Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission « Administration générale et territoriale de l’État » représente, cela a été dit, près de 3 milliards d’euros, soit une hausse de 3 % par rapport à 2018, et ce avant tout en raison des prochaines élections européennes. D’ailleurs, sans m’étendre davantage sur le sujet, je soulignerai que le contexte actuel des contrôles des comptes de campagne devrait inviter à interroger les prérogatives de la commission compétente en la matière.
Une fois neutralisée cette dépense du programme « Vie politique, cultuelle et associative », on observe une quasi-stabilité des crédits des autres missions : baisse de 2 % pour le programme « Administration territoriale » et hausse de 3, 9 % pour le programme « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur », avec des transferts d’emplois d’un autre programme et des investissements comme la mise en œuvre du réseau radio du futur. On déplore de nouveau ici, malgré les explications qui avaient été fournies, la baisse des moyens du fonds interministériel de prévention de la délinquance.
Ces éléments confirment tout simplement le caractère non prioritaire de cette mission et, par conséquent, le choix d’une érosion inexorable des moyens consacrés à l’administration territoriale de l’État.
Ce mouvement de repli d’un État de proximité et progressivement « dématérialisé » interroge sur la doctrine territoriale de l’État et les missions du réseau des préfectures.
Sur cet État en peau de chagrin « dématérialisé », le plan Préfectures nouvelle génération, ou PPNG, avait repensé, je le rappelle, les modalités de délivrance des titres aux usagers en mettant en place une dématérialisation des procédures, avec comme bilan la suppression de 1 300 ETP entre 2016 et 2018 et de 200 autres à prévoir pour 2019.
Certes, la numérisation est nécessaire, je m’inscris dans la continuité de ce qui a déjà été dit, pour moderniser notre État, pour l’adapter à une transformation de l’environnement et sécuriser les titres. Cela étant, des difficultés techniques évidentes se sont manifestées dans la mise en œuvre de cette numérisation, peut-être en raison d’une phase d’expérimentation trop courte, ce qui a non seulement affecté la qualité du service rendu aux citoyens, mais a également terni l’image de l’État.
Les nombreux dysfonctionnements informatiques du système d’information des certificats d’immatriculation des véhicules et du site internet de l’Agence nationale des titres sécurisés, l’ANTS, ont conduit à une explosion du nombre d’appels à cette agence, des blocages de dossiers, avec des conséquences fâcheuses, notamment aux niveaux professionnel et personnel, et parfois, je le rappelle, la condamnation de l’État.
Des mesures d’adaptation ou correctives ont été apportées, comme le renfort de téléconseillers à l’ANTS, dont le nombre est passé de 48 en 2017 à 175 en 2018, avec l’effet réussi d’avoir impacté l’ambition de réduction budgétaire initiale.
La numérisation, c’est très bien ; faire l’impasse sur la fracture numérique, ça l’est légèrement moins.
S’il est nécessaire de prendre totalement en compte cette fracture et, pour rappeler ce joli terme d’« illectronisme », il faut néanmoins avoir conscience que la dématérialisation complète des services administratifs d’ici à 2022 posera des difficultés, notamment au regard du principe républicain d’égalité devant le service public.
Le Défenseur des droits, qui a fait l’objet de plusieurs milliers de saisines sur le sujet, a dénoncé « les nombreuses atteintes aux droits d’usagers insuffisamment informés en amont de la réforme, trop peu accompagnés une fois celle-ci généralisée et dont les difficultés particulières [d’accès et de maîtrise d’internet] n’ont pas été prises en compte. » Pour rappel, 27 % des Français sont toujours sans accès à internet et 33 % maîtrisent peu cet outil.
Nous partageons bien entendu les inquiétudes du Défenseur des droits sur ces points. Sa suggestion d’introduire une clause de protection des usagers serait une bonne chose. C’est pourquoi nous proposerons d’amender les crédits de la mission.
Par ailleurs, quelle est la doctrine territoriale de l’État ? N’assiste-t-on pas à une inadéquation entre moyens et ambitions ?
La délivrance des titres sécurisés, au cœur du plan Préfectures nouvelle génération, amène à porter un débat de fond sur les missions de l’État dans les territoires. Alors que le PPNG visait à redéployer des emplois sur quelques priorités, les difficultés rencontrées ne l’ont pas permis. La Cour des comptes souligne surtout le renforcement d’autres missions : la lutte contre le terrorisme, la prévention de la radicalisation et la réforme du droit d’asile.
Dans la foulée du rapport Action publique 2022, le Premier ministre a signé deux circulaires pour donner un nouvel élan à la déconcentration, qui soit marqué par une volonté de proximité avec les citoyens et par un exercice des missions prioritairement au niveau départemental, voire infradépartemental.
Si l’on ne peut s’opposer à cet objectif, l’érosion progressive des moyens de l’administration territoriale laisse songeur quant à sa concrétisation, à plus forte raison avec la suppression annoncée de 50 000 postes de fonctionnaires dans le cadre d’Action publique 2022.
En outre, cette affirmation d’une nouvelle déconcentration pose la question de l’adaptation de l’État à l’organisation territoriale et décentralisée de la République, essentiellement sur deux points.
Le premier concerne le contrôle de légalité et l’ingénierie territoriale.
Le Gouvernement a affirmé sa volonté en matière d’ingénierie territoriale. Je pense, par exemple, à l’Agence nationale de la cohésion des territoires. Dans le même temps, la Cour des comptes estime « souhaitable » la fin de ces missions.
En matière de contrôle de légalité, on constate un resserrement du nombre d’actes à transmettre et, surtout, une priorisation des actes à contrôler, inégale entre les préfectures. Dans son rapport de 2016, la Cour des comptes relevait comme facteur explicatif le manque de temps et d’expertise des agents, lié à une perte d’effectif.
Le second point, enfin, porte sur les doublons entre l’État et les collectivités locales.
Le Premier ministre a demandé aux administrations de « clarifier le rôle de chacun et d’aller au bout du partage des compétences ». Or, pour reprendre une remarque de nos collègues Marie-Françoise Perol-Dumont et Éric Doligé, il y a une tendance quasi naturelle de l’administration déconcentrée à pratiquer l’interventionnisme « touche-à-tout » alors qu’elle n’en a plus les moyens.
Cette « clarification des missions » devait reposer, dès la rentrée de septembre 2018, sur une concertation pour une prise de décision à la fin de l’année. Espérons que le climat entre les élus locaux et le Gouvernement se réchauffe et que le mouvement de recentralisation qui est à l’œuvre depuis quelque temps laisse la place à un recentrage de l’État sur ses missions essentielles.
Pour conclure, je rappellerai juste que, depuis la loi du 28 pluviôse an VIII, date de la fondation de l’institution préfectorale, les préfectures et les sous-préfectures étaient avant tout des cuisinières et des drapeaux. En l’état actuel des choses, les cuisinières sont parties, et les drapeaux disparaissent peu à peu de la vie de nos concitoyens, alors même que ceux-ci les réclament comme nous le montre l’actualité.