Intervention de Antoine Lefèvre

Réunion du 1er décembre 2018 à 9h30
Loi de finances pour 2019 — Justice

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le constat est partagé, je le crois, sur toutes les travées : depuis quelques années, le ministère de la justice n’a pas les moyens d’exercer convenablement ses missions. Les effets de l’augmentation de ses moyens intervenue ces dernières années tardent encore à se matérialiser. Dans les tribunaux ou les établissements pénitentiaires, les personnels expriment leurs difficultés à exercer leur métier, voire leur désarroi. En effet, la surpopulation carcérale ou des délais de jugement trop longs contribuent à décourager les agents, qui, parfois, ne trouvent plus de sens à leur action.

C’est dans ce contexte de fortes attentes que s’inscrit ce projet de loi de finances : attentes en termes des moyens, mais aussi de fonctionnement même de la justice. À ce titre, le Gouvernement a présenté un projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, que le Sénat a largement amendé sur l’initiative de sa commission des lois.

De véritables réformes sont en effet indispensables, car les moyens seuls ne suffiront pas au « redressement » de la justice, pour reprendre l’intitulé de la proposition de loi déposée par notre collègue Philippe Bas, président de la commission des lois.

Madame la garde des sceaux, la commission des finances a émis un avis favorable sur l’adoption des crédits du ministère de la justice, considérant que l’augmentation de près de 4, 5 % des crédits hors compte d’affectation spéciale « Pensions » se justifie, s’agissant d’un ministère régalien que nous considérons comme prioritaire.

Certains regrettent que la hausse des crédits ne soit pas plus importante. Je partage leur impatience, mais je pense que la proposition du Gouvernement est équilibrée. En effet, les hausses de crédits doivent être crédibles et il serait illusoire de penser pouvoir dépenser – judicieusement s’entend – beaucoup plus. En effet, une fois le budget voté, il faut l’exécuter, et l’on se heurte alors à la réalité. Recruter et former du personnel, construire des établissements pénitentiaires, des juridictions, repenser des systèmes d’information : tout cela prend du temps et tous vos prédécesseurs, madame la garde des sceaux, en ont largement pris conscience.

Lors de mes récents déplacements sur le terrain, j’ai eu l’impression que les choses commençaient, lentement, à s’améliorer, notamment dans les juridictions. Les vacances de postes semblent s’amenuiser, l’ouverture du nouveau palais de justice de Paris ou la réouverture prochaine de la prison de Paris-La Santé – sites que j’ai tous deux visités – sont des signes visibles que la situation commence à évoluer, même si le défi reste de taille.

En ce qui concerne l’administration pénitentiaire, le projet de loi de finances prévoit une hausse de 95 millions d’euros des dépenses de personnel, afin notamment de créer de nouveaux postes de surveillant pénitentiaire pour combler les vacances.

À cet égard, madame la garde des sceaux, je souhaite vous poser quelques questions. Comment est-il envisagé de faire face à l’ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires, conjuguée aux départs à la retraite et à des difficultés de recrutement de surveillants pénitentiaires ? Pouvez-vous nous préciser les contours que devrait prendre la prime de fidélisation annoncée en janvier dernier à la suite du mouvement social de la fin de 2017 ? Combien d’agents seront concernés ? Quel en sera le coût ?

Le programme de construction de nouvelles places de prison retenu par le Gouvernement est moins ambitieux que ce qu’avait initialement annoncé le candidat Emmanuel Macron. Il est pourtant urgent de garantir un encellulement individuel, mais aussi, tout simplement, de dignes conditions de détention, permettant aux surveillants d’accomplir convenablement leur travail.

Le présent projet de loi de finances prévoit de consacrer près de 230 millions d’euros aux projets informatiques du ministère, soit une augmentation de 20 % par rapport à 2018. Ces investissements sont le signe du rôle crucial que le numérique peut et doit jouer dans la modernisation de la justice. Il devra toutefois en résulter, à terme, des économies.

La dématérialisation de la demande du bulletin n° 3 du casier judiciaire est une première étape, que je tiens à saluer, mais il faudra aller plus loin, en particulier en ce qui concerne les applications utilisées par le ministère lui-même, mais aussi avec ses partenaires, qu’il s’agisse des services de police ou de ceux des impôts.

Il conviendra de veiller à ce que la numérisation des procédures et des démarches demeure compatible avec un accès au droit sur l’ensemble du territoire, afin qu’à la fracture sociale et territoriale ne s’ajoute pas la fracture numérique.

Madame la garde des sceaux, je tiens également à vous faire part d’une inquiétude concernant le dynamisme des frais de justice. Il est justifié que les magistrats souhaitent recourir à toutes les techniques modernes existantes en vue de la manifestation de la vérité et leurs décisions ne sauraient être contraintes par des questions de coûts. Si d’importants progrès ont déjà été réalisés pour rationaliser le circuit de la dépense, les charges à payer demeurent particulièrement élevées.

Les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, augmentent, notamment afin de financer la création de cinq nouveaux centres éducatifs fermés. Le Sénat est très dubitatif quant à cette mesure, en raison du coût prohibitif du fonctionnement de ces structures – le prix de journée s’élèvera à 672 euros en 2019 – et du manque d’évaluation.

Enfin, la réforme de l’aide juridictionnelle engagée par le précédent gouvernement, qui a, entre autres mesures, abaissé le plafond de ressources pour en bénéficier, a conduit à une très forte augmentation de cette dépense dite « de guichet ». Ainsi, elle est passée de 360 millions d’euros en 2015 à 507 millions d’euros en 2019, soit une augmentation de 41 %.

L’aide juridictionnelle est financée en partie par des crédits budgétaires, en partie par des ressources fiscales affectées au Conseil national des barreaux. Dans ce contexte de croissance forte de l’aide juridictionnelle, une révision de ses modalités de financement paraît indispensable ; nous en reparlerons à l’occasion de l’examen des amendements.

Telles sont, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les observations que je souhaitais formuler sur ce projet de budget du ministère de la justice, que la commission des finances a considéré comme équilibré, compte tenu des nécessaires redressements de la justice et, bien sûr, des comptes publics.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion