Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 22 février 2007 à 15h00
Recrutement formation et responsabilité des magistrats — Adoption définitive des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l'affaire dite d'Outreau devait entraîner un rééquilibrage institutionnel et statutaire s'agissant aussi bien de la formation et du recrutement des magistrats que de leur responsabilité.

Les quatre-vingts propositions de la commission d'enquête constituaient à ce titre un formidable outil de travail, grâce auquel nous aurions pu aboutir à une réforme d'ampleur de la justice.

Aujourd'hui, le Gouvernement nous demande d'adopter une réforme qui est très en deçà des attentes tant de nos concitoyens que des magistrats. Le grand débat citoyen n'a pas eu lieu, et pour cause : l'urgence a été déclarée sur ce projet de loi comme sur celui qui renforce l'équilibre de la procédure pénale, et nous devons adopter ces deux textes en toute hâte, le dernier jour précédent la suspension des travaux du Parlement en séance publique.

Les conditions n'étaient donc pas réunies pour élaborer une grande réforme de la justice et, à nos yeux, le compromis trouvé par la commission mixte paritaire n'est pas totalement satisfaisant.

Cette insatisfaction tient essentiellement au fait qu'aucune réforme du Conseil supérieur de la magistrature n'a été proposée ni même envisagée par le Gouvernement. Aucun consensus n'aurait été trouvé sur cette question, malgré la réforme votée en 1998, qui n'a malheureusement pas abouti.

C'était pourtant la principale réforme à mener, d'autant plus qu'elle est réclamée par tous. La question de la saisine directe par les justiciables est au coeur des débats, comme nous l'avons constaté lors de la discussion du texte.

Le Conseil supérieur de la magistrature lui-même n'exclut pas cette saisine. Dans sa communication du 20 décembre 2006, il propose notamment « d'ouvrir à tout justiciable une voie de saisine directe de ses formations disciplinaires ».

À la place, le dispositif issu de la commission mixte paritaire est d'une telle complexité que l'on se demande bien comment les justiciables y trouveront leur compte. Le texte adopté au Sénat pour l'article 6 quinquies nous semblait pourtant relativement équilibré. Au lieu du Médiateur de la République servant d'intermédiaire entre les justiciables et le garde des sceaux, le Sénat avait prévu un dispositif nettement plus satisfaisant, qui n'était cependant qu'un palliatif à une réforme du CSM.

Nous avions en effet souhaité la création d'une commission d'examen des réclamations, placée près du garde des sceaux et chargée d'examiner les réclamations de toute personne physique ou morale s'estimant lésée par un fait susceptible de recevoir une qualification disciplinaire et commis par un magistrat dans l'exercice de ses fonctions.

La commission pouvait ensuite ordonner soit le classement de la procédure, soit sa transmission au garde des sceaux, aux fins de saisine du Conseil supérieur de la magistrature.

Nous n'avions pas franchi le cap de la saisine directe du CSM, mais nous avions au moins trouvé un compromis évitant le recours au Médiateur de la République.

Malheureusement, sur cette question, le désaccord entre l'Assemblée nationale, favorable au Médiateur de la République, et le Sénat a abouti à une sorte de synthèse, confuse et complexe, des deux dispositifs. Le choix du Médiateur de la République a été maintenu, mais, désormais, celui-ci sera assisté d'une commission chargée d'examiner les réclamations des justiciables.

Lorsque la réclamation n'aura pas donné lieu à une saisine du Conseil supérieur de la magistrature par le chef de cour d'appel ou de tribunal supérieur d'appel intéressé, le Médiateur de la République la transmettra au garde des sceaux, aux fins de saisine du Conseil supérieur de la magistrature, s'il estime qu'elle est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire. Pourquoi faire simple lorsqu'on peut faire compliqué ? Le Médiateur de la République n'aura même pas la faculté de saisir directement le CSM !

Nous ne pouvons que regretter un tel arbitrage, en défaveur, hélas ! des justiciables, alors qu'il était urgent de favoriser la transparence de la justice et un contrôle plus démocratique de l'institution.

Notre déception est également grande s'agissant de l'article 5 A, relatif à la faute disciplinaire. Une fois encore, je ne peux que regretter que cette question soit traitée sans qu'il ait été procédé au préalable à une réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui aurait nécessairement conduit à une refonte du système d'évaluation des magistrats.

En l'occurrence, le projet de loi complète la définition de la faute disciplinaire, afin, selon les termes de M. le rapporteur et de M. le garde des sceaux, d'en clarifier la portée au regard des actes juridictionnels.

Tout d'abord, en prenant une telle orientation, le Gouvernement n'écarte pas le risque de voir des décisions de justice attaquées par le biais disciplinaire pour cause de « mécontentement » de la part des justiciables. Par conséquent, je tiens à réaffirmer notre attachement au principe selon lequel l'exercice des voies de recours constitue la voie naturelle - je devrais dire la seule voie - pour contester une décision juridictionnelle.

La rédaction retenue par la commission mixte paritaire n'est pas plus satisfaisante que celle qui était prévue par le projet de loi soumis au Sénat. Là encore, une synthèse des versions résultant des travaux de l'Assemblée nationale et du Sénat a été adoptée ; elle n'emporte pas notre adhésion.

Ainsi, selon les termes de l'article 5 A, « constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d'une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, commise dans le cadre d'une instance close par une décision de justice devenue définitive ».

Cette précision apportée à la définition de la faute disciplinaire semble tout à la fois dangereuse et inutile.

Elle est inutile, car le CSM sanctionne déjà les violations graves et délibérées des magistrats commises dans l'exercice de leurs fonctions, sans avoir recours à un texte plus précis que l'actuel article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958.

De manière générale, la jurisprudence du CSM est bien établie. Le Conseil n'a d'ailleurs pas manqué de rappeler, en décembre dernier, qu'il « a contribué à la définition de la déontologie des magistrats par les décisions qu'il a rendues depuis quarante ans. [...] Ces décisions démontrent que les textes actuels permettent au Conseil, lorsqu'il est saisi, de se prononcer sur des situations extrêmement diverses, sans laisser en dehors du champ de la responsabilité disciplinaire l'activité et les carences des magistrats ».

Or le Gouvernement, en proposant de compléter l'actuelle définition de la faute disciplinaire, laisse à penser que l'ordonnance de 1958 ne permet aucune sanction, tout en ouvrant une brèche qui permettra de contester les décisions de justice.

Enfin, pour clore ce chapitre sur la discipline et la responsabilité des magistrats, je regrette que la collégialité devienne une sanction disciplinaire applicable aux magistrats. Une telle disposition ne peut que dévaloriser la collégialité, qui est pourtant le principe prévalant en matière pénale.

Sur ces trois points - la saisine du Médiateur de la République par les justiciables, la précision apportée à la définition de la faute disciplinaire et la sanction de la collégialité -, vous l'aurez compris, mes chers collègues, nous ne pourrons vous rejoindre.

Il faut cependant reconnaître que le projet de loi apporte des améliorations en matière de formation des futurs magistrats. Nous ne pouvons que saluer l'initiative consistant à porter à six mois, au lieu des cinq mois prévus par le Sénat, la durée du stage obligatoire d'immersion au sein d'un cabinet d'avocats pour les auditeurs de justice.

De même, les dispositions finalement adoptées permettront un recrutement un peu plus diversifié qu'il ne l'est à l'heure actuelle.

En revanche, nous regrettons la fin de non-recevoir que nous a opposée le Gouvernement concernant l'introduction d'une épreuve de criminologie au concours d'entrée à l'École nationale de la magistrature. Aujourd'hui, tout le monde s'accorde à dire que la formation des auditeurs de justice n'est pas suffisamment tournée vers les sciences sociales et humaines. L'occasion se présentait de remédier à une telle situation, mais le Gouvernement et la majorité ne l'ont malheureusement pas saisie.

En guise de conclusion, je ne peux que vous confirmer que nous nous abstiendrons lors du vote de ce texte, dans la mesure où il n'a pas été amélioré par rapport à sa première lecture, et qu'il témoigne même d'un recul s'agissant de l'instauration du Médiateur de la République comme interlocuteur des justiciables lésés par le comportement d'un magistrat.

Nous regrettons également, vous l'aurez compris, que le Gouvernement ait choisi de légiférer sur la question de la responsabilité des magistrats sans même qu'une réforme du CSM ait été envisagée. Ce projet de loi est, selon nous, loin de répondre aux attentes des justiciables à l'égard de l'institution judiciaire.

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