Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 1er décembre 2018 à 9h30
Loi de finances pour 2019 — Justice

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, un peu plus d’un mois après l’examen de la réforme de la justice, nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur les crédits de la justice inscrits dans le projet de loi de finances pour 2019.

Sur les chiffres, je serai brève : la progression globale des crédits de 4, 5 %, à 7, 29 milliards d’euros, va à l’évidence dans le bon sens, bien qu’elle demeure insuffisante, eu égard au retard qu’a accumulé notre pays, pour assurer le redressement du service public de la justice.

Les augmentations décidées année après année portent sur un budget historiquement si faible que le retard structurel n’est en effet jamais rattrapé, comme l’a d’ailleurs signalé la Commission européenne pour l’efficacité de la justice dans son rapport du 4 octobre 2018.

Rappelons que la France dépense moins de 66 euros par an et par habitant pour son système judiciaire, contre 122 euros pour l’Allemagne et 107 euros pour l’Autriche. Le nombre de juges et de procureurs français apparaît dérisoire, notre pays en comptant deux fois moins que la moyenne européenne.

Or la progression des crédits proposée ne permettra pas de renforcer les services judiciaires français, plus de la moitié du budget revenant, comme chaque année, au programme « Administration pénitentiaire ».

Au-delà des chiffres, nous nous interrogeons bien évidemment sur les orientations politiques que viendront servir ces crédits.

Ainsi, nous constatons – sur ce point, le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice nous avait déjà alertés – le maintien du projet de construction de places de prison, que la droite sénatoriale juge trop modeste, et nous au contraire bien trop important.

Quand allons-nous donc enfin avancer sur le sujet de la politique carcérale à mener dans notre pays, en confrontant décroissance carcérale et baisse de la délinquance et de la récidive, comme l’ont fait avec succès nos voisins d’Europe du Nord ? C’est là une question de pragmatisme. Le blocage serait-il idéologique ?

Les économies réalisées ne se combinent pas avec une réflexion sur notre société et le sens de la peine. Elles se font sur le dos des justiciables : que les plus fortunés se défendent en payant un avocat ; quant aux autres, qu’ils commencent par prouver qu’ils ont besoin de l’aide juridictionnelle en recourant un avocat, comme le propose la majorité sénatoriale, puis qu’ils se déplacent jusqu’à un lieu de justice encore ouvert, sachant que les tribunaux d’instance sont en passe d’être rayés de la carte judiciaire.

Au moment où l’on encourage la libération de la parole des victimes et où l’on insiste sur la nécessité que justice soit faite, peut-être faudrait-il s’assurer des conditions de sa bonne mise en œuvre… Or la dématérialisation échevelée des procédures, leur déjudiciarisation, le recul de la proximité et l’accès rendu plus difficile des justiciables aux lieux de justice sont à nos yeux autant d’atteintes à la mission de service public de la justice.

Quant au programme « Protection judiciaire de la jeunesse », sur lequel je souhaite insister, il demeure toujours aussi insuffisamment doté.

Sur le fond, je dois vous exprimer, madame la garde des sceaux, la surprise et l’inquiétude que vous avez suscitées dans nos rangs lorsque vous avez annoncé, à l’Assemblée nationale, la réforme de la justice pénale des mineurs par voie d’ordonnances, en demandant l’habilitation par un amendement au projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Comment pouvez-vous employer une telle méthode ? Pour nous, c’est inacceptable.

La justice des mineurs doit bien sûr être réformée, mais veillons à ce que les grands principes posés par l’ordonnance du 2 février 1945 soient préservés, en matière tant d’atténuation de la responsabilité en fonction de l’âge que de recherche de réponses éducatives et de recours à des juridictions spécialisées.

Or la philosophie de ce projet de budget nous inquiète au plus haut point : pour l’essentiel, les nouveaux crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » sont absorbés par la construction de vingt nouveaux centres éducatifs fermés, alors même que le constat d’échec des cinquante-deux structures déjà existantes est établi, comme l’a récemment signifié une mission d’information sénatoriale sur la réinsertion des mineurs enfermés. Le caractère exceptionnel de l’enfermement des mineurs est pourtant déjà prévu par l’ordonnance de 1945.

S’agissant de mineurs, la justice doit aller de pair avec l’éducation. L’enfermement devrait être relégué aux oubliettes de l’histoire. Nous connaissons déjà ses effets délétères sur les adultes, pourquoi persister à se fourvoyer en enfermant des mineurs ?

Vous l’aurez compris, la progression des crédits de cette mission, qui fait de la Chancellerie un ministère prioritaire pour Bercy, ne saurait nous convaincre. Elle est trop faible pour permettre de rattraper le retard accumulé. Surtout, la ventilation des crédits augmentés est au service d’un projet de société et d’une vision de la justice qui ne sont pas les nôtres. Le cap d’une politique carcérale renforcée est maintenu, celui d’un éloignement et d’un affaiblissement du pouvoir judiciaire aussi. C’est pourquoi le groupe CRCE votera contre ce projet de budget.

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