Intervention de Brigitte Lherbier

Réunion du 1er décembre 2018 à 9h30
Loi de finances pour 2019 — Justice

Photo de Brigitte LherbierBrigitte Lherbier :

Monsieur le président, madame le ministre, universitaire, j’ai enseigné le droit toute ma vie professionnelle. Vous pouvez deviner combien les valeurs de la justice ont imprégné mes réflexions.

Directeur de l’Institut d’études judiciaires de Lille, j’ai formé tous les ans des centaines d’étudiants, devenus par la suite avocats ou magistrats. Je leur disais très souvent : « N’oubliez pas que vous allez recevoir dans vos cabinets des personnes qui souffrent et qui attendent de la justice une écoute, une prise en charge, de la compassion pour leurs problèmes familiaux ou professionnels, une réponse pénale à l’atteinte qu’ils ont subie sur leurs biens ou sur leur personne ».

Quel est le rôle de notre justice, sinon d’organiser l’équité et l’équilibre des forces civiles dans notre société, de faire la balance entre réinsertion et répression, sanction et protection ?

J’émettrai de lourdes réserves sur le projet de budget pour 2019 de la mission « Justice ». Le programme « Justice judiciaire » me paraît en être le parent pauvre ; il est l’expression même d’une vision comptable et déshumanisante de notre justice, ses crédits n’augmentant que de moins de 1 %.

Si des mesures positives doivent être saluées, comme les créations de postes ou l’effort en faveur de la rénovation de l’immobilier judiciaire, elles ne remédient pas au principal écueil de notre justice, à savoir le gouffre qui s’est ouvert entre les justiciables et les institutions judiciaires, une situation dont souffre tant le personnel de justice que nos concitoyens.

Les délais de traitement des affaires continuent à croître inexorablement, tant au civil qu’au pénal. Les tribunaux de grande instance, déjà en sous-effectif, vont devoir absorber dès janvier le contentieux social, qui était jusqu’à présent traité par les tribunaux des affaires de sécurité sociale et les tribunaux du contentieux de l’incapacité, alors même que 200 000 dossiers sont en attente, auxquels s’ajouteront 150 000 nouvelles affaires chaque année.

En guise de remède à ces surcharges, le Gouvernement nous parle de dématérialisation, d’informatique. Il en faut, certes, mais veillons à ne pas rendre notre justice inhumaine, madame le garde des sceaux !

Comme beaucoup d’entre nous, je suis entrée en politique animée par la volonté de protéger les personnes les plus vulnérables. Je ne peux que noter que nos concitoyens les plus fragiles n’ont pas obtenu la protection qu’ils étaient en droit d’attendre dans la programmation pour 2019.

Je nourris de grandes craintes quant à l’évolution de la protection des personnes sous tutelle, des femmes victimes de violences et, surtout, des enfants en danger. Dans mon département, par exemple, quelque 200 mineurs en danger ne peuvent être admis dans les structures d’accueil, faute de place.

Des assistantes sociales, des médiateurs, des psychologues prennent en charge l’assistance éducative, que la loi confie pourtant au juge des enfants, aujourd’hui surchargé de travail. Pour moi le juge reste le juge, celui qui exerce l’autorité, qui a la responsabilité d’incarner la justice. La déjudiciarisation ne me semble pas répondre aux attentes des justiciables et au besoin d’une justice forte. Blaise Pascal disait : « La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. » On ne peut, encore aujourd’hui, on ne qu’être d’accord avec lui.

Les crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » augmentent, il est vrai, ce qui autorise la création de quarante-huit postes et la construction de vingt nouveaux centres éducatifs fermés. Je souhaiterais cependant que l’on prenne en compte le plus en amont possible la situation dégradée des familles des jeunes concernés, afin de leur éviter de tomber dans une délinquance lourde.

Ayant déjà eu l’occasion de vous parler à plusieurs reprises des problèmes constatés dans les prisons et de l’insuffisance des recrutements de surveillants, je ne reviendrai pas ici sur ce sujet.

Toutes ces remarques me conduisent donc à émettre d’importantes réserves sur ce projet de budget de la justice. Bâtir de grands buildings visibles à des kilomètres à la ronde ne rétablira pas le lien indéfectible entre la justice et les citoyens !

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