Je réitère mes propos : je ne réclame pas de réforme structurelle, mais la renaissance d’une organisation territoriale qui a fait la France. L’ingénierie publique mise en pièces depuis vingt ans pour cause d’entrave à la concurrence y a joué un rôle essentiel.
Souvenez-vous de quelques étapes de cette mise en pièces, qui vient de loin : la loi du 11 décembre 2001 – je ne citerai pas les coupables – portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier, dite loi MURCEF ; la création, puis la suppression, de l’assistance technique fournie par l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire, l’ATESAT ; les réformes successives décimant les services préfectoraux – ainsi encore, entre 2008 et 2012, les effectifs des directions départementales des territoires, les DDT, et des directions départementales des territoires et de la mer, les DDTM, chargées de l’ATESAT, ont diminué de 30 %.
Cela est d’autant plus fâcheux, comme le souligne l’Association des maires de France, l’AMF, et plus encore l’Association des maires ruraux de France, l’AMRF, que, outre le coût financier de cette privatisation de l’ingénierie publique dans un domaine aussi stratégique, les cabinets privés censés suppléer l’absence de l’État sont eux-mêmes largement absents des territoires. Quand ils sont présents, ils manquent souvent du savoir-faire et de l’expérience des ingénieurs des Ponts ou du Génie rural d’antan.
Certes, les élus ont fait face, se sont organisés. Les départements et les intercommunalités ont créé des services spécialisés, des sociétés d’économie mixte, des sociétés publiques locales, etc. Mais c’est loin d’être le cas partout et les intercommunalités, comme les départements, n’ont aucune obligation en la matière, et toutes ne se sentent pas investies par cette nouvelle mission.
Ces solutions restent généralement le fruit d’initiatives locales dont rien ne garantit la pérennité. De plus, je ne parle pas des risques de tutelle occulte sur les communes que l’existence de tels organismes peut parfois faire courir.
Certes, il arrive, comme je l’ai constaté dans le Doubs que, faute d’alternative départementale ou intercommunale, des préfets maintiennent à la force du poignet un service minimum d’ingénierie en direction des communes rurales. Là encore, il s’agit d’initiatives locales sans garantie de pérennité et qui se limitent essentiellement à l’instruction des dossiers.
Ce qui inquiète le plus, c’est que ces initiatives ne sont pas vraiment dans l’air du temps libéral, comme se charge de le rappeler la Cour des comptes, qui, comme on le sait, se préoccupe uniquement de bonne gestion et n’assure la promotion d’aucune politique, même libérale. Ainsi, dans son rapport thématique de décembre 2017 relatif aux services déconcentrés de l’État, relève-t-elle : « Bien que la mission d’assistance technique fournie par l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire – ATESAT – ait été supprimée, l’État tend paradoxalement à réinventer des missions de même ordre ».
La Cour constate que, dans les DDT et les DDTM, il s’agit « d’“occuper” – oui, occuper – une partie des agents qui géraient précédemment l’ATESAT, soit environ 1400 ETP ». Voilà une dénonciation au nom de la bonne gestion, qui impose la réduction des services territoriaux de l’État et la chasse aux doublons, avec des missions prétendument à la charge, depuis la loi NOTRe, des départements et des intercommunalités.
À la fin du rapport, cependant, la Cour vend la mèche : « Enfin, la conformité de certaines missions de conseil et d’ingénierie territoriale avec le droit européen de la concurrence et des aides de l’État est dans certains cas douteuse, exposant l’État à des risques de contentieux. » Ça, c’est le crime suprême !
L’origine de cette charge, vous le savez, c’est la directive d’orientation de mars 2016, puis la circulaire de juillet 2018 par laquelle l’État annonçait qu’il allait enfin se préoccuper d’ingénierie territoriale. Le problème, c’est que, depuis, l’Arlésienne territoriale manque toujours à l’appel, les seules actions observées depuis 2016 étant l’affectation à cette mission prioritaire de 25 postes seulement et un inventaire inachevé des moyens en ingénierie actuellement mobilisables par les préfets.
Est-ce donc avoir mauvais esprit de penser que l’annonce de la naissance prochaine d’une agence nationale de la cohésion des territoires, …