendre ses industries et les subventionne sous le contrôle d’un parti État, alors que l’Amérique de Donald Trump soutient son industrie avec des relents protectionnistes, nous nous séparons de bijoux industriels, de grandes entreprises nationales. Ce n’est certainement pas la bonne méthode pour faire face à la mondialisation qui est devant nous !