Vous avez vu l'évolution sur l'exercice mixte : l'ordonnance Debré avait pour but de faire revenir du plein temps à l'hôpital, et quelques vacataires sont venus y faire des vacations. Aujourd'hui, les professionnels aspirent à un exercice plus diversifié, et nous devons le leur permettre, sans diminuer l'attractivité de l'hôpital. Dans les centres de soins non programmés, on trouve des médecins de ville, des médecins hospitaliers et des médecins dont on ne sait plus s'ils sont de ville ou hospitaliers. Vous dites que les médecins manquent de liberté. Il est vrai que, avec les procédures et les normes, les structures sont de plus en plus compliquées à gérer. Les organisations médicales réclament de pouvoir déléguer davantage vers les responsables médicaux. Mais ceux-ci sont-ils bien faits pour cela ?
Vous évoquez la fracture numérique. Dans nos hôpitaux, quand on téléphone pour prendre rendez-vous, le téléphone n'est décroché qu'une fois sur cinq, pour des raisons que je ne sais pas corriger. Il faudrait que 60 % des gens aillent sur internet et que l'on recentre les autres moyens sur celles et ceux qui n'y ont pas accès. D'ailleurs, une partie de la population précaire est déjà digitalisée : comme dans les pays du Sud, où beaucoup sont équipés de smartphones, la fracture numérique ne recoupe pas toujours la fracture sociale. Le fait qu'une fraction de la population est trop âgée ou trop déconnectée pour ces outils n'est pas une raison pour ne pas les développer.
Sur le plan génomique, nous sommes plutôt en concurrence. Le plan « France Médecine génomique 2025 », qui a été porté avec talent par Yves Lévy quand il était président de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), est destiné à faire en sorte qu'on n'accuse pas de retard par rapport à la Grande-Bretagne ou d'autres pays. Il existe, certes, une rivalité entre public et privé, mais il y a aussi des coopérations. Nous avons inauguré la semaine dernière une expérience de gestion commune d'IRM entre des libéraux et l'hôpital. Cela pose le problème de la coexistence de salaires différents dans le même local, mais permet de partager l'investissement et de rendre davantage service à la population. Nous essayons de faire en sorte que cette concurrence soit une émulation, ce qui n'est pas toujours facile.
M. Daudigny rappelle le poids historique des mutuelles, qui ne font pas uniquement de l'assurance. Avec Didier Tabuteau, nous avions appelé à ce que les mutuelles, qui gèrent déjà un certain nombre d'établissements médico-sociaux, voire des établissements de santé, se redéploient pour devenir des opérateurs encore plus importants. C'est très bien que les médecins libéraux soient organisés en groupe. Le Président de la République a demandé qu'il n'y ait plus de médecin exerçant seul, mais cela doit se conjuguer avec la liberté. Des structures privées à but non lucratif peuvent les aider dans la gestion. Quant à l'autonomie de la sécurité sociale... J'ai connu une époque où elle était entièrement gérée par les partenaires sociaux. Le système actuel est bien différent. Mais je suis tenu par mon devoir de réserve.
La pénurie de médicaments et de vaccins - nous l'avons connue l'an dernier pour les vaccins contre l'hépatite B - est une véritable préoccupation, même pour nous qui sommes pourtant moins vulnérables, avec notre grosse centrale d'achat. Le déplafonnement des heures supplémentaires en est une autre, quand l'hiver arrive, une période de bronchiolite et de grippe : je dois demander l'autorisation à la Direction générale de l'offre de soins de déplafonner les quinze heures supplémentaires par mois.
Madame Rossignol, je suis prêt à vendre l'hôpital Villemin à Angicourt demain matin, dès lors que le plan local d'urbanisme le permettra. À Paul-Doumer, l'hostilité au projet de prise en charge de patients autistes sévères a diminué, et j'ai bon espoir pour la suite.
Le sexisme sur le lieu de travail existe à l'Assistance publique. Après le mouvement #MeToo, j'ai diffusé des directives pour souligner que l'argument de la tradition culturelle n'était pas une excuse. J'ai donné une interview pour l'expliquer, et j'ai eu la surprise de voir un médecin m'accuser de ne pas connaître les traditions hospitalières et affirmer que le fait de demander à une jeune interne de montrer ses seins en salle de garde était un comportement d'un adulte majeur et responsable...
Si Cynthia Fleury a décidé d'aller travailler dans un autre hôpital, la chaire de philosophie existe toujours et a beaucoup de succès. Nous avons aussi un centre d'éthique clinique, et différentes autres initiatives similaires.
Qu'est-ce qu'un médecin heureux ? Je parle souvent de mue douloureuse de l'hôpital. J'ai abordé ce sujet avec le responsable du centre hospitalier le plus prospère de la côte Est américaine. Il m'a dit que ses médecins étaient très bien payés, mais qu'ils faisaient cinq heures de paperasse par jour, notamment pour les assurances. Pour moi, un médecin heureux, une aide-soignante heureuse, une infirmière heureuse, ce sont des professionnels qui travaillent dans une équipe qui s'entend bien. Or les conditions pour que les équipes s'entendent bien ne sont pas réunies. Pour progresser, nous permettons aux services de s'autoévaluer pour avoir le label Hospitalité. L'objectif était d'aider les patients à se sentir mieux accueillis, et cela a surtout aidé les équipes à avoir envie de mieux travailler ensemble.
Pour conclure, je dirai que, dans toutes les réformes que j'ai engagées, je me suis appuyé sur les travaux du Sénat : le RSA découle d'un rapport d'information du Sénat, le service civique d'une proposition de loi du Sénat, tout comme les agences de sécurité sanitaire. Toutes ces réformes ont été entreprises non pas en essayant de réinventer, mais en partant de programmes expérimentaux menés dans les territoires.