Intervention de Pascal Clément

Réunion du 22 février 2007 à 15h00
Recrutement formation et responsabilité des magistrats — Adoption définitive des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, si vous le permettez, mon intervention portera sur le projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats et sur le projet de loi tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale.

Je tiens tout d'abord à rappeler au Sénat l'émotion ressentie par chacun d'entre nous à la suite de l'acquittement des accusés d'Outreau. Rappelons-nous leur rencontre avec M. le Premier ministre, les excuses que j'ai présentées au nom de l'institution judiciaire et l'engagement personnel du Président de la République de tout faire pour que pareil scandale ne puisse pas se reproduire.

Rappelons-nous aussi le formidable engouement des Français pour les questions de justice.

Nous ne pouvions laisser tout cela sans suite et reporter à plus tard une réforme attendue par tous.

C'est pourquoi, aujourd'hui, je suis fier de présenter devant le Sénat des textes respectant l'engagement que nous avons pris aux yeux des Français de tout faire, malgré la proximité des échéances électorales, pour éviter qu'une nouvelle « affaire Outreau » ne se reproduise.

Contrairement à ce qui a pu être dit par certains, aucune des questions posées par l'affaire d'Outreau n'a été éludée, qu'il s'agisse de la solitude du juge d'instruction, de la durée excessive de la détention provisoire ou du caractère insuffisamment contradictoire de l'instruction.

C'est pourquoi je ne peux que me féliciter de l'accord intervenu en commission mixte paritaire.

La solitude plus que bicentenaire du juge d'instruction, qui a parfois été la source de dysfonctionnements judiciaires, aura vécu lorsque, conformément aux propositions de votre commission d'enquête, l'instruction deviendra collégiale.

Le texte adopté par la commission mixte paritaire prévoit que cette collégialité entrera en vigueur dans un délai de trois ans. Elle sera précédée par la création des pôles de l'instruction, qui permettront le renforcement de la cosaisine et constitueront ainsi la première étape de la réforme, en donnant aux juges d'instruction l'habitude du travail en équipe.

À cet égard, la solution retenue par la commission mixte paritaire pour favoriser la cosignature des ordonnances de règlement, en permettant l'appel de ces ordonnances si elles n'ont pas été signées par les juges cosaisis, sans rendre pour autant cette cosignature obligatoire, me paraît tout à fait appropriée.

Elle permet d'éviter tout risque de blocage, tout en incitant fortement les juges cosaisis à se mettre d'accord et à cosigner l'ordonnance de règlement.

La limitation de la détention provisoire résultera du meilleur encadrement des critères de placement en détention et de la suppression du critère de l'ordre public en matière correctionnelle.

Elle résultera également de la publicité du débat contradictoire, qui constituera désormais le principe.

Elle résultera enfin de l'institution d'une audience publique de contrôle devant la chambre de l'instruction, notamment à la demande de la personne détenue, qui pourra intervenir trois mois après le début de la détention, comme l'a proposé l'Assemblée nationale, puis tous les six mois, et qui permettra d'examiner de façon approfondie tous les aspects du dossier.

Ces dispositions très importantes et très utiles pour assurer un véritable contrôle des instructions seront immédiatement applicables : dès la publication de la loi, les personnes détenues depuis au moins trois mois pourront demander que leur affaire soit examinée par la chambre de l'instruction.

Enfin, le renforcement des droits des parties résultera de l'enregistrement des interrogatoires, en matière criminelle, des personnes gardées à vue ou mises en examen, puisque ces enregistrements pourront être consultés en cas de contestation.

Il résultera également de la possibilité de critiquer à intervalles réguliers une mise en examen, et du renforcement du contradictoire en matière d'expertises et de règlement des informations.

Sur ces différents points, l'Assemblée nationale tout d'abord, le Sénat ensuite, la commission mixte paritaire enfin, ont amélioré, complété ou précisé le projet initial dans un esprit constructif et pragmatique.

L'affaire d'Outreau a également mis en lumière la nécessité de réformer le recrutement, la formation et la responsabilité des magistrats.

Diversifier le recrutement des magistrats est une nécessité, qui répond à la fois à l'évolution de la société française, dont toutes les composantes doivent être présentes au sein de la magistrature, et à l'intérêt d'y regrouper les expériences professionnelles les plus diverses et les plus enrichissantes.

C'est la raison pour laquelle je me réjouis que le Parlement ait décidé de relever le plafond du nombre de candidats issus des concours complémentaires ou souhaitant bénéficier des dispositions relatives à l'intégration directe dans la magistrature.

Mais la seule diversification de l'origine professionnelle des magistrats ne suffirait pas à garantir aux Français une justice de qualité.

La formation des magistrats est en effet au coeur de nos préoccupations : c'est le moment où peuvent être détectés et écartés certains comportements incompatibles avec la fonction de juger.

C'est pourquoi l'obligation d'effectuer le stage juridictionnel, qui était imposée seulement à une partie des élèves magistrats, est étendue à l'ensemble des candidats à la magistrature.

Il s'agit d'un stage probatoire dont la sanction est claire : s'il ne réussit pas à démontrer qu'il détient les qualités indispensables à l'exercice des fonctions judiciaires, le candidat ne pourra être admis à ces fonctions.

La formation des auditeurs de justice a été enrichie de l'obligation d'effectuer un stage d'une durée minimale de six mois auprès d'un barreau ou comme collaborateur d'un avocat inscrit au barreau.

La formation continue des magistrats sera elle aussi tournée vers les réalités de la société française, puisque est désormais instituée pour les magistrats une mobilité statutaire, s'ils veulent accéder aux emplois d'encadrement les plus importants, les fonctions hors hiérarchie.

Cette mobilité, d'une durée maximale de deux ans, pourra être effectuée au sein d'une entreprise privée ou publique, auprès d'une institution ou d'un service de l'Union européenne.

Là encore, c'est un gage d'ouverture, de connaissance des réalités quotidiennes, que nous donnons à nos compatriotes.

Le régime disciplinaire des magistrats, qui date de 1958, méritait d'être adapté aux exigences de la société française contemporaine.

Nous avons réussi à le rénover sans pour autant mettre en danger l'indépendance de la magistrature, à laquelle je suis bien entendu profondément attaché.

La première évolution, peut être la plus symbolique, est la création d'une nouvelle faute disciplinaire, sanctionnant la violation grave et délibérée d'une règle de procédure constituant une garantie essentielle du droit des parties.

Au cours des débats dans votre assemblée, la définition de cette faute a été modifiée afin de mieux l'adapter aux exigences constitutionnelles. Je regrette que cette nouvelle définition, qui avait recueilli mon accord, n'ait malheureusement pas été retenue par la commission mixte paritaire.

Nous avons également élargi la gamme des sanctions disciplinaires pour en créer une nouvelle : l'interdiction d'exercer des fonctions à juge unique pour une durée maximale de cinq ans.

L'éventuelle sanction d'un magistrat n'est cependant que l'issue d'un processus que nos concitoyens estiment long et difficilement compréhensible.

C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité confier au Médiateur de la République la lourde de tâche de recueillir les réclamations émanant de toute personne physique ou morale estimant, à l'occasion d'une affaire la concernant, que le comportement d'un magistrat est susceptible de constituer une faute disciplinaire.

Le Sénat avait retiré cette compétence au Médiateur pour la confier à une commission des réclamations, placée auprès du garde des sceaux.

La commission mixte paritaire a choisi de faire coexister ces deux organes, en plaçant la commission non plus sous l'autorité du garde des sceaux, mais sous celle du Médiateur, qui retrouve ainsi les compétences que l'Assemblée nationale lui avait confiées.

Ce texte permet de préserver ce qui, à mes yeux, était essentiel : donner aux Français un interlocuteur unique et facilement identifiable pour traiter des affaires de discipline de magistrats.

Le Médiateur, qui pourra être saisi directement, disposera de la possibilité de demander au garde des sceaux d'entamer des poursuites disciplinaires à l'encontre d'un magistrat dont le comportement constituerait une faute.

La réponse du ministre devra être motivée et pourra faire l'objet d'une publication dans le rapport du Médiateur.

Voilà, brièvement résumés, les apports essentiels des deux projets que vous êtes appelés à adopter définitivement aujourd'hui.

Je voudrais une nouvelle fois remercier votre commission des lois, en particulier son président, M Jean-Jacques Hyest, et son rapporteur, M. François Zocchetto, pour le travail accompli, qui a permis d'apporter de notables améliorations aux textes proposés.

Je puis vous assurer que je veillerai à ce que ces textes soient effectivement mis en oeuvre par les juridictions, notamment en prenant dans les toutes prochaines semaines les dispositions réglementaires qui appliqueront et compléteront les différents articles de ces lois.

Tout en n'étant sans doute qu'une première étape, la réforme que vous allez adopter prévoit des avancées importantes.

Le terme de « réformette » que j'ai entendu ça et là émane souvent non pas de professionnels de la justice, avocats, magistrats ou policiers, mais bien de ceux qui, dans tous les domaines, regrettent le « grand soir ».

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