Nous voilà, madame la ministre, sur le premier exercice budgétaire de la nouvelle loi de programmation militaire. Vous avez pu mesurer lors de nos débats sur ce texte que le Sénat s’interdisait toute posture partisane, quand il y va de la défense de la France – cela a été rappelé, 326 sénateurs ont voté ce texte.
Nous avons adhéré à votre démarche d’une LPM « à hauteur d’hommes », qui se préoccupe des militaires et de leurs familles, et pas seulement des équipements. Nous avons soutenu les deux volets de ce texte, la réparation et la préparation de l’avenir, tous les deux indispensables.
C’est pourquoi vous ne serez pas étonnée que je reconnaisse ici, tout d’abord, qu’il y a du positif dans le projet de budget pour 2019, qui s’élève à 35, 9 milliards d’euros, en hausse de 1, 7 milliard d’euros. Il y a une augmentation des moyens, personne ne peut le nier. Il y a aussi le respect, à ce stade, de la trajectoire de la LPM. Les presque 700 millions d’euros supplémentaires sur les équipements doivent ainsi permettre de véritablement commencer le grand chantier de modernisation de nos armées. C’est votre combat, madame la ministre ; c’est aussi le nôtre !
Naturellement, il y a des points qui appellent une plus grande vigilance, notamment concernant les ressources humaines : la façon dont seront traitées les retraites des militaires, la mise en œuvre de la nouvelle politique de rémunération, les conditions d’application du prélèvement à la source… Après la catastrophe Louvois, il est impératif que la bascule sur Source Soldes se passe au mieux. Nous serons très vigilants sur tous ces points et je sais, madame la ministre, combien ils vous mobilisent.
Mais parce que nous reconnaissons les points positifs, nous ne tairons pas non plus nos déceptions. Vous le savez, notre commission déplore vivement l’annulation des 404 millions d’euros du budget de 2018, inscrite dans la loi de finances rectificative. Les conséquences en seront réelles et lourdes.
Tout d’abord, jugeons l’ordre de grandeur, alors que le ministre de l’action et des comptes publics veut nous vendre le fait que tout cela est marginal : sur le seul programme 146, ce sont 319 millions d’euros qui sont annulés. Nos rapporteurs, Cédric Perrin et Hélène Conway-Mouret, l’ont dénoncé à raison.
Mes chers collègues, 319 millions, ce n’est pas rien, c’est l’équivalent de deux ans de livraison des nouveaux Griffon ou de dix hélicoptères Tigre, c’est 2, 5 fois le coût de l’équipement de tous nos soldats en nouveaux fusils HK416, qui arrivent pourtant au compte-gouttes dans les régiments !
Au-delà de ces exemples éloquents, il y a plus grave : c’est le doute que ce mouvement soudain de pure logique comptable peut faire naître sur la détermination du Gouvernement à suivre la feuille de route, difficile, que trace la LPM. S’il faut déjà raboter près d’un demi-milliard d’euros, alors que la LPM n’est même pas encore commencée, comment ferons-nous lorsqu’il faudra ajouter chaque année un volume encore plus important de crédits au budget de la défense ?
Le message adressé par le collectif budgétaire est désastreux, et tout cela laisse une immense impression de gâchis, quelques mois seulement après l’adoption presque unanime de la LPM. La confiance finira par laisser place au doute !
Madame la ministre, nous avons travaillé en responsabilité, vous et nous, sur la LPM. Nous ne remettons pas en cause votre bonne foi. Nous savons quel est votre combat, il est aussi le nôtre : renforcer les capacités opérationnelles de nos armées. Je veux réaffirmer aujourd’hui notre détermination totale à faire respecter la LPM que nous avons votée.
Sans cette initiative malheureuse sur le collectif budgétaire, nous aurions voté sans réserve le budget de ce premier exercice de la LPM, mais à cause de cela, une large majorité des sénateurs va s’abstenir. Nous manquons une belle occasion de rassembler à nouveau le Sénat derrière nos armées et aussi derrière vous, madame la ministre. Tout cela est bien dommage…
Tournons-nous maintenant vers l’avenir. L’an prochain, la provision pour les OPEX sera portée à 850 millions d’euros. Nous savons bien que ce montant sera inférieur aux besoins. Je vous pose donc d’ores et déjà la question : le Gouvernement compte-t-il, l’an prochain, renier à nouveau le principe d’une prise en charge par la solidarité interministérielle de ce surcoût et faire le contraire de ce qui est spécifiquement prévu dans la LPM ?
J’ai lu avec attention la lettre que le Premier ministre a bien voulu m’adresser à la suite du communiqué de presse de notre commission. J’ai cru y deviner l’amorce d’un raisonnement qui me paraît préoccupant : l’idée que, en proportion du budget total des armées, la ponction était faible et que, somme toute, votre ministère avait été bien traité.
C’est inquiétant, car si le Gouvernement tient ce raisonnement en 2018, qu’en sera-t-il au fur et à mesure de l’exécution de la LPM et des augmentations prévues – 1, 7 milliard d’euros par an dans un premier temps, puis 3 milliards d’euros ?