Monsieur le garde des sceaux, je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit tout à l'heure : l'affaire d'Outreau nous offrait l'occasion de procéder à une grande réforme consensuelle de la justice, mais vous avez malheureusement fait preuve de précipitation.
S'agissant de la garde à vue, il nous avait paru indispensable d'unifier son régime et de renforcer l'exercice effectif des droits de la défense. Nous avions déposé des amendements visant à ce que l'avocat soit présent dès le début de la garde à vue, c'est-à-dire dès la première heure. Tel était, d'ailleurs, le sens des conclusions du rapport rendu en février 2006 par M. Gil-Robles, commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe.
Cette évolution est d'autant plus nécessaire que, dans la plupart des procédures qui ne font pas l'objet d'une information judiciaire, la garde à vue constitue le principal acte d'instruction. Le caractère déterminant de cette phase de l'enquête a été encore accentué depuis que l'obtention des aveux dans ce cadre ouvre la possibilité de recourir à des procédures simplifiées, comme la composition pénale ou la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Or s'il constitue une avancée certaine, le seul enregistrement audiovisuel des auditions limité aux affaires criminelles, ainsi que vous le proposez, n'apporte pas les garanties nécessaires.
Bien plus, l'exclusion des affaires de terrorisme ou de criminalité organisée du champ de l'enregistrement obligatoire accentuera le caractère dérogatoire de la procédure suivie, alors que les spécificités de la garde à vue en ces matières, qu'il s'agisse du rallongement de ses délais, du report de l'intervention de l'avocat ou de la possibilité de prévenir les proches, justifient davantage encore qu'on y recoure.
Dans les cas où il est prévu, l'enregistrement doit être systématique et il appartient aux services publics d'organiser leurs interventions en considération des procédures qui s'imposent à eux, de même qu'ils doivent être dotés des moyens nécessaires pour ce faire. Le projet de loi que vous nous soumettez n'offre aucune garantie à cet égard.
Quant à l'enregistrement des personnes mises en examen réalisé devant le juge d'instruction, qui apparaît comme une contrepartie imposée par le ministre de l'intérieur pour mieux faire accepter les gardes à vue par les services de police , il nous paraît inutile et coûteux.
Nous sommes vraiment très loin des six propositions qu'a faites la « commission Outreau » sur la garde à vue, à savoir, notamment, la notification à la personne gardée à vue des faits qui lui sont reprochés, l'obligation de motiver la décision de placement en garde à vue, l'enregistrement audiovisuel de tous les interrogatoires réalisés pendant la garde à vue, et pour toutes les infractions sans exception, ainsi que la planification budgétaire de l'amélioration des locaux de garde à vue.
S'agissant de la détention provisoire, point fondamental de l'affaire d'Outreau puisque vingt-six années cumulées de détention injustifiée ont été infligées aux accusés, que reste t-il des quatre propositions essentielles ?
Je les rappelle : instaurer des durées butoirs sans renouvellement possible, sauf pour les infractions relevant de la criminalité organisée, du terrorisme et pour les personnes condamnées en état de récidive ; examiner la possibilité de recourir à une mesure de remplacement avant d'envisager toute mesure de détention provisoire et motiver la décision au cas par cas ; préciser les critères de placement en détention provisoire afin qu'ils soient le moins flous possible ; enfin, supprimer la notion de trouble à l'ordre public en matière correctionnelle et l'encadrer en matière criminelle.
À la vérité, votre projet ne reprend que bien peu de ces points.
S'agissant des critères de placement en détention provisoire, vous mainteniez, monsieur le ministre, presque à l'identique la référence à l'ordre public, alors qu'elle a été, aux yeux de tous, l'une des sources de difficulté lors de l'affaire d'Outreau.
Fort heureusement, le texte issu de notre assemblée et retenu en commission mixte paritaire écarte le critère de l'ordre public pour le placement en détention provisoire en matière correctionnelle. Il demeure, toutefois, pour le renouvellement ou la prolongation en matière criminelle, ce qui est regrettable.
Les excès du recours à la détention provisoire dans notre pays doivent être contenus. Sur ce point, nous vous avons proposé le retour à la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, votée, je vous le rappelle, à l'unanimité, en ce qui concerne la durée maximale de la détention provisoire. Vous ne nous avez malheureusement pas suivis.
Si nous sommes favorables au principe de l'assistance obligatoire du mis en examen lors du débat préalable au placement en détention provisoire, tout en étant conscients des difficultés pratiques liées à l'insuffisance du nombre d'avocats de permanence, notamment dans les petites juridictions, nous sommes partagés sur la publicité des débats.
S'agissant de l'audience devant le juge des libertés et de la détention aux fins de placement en détention provisoire, dont la publicité sera la règle, contrairement à ce qui prévaut dans le droit actuel, nous craignons que cette disposition ne constitue pas un facteur de protection pour le mis en examen, bien au contraire. Le procureur de la République pourra parfaitement s'opposer au huis clos demandé par celui-ci.
Cette procédure, présentée comme presque anecdotique, constitue en fait un vrai bouleversement dans la conception de la procédure d'instruction et n'est même pas mise en lien avec les principes du secret de l'instruction et de la présomption d'innocence.
J'en viens maintenant à la création des pôles de l'instruction. Je n'y suis pas défavorable, mais à deux conditions : que cette réforme se fasse dans le cadre d'une grande réforme de la carte judiciaire, avec au moins un pôle par département, et qu'elle s'accompagne des moyens matériels et humains nécessaires à sa mise en oeuvre.
En effet, la réforme telle que vous la présentez maintient un juge d'instruction dans chaque tribunal de grande instance. Le projet oublie ainsi les leçons d'Outreau, aux termes desquelles ont été stigmatisées la solitude et l'inexpérience. Ces « minijuges » traiteront un contentieux restreint, puisqu'ils ne seront jamais saisis de procédures criminelles - elles seront d'office orientées vers les pôles - et qu'ils pourront être dessaisis des affaires correctionnelles complexes.
Ce contentieux sera si étroit qu'il y a fort à parier qu'ils seront occupés à d'autres tâches. Qui postulera à ces postes, sinon ceux qui viennent juste de sortir de l'école, ce que nous voulions précisément éviter ?
S'agissant de la collégialité, dont vous avez accepté la mise en place dans trois ans, j'y suis évidemment très favorable. Mais comment cette évolution majeure va-t-elle pouvoir se réaliser avec les effectifs actuels ?
Je terminerai sur le financement de cette réforme : elle n'a fait l'objet d'aucune étude d'impact, les moyens humains manqueront nécessairement et aucun budget n'a été prévu dans le projet de loi de finances pour 2007, ce que vous avez d'ailleurs reconnu tant devant la commission des lois de notre assemblée, le 29 novembre 2006, que devant l'Assemblée nationale, le 14 décembre 2006 !
Alors, monsieur le garde des sceaux, pourquoi cette réforme, pourquoi cette précipitation ?
Privilégiant les contingences politiques électorales au détriment de l'intérêt général, vous êtes en train de faire perdre à la France l'occasion d'une grande réforme de notre justice. C'est très regrettable !
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera contre ce texte, même s'il a été amélioré par notre assemblée.