Intervention de Annie Guillemot

Réunion du 30 novembre 2018 à 14h30
Loi de finances pour 2019 — Cohésion des territoires

Photo de Annie GuillemotAnnie Guillemot :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Commission européenne vient d’appeler les pays européens à investir massivement dans le logement social, afin de faire face à la pénurie de logements abordables, présente dans de nombreux pays. La production de logements sociaux a en effet plongé partout en Europe depuis une dizaine d’années, excepté en France, où elle est restée supérieure à 100 000 logements par an. Beaucoup de pays européens ont mené des réformes, comme le retrait de l’investissement public ou la vente du parc social, dont on voit aujourd’hui les effets désastreux, et ils font maintenant marche arrière.

Monsieur le ministre, vous n’allez pas dans le sens de l’Europe, qui invite donc à prendre en compte la crise du logement et à relancer l’investissement public dans « le logement abordable », dont le logement social, le locatif intermédiaire et l’accession à la propriété. Elle estime l’investissement nécessaire à 57 milliards d’euros pendant cinq ans – c’est la première fois que l’Europe préconise un tel chiffre –, afin de « loger les plus modestes pour éviter les coûts sociaux du mal-logement », lesquels sont évalués à 194 milliards d’euros par an à l’échelle européenne, et afin d’assurer la transition énergétique.

Vous n’allez pas dans ce sens, contrairement à l’Allemagne, où Mme Merkel vient de lancer son offensive avec un plan volontariste de 5, 7 milliards d’euros sur quatre ans pour construire 1, 5 million de logements, renforcer les aides et stimuler l’accession à la propriété, et contrairement aussi à Theresa May, qui a lancé un plan de 2, 3 milliards d’euros dédiés aux collectivités locales et bailleurs sociaux afin de construire et de réhabiliter le parc britannique de logements sociaux. Dans la continuité du budget précédent, votre objectif demeure, en effet, de faire des économies sur le logement. Rappelons que, jusqu’en 2017, notre pays faisait figure d’exception : alors que la production de logements sociaux s’effondrait en Europe, la France construisait encore plus de 100 000 logements sociaux par an.

Malheureusement, tous les voyants sont au rouge, avec une production de logements en baisse, comme le prouvent les chutes de 5 % des autorisations de mise en chantier et de 12 % des dépôts de permis de construire, avec les mises en vente qui se contractent fortement, en baisse de 13 %. La diminution des agréments initiée en 2017, en baisse de 9 %, semble se prolonger avec leur baisse de 5 % en 2018.

Avec vos réformes, la France est à contre-courant. L’affaiblissement des ressources des organismes d’HLM, leur restructuration à marche forcée ainsi que la vente contrainte de leur patrimoine vont sérieusement déstabiliser le secteur. La suppression de l’APL accession, qui représente 50 millions d’euros, et le recentrage du prêt à taux zéro sur les zones tendues ont eu des effets quasi immédiats sur la construction : le nombre de permis de construire pour des maisons individuelles a chuté de 14 % par rapport à la même période de 2017. Là où les ménages modestes pouvaient encore accéder à la propriété, les aides ont été supprimées. On est bien loin d’un « élan » du choc de l’offre !

Pour 2019, le budget dédié à la cohésion des territoires se contracte de 1 milliard d’euros, dont 900 millions d’euros du fait de l’application en année pleine de la RSL, qui a rapporté 800 millions d’euros cette année et dont le Gouvernement escompte 870 millions d’euros l’année prochaine. S’ajoute à cela la contemporanéité des APL. Mais il faudra les moyens nécessaires aux CAF, qui sont vraiment terrorisées par cette nouvelle procédure.

Vous poursuivez aussi votre politique d’économies sur les APL, revalorisées à 0, 3 % seulement, d’où 102 millions d’euros d’économies pour le budget. Si les organismes d’HLM semblent avoir intégré la baisse de leurs ressources en 2018, leur capacité à absorber la montée en charge de la RLS prévue en 2020, avec un quasi-doublement de la ponction – 1, 5 milliard d’euros –, suscite de nombreuses inquiétudes. Il faut impérativement reconsidérer cette trajectoire en vue du budget pour 2020, car ce « mur » de 2020 va faire passer en deçà du seuil de 100 000 la production des logements sociaux.

Pour ce qui est de l’aide à la pierre, le désengagement de l’État est assumé. Très clairement, cette politique de retrait total est inacceptable. Elle contrevient avec l’équilibre qui a prévalu à la création du FNAP.

Enfin, comment ne pas déplorer, une fois de plus, votre inaction en matière de hausse du foncier, qui entraîne un renchérissement continu des logements neufs, pèse sur le pouvoir d’achat et augmente les inégalités ?

En outre-mer, par ailleurs, quel sera le devenir de l’aide à l’accession à la propriété, que vous rétablissez temporairement et à budget constant au détriment de l’action Urbanisme ? Et où sont les mesures de prévention des copropriétés dégradées dont parlait Valérie Létard ?

Je terminerai en évoquant le budget dédié à l’hébergement d’urgence, en hausse de 12 %, ce que nous saluons. Cependant, la situation des CHRS nous inquiète, car cette hausse est fléchée sur les places d’urgence et les nuitées hôtelières. Elle ne bénéficiera donc pas aux CHRS, qui assurent l’hébergement d’insertion. Nous craignons aussi la fermeture de certains centres et de postes d’intervenants sociaux, ce que nous ne pouvons accepter, même si vous avez fléché 20 millions d’euros supplémentaires en direction des sorties de familles des hôtels.

Monsieur le ministre, le logement n’est pas une marchandise comme une autre. C’est un toit, c’est un refuge, c’est aussi notre intimité… Financiariser le logement, c’est accentuer la précarité de milliers de nos concitoyens qui, pour certains, n’arrivent plus à faire face. La vente massive de logements ne saurait compenser la baisse de ressources des bailleurs sociaux.

Les questions essentielles aujourd’hui concernent la capacité du secteur du logement social à faire face à l’ensemble des réformes que vous avez décidées, et notamment au « mur » de 2020, et les difficultés toujours croissantes des Français à accéder à un logement « abordable » qui réponde à leurs besoins.

Le groupe socialiste votera contre ce projet de budget pour le logement, sachant que Xavier Iacovelli interviendra, quant à lui, sur le budget de la politique de la ville.

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