Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, que voilà une séance budgétaire étonnante, devant une assistance de qualité, mais peu fournie en ce samedi matin ! Ceux qui pensaient que nous aurions une discussion budgétaire classique se trompaient.
J’ai écouté chacune de vos interventions, mes chers collègues. J’ai entendu des rapporteurs très sévères, annonçant cependant qu’ils voteraient les crédits de la mission… J’ai entendu un collègue de la majorité, dont je ne pensais pas partager les analyses, défendre le même point de vue que mon groupe… J’ai entendu un ancien ministre, récemment revenu parmi nous, qui devait assister au conseil des ministres le jour de la présentation du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice, formuler de nombreuses critiques, tout en indiquant que, finalement, son groupe voterait ce projet de budget…
Beaucoup de choses se jouent donc sur ce budget, notamment en raison de la concomitance de son examen avec celui de votre projet de loi, madame la ministre. Au Sénat, sur toutes les travées, nous avons proposé des transformations assez importantes de ce texte qui nous inquiète, mais elles n’ont malheureusement pas eu l’heur de plaire, semble-t-il, à nos collègues députés. Cela nous donne à penser que la version finale du texte sera sans doute très conforme à votre projet de loi initial, madame la ministre, et très peu marquée par les travaux du Sénat.
C’est tout à fait dommage, car le Sénat travaille depuis de nombreuses années sur le sujet, de manière intense et, souvent, transpartisane. Sur le fond des politiques préconisées, je note des évolutions, y compris au sein du groupe Les Républicains.
La situation paradoxale dans laquelle se trouvent certains collègues tient sans doute au fait que votre budget augmente, madame la ministre. Il est dès lors plus difficile de le critiquer : s’il augmente, c’est donc mieux que si c’était pire ! Pour autant, les politiques menées grâce à ce budget recueillent-elles notre assentiment ? Sur ce point, je rejoins totalement l’analyse de notre collègue François-Noël Buffet.
Trois points ont plus particulièrement retenu mon attention.
Premièrement, s’agissant de l’accès au droit, nous savons que les moyens restent insuffisants, même si la dénonciation par Jean-Jacques Urvoas d’une clochardisation de la justice a porté. Pour autant, les délais sont intenables et, en définitive, nous ne sommes pas très loin, dans certains cas, du déni de justice. Pourtant, vous concentrez essentiellement vos efforts, en la matière, sur l’aide juridictionnelle, qui fera l’objet tout à l’heure d’amendements bienvenus du groupe La République En Marche.
Deuxièmement, en ce qui concerne l’aide aux victimes, j’ai noté que le Gouvernement souhaitait renforcer son action, y compris en matière de violences faites aux femmes. Les crédits marquent toutefois le pas et ils seront en outre en partie réaffectés au profit notamment du comité mémoriel que le Président de la République a voulu mettre en place pour travailler sur la mémoire des victimes d’attentats et du dispositif « téléphone grand danger ». Bref, les crédits dédiés à l’aide aux victimes seront insuffisants.
Troisièmement, concernant la justice des mineurs, Mme Bertrand vient de rappeler la mobilisation des juges des enfants du tribunal de Bobigny. Faute de moyens, les jugements sont rendus et notifiés si tardivement qu’ils sont privés d’effet, nous disent-ils. Il semblerait que vous ayez trouvé la solution idéale, madame la ministre : modifier par ordonnance l’ordonnance de 1945, en demandant l’habilitation dans des conditions invraisemblables, par un amendement au projet de loi de programmation et de réforme pour la justice déposé à l’Assemblée nationale, sans avoir préalablement informé le Sénat ni la commission des lois de l’Assemblée nationale…
Vous proposez aussi la création de vingt nouveaux centres éducatifs fermés, alors personne ne sait vraiment aujourd’hui si ces structures sont réellement utiles et efficaces pour lutter contre la délinquance des jeunes.
Vous l’aurez compris, madame la ministre, nous sommes critiques sur le fond des politiques menées et sur l’effet d’optique d’une augmentation budgétaire qui, en réalité, sur les trois points que j’ai évoqués, ne permettra pas d’améliorer la situation des justiciables.
Pour ces raisons, et celles qui ont été évoquées précédemment par Jean-Pierre Sueur, nous ne pourrons approuver ce projet de budget.