Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur Christian Cambon, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, depuis nos derniers débats, ici même, lors de l’examen de la loi de programmation militaire, la situation du monde ne s’est pas apaisée. La montée des menaces a été largement décrite dans la dernière Revue stratégique.
La menace terroriste, si elle a été largement circonscrite par nos interventions, notamment avec les opérations Barkhane et Chammal, est toujours présente et engage nos forces armées en opérations extérieures et intérieures.
Je tiens ici à saluer la détermination, le courage et le professionnalisme de tous nos soldats et de leurs chefs, le général François Lecointre, chef d’état-major des armées et les chefs d’état-major des armées de terre, de l’air et de la Marine.
Au-delà des opérations extérieures, les Français les côtoient au quotidien et il n’est pas rare qu’ils les remercient ou les saluent avec admiration et bienveillance. Ils patrouillent chaque jour dans nos rues en s’intégrant parfaitement aux dispositifs mis en place de manière conjointe et coordonnée par l’ensemble de nos forces de sécurité.
Certains d’entre eux seront sur tous les théâtres d’opérations lors des prochaines fêtes de fin d’année et, pour avoir partagé quelques réveillons à leurs côtés, je sais ce que cela représente pour leurs familles.
Derrière chaque soldat, il y a des parents, des conjoints, des enfants. Il y a aussi, et je tiens à insister sur ce point, notre pays et ses valeurs, que nos forces armées servent sans hésitation, fût-ce au prix du sacrifice suprême. Je pense aussi à nos soldats blessés et aux familles endeuillées.
Notre travail dans cet hémicycle doit prendre tout cela en considération au moment où nous débattons du budget de la défense.
En ce sens, au Sénat, nous n’avons pas attendu les artifices de communication d’un soi-disant « nouveau monde » pour considérer que certains sujets revêtent une importance qui dépasse les oppositions classiques entre partis politiques et appelle une approche collective au-delà de toutes les travées, sans oublier nos différences et nos divergences qui enrichissent nos travaux. Notre défense appelle sérénité et efficacité.
Vous avez pu, madame la ministre, constater l’an dernier, lors du précédent débat budgétaire et au cours de la discussion de la loi de programmation militaire, que le Sénat est un lieu de débat constructif et créatif. Le président Cambon a repris le flambeau de ses prédécesseurs et je tiens à le remercier, lui et l’ensemble de nos collègues, pour la qualité de nos échanges et de nos débats en commission.
Ici, nous travaillons en confiance et avec vigilance. Nous jugeons sur pièces !
Lors de la loi de programmation militaire, vous avez proposé un cadre de confiance en positionnant les futurs engagements budgétaires à « hauteur d’homme » et en suscitant beaucoup d’espoir d’amélioration pour nos armées. Nous avons voulu croire aux promesses d’un effort inédit et d’une remontée en puissance exceptionnelle.
Cette démarche s’inscrivant en continuité du travail impulsé par le précédent président de la République, François Hollande, notre groupe l’a soutenue tout en émettant des réserves quant à son exécution et à la traduction des paroles en actes.
Or, dans les actes, la fin de gestion de l’exercice 2018 est marquée par la contradiction de l’article 4 de la loi de programmation militaire sur la solidarité interministérielle quant aux surcoûts des OPEX. Cette disposition primait jusqu’alors et jusque dans le texte que nous avons voté en toute bonne foi le 4 juillet dernier.
Les 404 millions d’euros supportés en 2018 par le seul budget des armées seront répercutés dès 2019 et entament donc largement les promesses faites par l’actuel gouvernement à nos armées. La loi de programmation militaire n’est pas encore en œuvre que ces engagements sont déjà remis en question. Ce n’est pas, comme nous l’avons entendu, une simple question de technique budgétaire. C’est un problème politique dont nous nous demandons quelles seront les répercussions concrètes.
Ce problème politique vient ternir l’impression générale de l’augmentation de 4, 2 % du budget de la défense pour 1, 7 milliard d’euros, qui l’inscrit dans la trajectoire fixée par la loi de programmation militaire. À la suite du projet de loi de finances rectificative pour 2018, le doute est là. Il ne permet pas d’être assuré, par exemple, que l’augmentation du programme 146 aura la portée escomptée et que l’ensemble des commandes et livraisons d’équipements seront au rendez-vous.
La logique budgétaire qui s’est appliquée ces dernières semaines pour le budget de la défense, consistant à prendre plus au ministère des armées parce qu’il a été doté de plus de crédits, risque d’être démultipliée lorsqu’il s’agira de garder le cap et de gravir la dernière grande marche avec l’augmentation de 3 milliards d’euros annuels dans la seconde partie de la loi de programmation militaire. L’exercice de travaux pratiques et concrets risque de se heurter encore plus durement à la logique de Bercy. Cependant, dans ce contexte d’incertitudes, il y a tout de même des signaux positifs à saluer. L’aspiration profonde au sein de nos armées portant sur les conditions de vie apparaît néanmoins prise en compte. Je pense à l’augmentation des crédits pour le plan Famille, portés à 57 millions d’euros. Cela va dans le bon sens et nous soutiendrons toutes les décisions qui permettront de poursuivre cette dynamique.
L’un des grands enjeux de ces prochaines années porte en effet sur les capacités de fidélisation des personnels de nos armées. Nous devons faciliter la vie de nos soldats, qu’ils soient sur base, en caserne ou en situation de mobilité. Trop souvent, les tracas du quotidien quant à la recherche d’une place en crèche ou d’un appartement viennent s’ajouter aux difficultés d’un métier soumis à une pression constante.
Comme le relève le 11e rapport du Haut comité d’évaluation de la condition militaire de septembre 2017, le premier facteur de départ de l’institution militaire porte sur la conciliation entre vie privée et vie militaire pour plus de 55 % des militaires interrogés. Nous avons le devoir de mettre nos soldats dans les meilleures conditions possibles, que ce soit en opération mais aussi en dehors.
De ce point de vue, pourriez-vous, madame la ministre, nous éclairer sur les prochaines étapes du plan Famille et d’autres projets que le ministère serait amené à porter pour situer son action sur l’amélioration des conditions de vie et de travail de nos militaires ?
À cet enjeu de fidélisation s’ajoutent d’autres enjeux en termes de ressources humaines, avec le recrutement de 6 000 personnels sur la période 2019–2025.
D’abord, je redis notre inquiétude sur la capacité à tenir la trajectoire annoncée, qui fait porter le plus gros effort sur 2023 à 2025, avec 75 % des créations de postes.
Ensuite, je repose la question des moyens et des dispositifs de recrutement et d’intégration dans un contexte où 62 % des militaires envisagent de quitter la fonction. Le plan Famille est un levier d’attractivité qui porte essentiellement sur les personnels déjà sous contrat, mais qui ne sera peut-être pas suffisant pour celles et ceux que nos armées souhaiteraient attirer.
Dans la pratique, pour l’année 2019, ce projet de loi de finances prévoit la création de 450 postes, 199 dans le renseignement et 107 dans la cyberdéfense, soit 68 % des postes créés. Si je tiens à saluer ces créations de postes, j’observe qu’il s’agit d’emplois faisant appel à un haut niveau de compétences et à des profils particuliers.
Sur ces profils, le ministère des armées est en concurrence avec le secteur privé, qui bénéficie d’une attractivité plus importante et qui est, en tout état de cause, rompu à l’exercice depuis de nombreuses années. En conséquence, l’institution va devoir mettre en œuvre une stratégie d’attraction des meilleurs profils. Je vous pose donc la question, madame la ministre : quelles mesures le ministère entend-il prendre afin d’attirer et d’incorporer ces hauts potentiels ?
Madame la ministre, vous l’aurez compris, nous sommes sceptiques. Depuis la loi de programmation militaire, le projet de loi de finances rectificative pour 2018 est passé par là, et il laisse des traces. Nous ne pouvons regarder ce budget « Défense » dans le projet de loi de finances pour 2019 qu’à travers un prisme de doutes et d’incertitudes, conséquences directes des conditions de fin de gestion de l’exercice budgétaire qui s’achève. Budget 2018 pour lequel vous nous annonciez « un budget sincère, contrairement », je vous cite, « aux gouvernements précédents ».
L’impact de 319 millions d’euros annulés sur le programme 146 n’est pas encore mesurable concrètement en termes d’équipements, mais nous savons, par expérience, qu’il y aura des effets à moyen ou long terme.
Ce n’est pas un bon signal dans la perspective du comblement de nos lacunes capacitaires. Ce n’est pas non plus un bon signal donné par le Gouvernement à l’aube de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi de programmation militaire.
Nous savons que nous n’avons pas besoin de vous convaincre, vous, madame la ministre. Cohérents avec ce que nous disons depuis votre entrée en fonctions consistant à soutenir les avancées au service de notre défense et à nous opposer aux reculs, nous allons envoyer, à notre tour, un signal au Gouvernement.
En conséquence, le groupe socialiste et républicain s’abstiendra sur le vote des crédits de la mission « Défense ».