Intervention de Cécile Cukierman

Réunion du 1er décembre 2018 à 15h00
Loi de finances pour 2019 — Compte d'affectation spéciale : développement agricole et rural

Photo de Cécile CukiermanCécile Cukierman :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, loin de moi l’idée de jouer la carte du pessimisme, mais, franchement, nous ne pouvons, encore une fois, que constater que le Gouvernement reste sourd face aux besoins du monde agricole !

Ce désir de raboter en général tous les crédits des missions, comme vous le faites avec la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », ne passe plus auprès des agriculteurs. Dotée de 2, 765 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 2, 854 milliards d’euros en crédits de paiement, la mission que nous étudions aujourd’hui connaît une baisse de près de 17 %.

Année après année, le constat amer est le même : vous tournez le dos à nos agriculteurs, aux consommateurs, à l’ensemble de nos concitoyens.

Même si vous répétez inlassablement que la baisse du soutien à l’agriculture via cette mission n’est qu’apparente, car elle est amputée des allégements de charges désormais intégrés au projet de loi de financement de la sécurité sociale, il n’en demeure pas moins vrai que cette baisse ne représente qu’un coût de 272 millions d’euros, et non de 552 millions d’euros comme c’est le cas actuellement !

Je l’ai dit, comme pour d’autres missions, le soutien de l’État passe de plus en plus par des allégements fiscaux et sociaux, aux dépens des soutiens aux crédits, qu’ils soient européens ou nationaux, et cela marque, de fait, le désengagement de l’État.

Nous partageons d’ailleurs le constat des rapporteurs spéciaux, les dépenses de soutien aux exploitations agricoles, absolument nécessaires à la viabilité de nombre d’entre elles, demeurant sans tonus.

Ainsi, tous les programmes connaissent des baisses, mais la plus forte est celle qui porte sur le programme 149, « Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture », qui perd 154 millions d’euros.

Pourtant, ce programme concerne les principaux dispositifs structurants de l’agriculture, notamment le cofinancement national des mesures de développement rural de la PAC : soutien à l’élevage dans les zones soumises à des contraintes naturelles, installation des jeunes agriculteurs, accompagnement des projets d’investissement des exploitations agricoles, mesures agroenvironnementales.

En entrant dans le détail des crédits, c’est moins 90 millions d’euros de crédits pour l’action n° 27, Moyens de mise en œuvre des politiques publiques et gestion des interventions. Or cette action regroupe les moyens dévolus aux opérateurs tels que l’Institut national de l’origine et de la qualité, l’INAO, l’Agence BIO, FranceAgriMer, l’Office de développement de l’économie agricole des départements d’outre-mer, l’Agence de services et de paiement ; la liste n’est pas exhaustive.

C’est moins 8, 4 millions d’euros pour l’action n° 06, Mise en œuvre de la politique de sécurité et de qualité sanitaires de l’alimentation, et moins 18 millions d’euros pour l’action n° 01, Moyens de l’administration centrale.

Monsieur le ministre, c’est encore moins 8 millions d’euros pour les DRAAF, les directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt, et les DDT, les directions départementales des territoires. C’est toujours moins !

Dès lors, comment croire que ce budget permettrait tout à la fois de mener des actions de développement agricole et d’assurer la préservation de l’environnement, la transition vers l’agroécologie, le développement du bio et la meilleure protection sanitaire possible ? Comment croire qu’il sera possible de toujours faire mieux avec moins, alors que notre agriculture est aujourd’hui sinistrée !

Comme cela a été souligné lors de nombreux débats, vous affichez sur tous les terrains une préoccupation environnementale, mais les actes ne suivent pas ! Ils sont même en parfaite contradiction. La transition, c’est le changement, mais vous supprimez les moyens humains, et ce à tous les niveaux, alors qu’ils sont indispensables pour accompagner les agriculteurs vers l’agroécologie.

Ici même, lors du débat sur le CETA, l’accord économique et commercial global, mais aussi sur le Mercosur ou l’accord avec la Nouvelle-Zélande, nous avions pointé les risques pour certaines filières comme la filière viande, notamment, et nous avions répété nos inquiétudes lors du débat sur le Brexit.

Alors qu’il faudrait renforcer le soutien à nos filières, ainsi que les moyens attribués aux administrations de contrôle, c’est l’option inverse que vous choisissez ! Comment allons-nous, demain, contrôler les dizaines de milliers de tonnes supplémentaires de viande bovine importées du Canada, du Mercosur ou de la Nouvelle-Zélande ? Comment être sûr que ces viandes auront été produites sans antibiotiques, sans hormones, sans alimentation animale issue de sols traités avec du glyphosate ?

D’ailleurs, l’actualité récente nous donne raison, puisque Le Monde a découvert que 150 tonnes d’aliments contaminés par un OGM non conforme aux réglementations européennes à destination du bétail français ont été distribuées à trois fabricants et douze éleveurs. D’après des associations de consommateurs, vingt pays sont aujourd’hui touchés par ces denrées contaminées.

Il faut absolument condamner le manque de traçabilité en Europe : il a fallu plus d’un mois et demi avant que les autorités ne se saisissent du problème et que la société incriminée puisse donner aux États les éléments nécessaires pour retracer les lots infectés. De quoi compliquer ce travail de traçabilité !

Enfin, dans ce contexte de libéralisation croissante des échanges, nous ne pouvons nous satisfaire que la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » ait été moins rabotée que les autres. Non, monsieur le ministre, franchement, les agriculteurs ne peuvent se soumettre à l’adage : « Faute de grives, on mange des merles ! »

Notre pays est frappé par un véritable agri-bashing, alors qu’il doit aujourd’hui apporter un soutien réel à l’ensemble du monde agricole, du monde paysan. Comme cela a été rappelé, l’agriculture permet à des femmes et à des hommes de vivre de leur travail et, tout simplement, aux millions de Français de se nourrir. La question de la qualité alimentaire, de l’accès de toutes et tous à cette qualité alimentaire, est un débat qui est encore devant nous.

Ne soyez pas surpris, nous ne voterons bien évidemment pas les crédits de cette mission.

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