La singularité de l'AP-HP tient au fait qu'elle regroupe 10 % des lits d'hospitalisation en France dans un seul établissement, tout en représentant 40 % de la recherche médicale. Nous figurons parmi les dix premiers pays dans le classement mondial pour beaucoup de spécialités, et notre typologie de soins se distingue par sa concentration.
Depuis 2015, nous tentons de basculer vers un modèle qui tirerait parti des avantages de sa grande taille. Pour bien soigner les gens, il faut tirer parti de l'innovation. Lorsque je suis arrivé, le système d'information en était à ses balbutiements. Désormais, 37 établissements sur 39 sont connectés au système d'information, de sorte que les dossiers médicaux sont accessibles immédiatement dans un espace sécurisé et qu'il est possible de prendre rendez-vous en ligne ou de payer en ligne dans les hôpitaux de l'AP-HP. Ce système d'information alimente un des entrepôts de données sécurisés les plus importants au monde qui facilite le travail de nos chercheurs. Nous pouvons désormais établir un lien entre le nombre d'accidents vasculaires cérébraux et les épisodes de pollution, ou bien collaborer avec les industriels pour tirer parti de ces données en construisant des algorithmes. Nous disposons aussi d'une plateforme génomique à laquelle collaborent tous les hôpitaux de l'AP-HP ainsi que les instituts Curie et Gustave Roussy. Ces outils sont utiles pour l'avenir.
Des évolutions fortes se sont dessinées au cours des dernières années. Il y a cinq ans, on opérait un patient sur quatre dans la journée. Désormais, on en opère quatre sur dix, ce qui signifie que la part de la chirurgie ambulatoire a crû de 24 % à 40 %. Ces transformations rapides et majeures peuvent se révéler perturbantes pour les équipes, dans la mesure où notre organisation est refondue avec des fermetures ou des ouvertures de sites. En Île-de-France, les rémunérations à l'hôpital sont les mêmes que dans le reste du pays, alors que le coût de la vie y est supérieur de 30 %. Les infirmiers connaissent des problèmes de logement ou de transport, et les médecins souffrent d'un niveau de vie inférieur à celui de leurs collègues de province. Par tradition, la mobilité reste difficile, alors que les équipes auraient besoin de tourner, de se reconstituer et d'évoluer. À cela s'ajoutent les rigidités propres à un établissement gigantesque géré avec les mêmes instruments juridiques qu'un établissement de petite taille, c'est-à-dire un segment central qui n'a pas plus de pouvoirs qu'une commission médicale d'établissement (CME) dans un hôpital doté d'un seul service, alors que nous en comptons 650.
D'où la réforme de la nouvelle AP-HP que nous menons sur les procédures internes et les outils juridiques, en développant une organisation fédérale qui donne du pouvoir aux hôpitaux. Pour montrer ma bonne foi, j'ai annoncé que je vendais le siège actuel de l'AP-HP pour établir le nouveau, beaucoup plus petit, au milieu d'un hôpital. Nous privilégierons une structuration en quatre ensembles hospitaliers forts avec une stratégie plus efficace.
Une AP-HP plus fédérale va de pair avec une ouverture sur l'extérieur. Une structure monobloc est incompatible avec les besoins des patients qui souffrent de plus en plus de maladies chroniques favorisant des séjours courts à l'hôpital, mais exigeant des soins plus longs. Nous développons le lien des groupes hospitaliers avec les systèmes de soins existant dans leur région. L'hôpital Henri-Mondor de Créteil pourra ainsi travailler davantage avec le centre hospitalier intercommunal de Créteil, situé à 800 mètres. Nous avons aussi monté le programme « Médecins partenaires » pour développer notre collaboration avec la médecine de ville. M. François Crémieux, quand il dirigeait l'ensemble des hôpitaux du nord de Paris, a monté un partenariat avec des centres de santé municipaux pour développer les échanges entre les équipes. Notre pays a trop longtemps vécu dans un système de rupture entre la médecine de ville et l'hôpital, alors que les autres pays en sont sortis depuis longtemps. Il est urgent que nous décloisonnions ces deux pans de notre système de santé.
L'Île-de-France développe la médecine de proximité même si elle est la région la plus riche de France. En Seine-Saint-Denis, l'hôpital de Bondy complète l'activité des hôpitaux spécialisés de Saint-Ouen et de Bobigny en pratiquant la médecine de proximité en milieu dense. On y vient non pas pour se faire opérer, mais pour consulter, recevoir des soins ou contrôler leur suivi. Cette évolution caractérise aussi le centre de Paris où certains établissements proposent une offre de soins non programmés.
Nous gagnerions aussi à donner plus de souplesse à ceux qui travaillent à l'hôpital. Selon une étude de l'OCDE, les infirmiers du secteur public sont moins bien payés que les salariés moyens dans trois pays, la République de Slovaquie, la Hongrie et la France. La condition des infirmiers français est plus proche de celle des infirmiers turcs ou grecs que des infirmiers allemands, espagnols ou italiens ! Si l'on ajoute le coût de la vie à Paris, la situation est encore moins brillante.
Pourquoi les infirmiers sont-ils moins bien payés dans notre pays qu'en Allemagne, alors que nous consacrons la même part de la richesse nationale à la santé, soit 11 % du PIB ? En Allemagne, les infirmiers sont aussi cliniciens et ils coopèrent avec les médecins de sorte que le système a intérêt à les rémunérer davantage. En 2017, vous avez réduit à six mois le délai dans lequel la Haute Autorité de santé devait se prononcer sur la possibilité pour les équipes de déléguer leurs compétences. Aujourd'hui, il faut trente mois pour que le médecin autorise une infirmière à exercer des responsabilités ou des compétences plus techniques que d'ordinaire, sans qu'elle soit rémunérée un seul euro de plus. Le plan « Ma santé 2022 » facilitera cette possibilité. Nous souhaitons que 1 000 infirmiers s'inscrivent dans ce protocole d'ici à la fin de l'année, contre 150 aujourd'hui, mais cela ne sera possible qu'à condition de les rémunérer davantage. On répondra ainsi à des attentes fortes. Le lien entre l'hôpital et les acteurs de la médecine de ville doit évoluer grâce à une redéfinition des métiers.
Certains patients ne peuvent pas recevoir de soins paramédicaux de rééducation en kinésithérapie, car les masseurs-kinésithérapeutes préfèrent aller exercer dans des établissements privés où leur salaire est double, voire triple. Le seul moyen de les retenir est de les autoriser à passer à temps partiel pour qu'ils puissent exercer leur activité libérale à l'hôpital. Le procédé est pour le moins pervers.
En ce qui concerne l'assurance médicale obligatoire et complémentaire, pourquoi faudrait-il financer beaucoup d'emplois administratifs à l'hôpital à seule fin de vérifier trois fois de suite les droits des patients pour s'assurer que l'hôpital sera payé ? Les patients sont en général bien couverts, du moins pour 90 % d'entre eux. On perd inutilement des dizaines de millions d'euros par an.
Quant aux comptes des complémentaires, ils font apparaître que 6 milliards d'euros sont consacrés à la publicité. Pourquoi ne pas fusionner l'assurance maladie obligatoire et la complémentaire ? On économiserait ainsi 6 milliards d'euros que l'on pourrait redistribuer aux professionnels de santé. Malheureusement, cette idée n'est pas dans l'air du temps. Elle serait pourtant facile à mettre en oeuvre, hormis la difficulté que constituent les honoraires libres, à cause des variations possibles.