Monsieur le président, messieurs les rapporteurs spéciaux, madame, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, je reviens tout juste d’un déplacement à La Réunion.
Je suis allé au contact de la population, parce que la seule méthode qui ait du sens pour moi, c’est l’écoute et le dialogue avec nos concitoyens. J’ai également rencontré les élus, le monde économique, les syndicats.
Je voudrais affirmer ici que, en Guyane et à Mayotte, hier, à La Réunion comme dans les autres territoires que je n’oublie pas et à Paris, aujourd’hui, notre modèle de vivre-ensemble, qui a tant fait notre fierté, est mis à mal.
C’est dans ces moments que le mot « gouverner » doit prendre tout son sens : gouverner, ce n’est pas imposer d’en haut des choix déconnectés de la réalité du terrain ; c’est toujours agir en responsabilité, guidé par l’intérêt général, pour que chaque citoyen trouve sa place dans la société.
Le dialogue est nécessaire. Pas plus tard qu’hier, de retour de La Réunion, j’ai organisé une visioconférence avec les Réunionnais, comme je m’y étais engagée devant eux, car le grand débat sur les réseaux sociaux n’avait pas pu aller à son terme.
L’État a pris des engagements forts et je rendrai compte de leur mise en œuvre à La Réunion et dans tous les territoires, tout comme je veillerai d’ailleurs à ce que chacun joue le jeu républicain. Cette responsabilité et cette transparence sont à la base de mon action. Vous le savez tous, depuis dix-huit mois, je travaille pour transformer nos territoires dans la dignité, le respect et l’unité, pour des outre-mer pleinement inscrits au cœur de la République.
Le projet de budget que je vous présente découle bien sûr de choix politiques majeurs et de convictions fortes. Ce choix de la transformation, c’est le refus du conservatisme, c’est la volonté d’accompagner les territoires vers un développement qu’ils auront eux-mêmes défini. C’est le propre de la démocratie participative et ce besoin s’est clairement exprimé sur le terrain, ces jours derniers.
C’était l’intérêt premier des assises des outre-mer : l’expression directe de milliers de citoyens, d’entrepreneurs, de porteurs de projets, qui nous disent à quel point l’État est attendu ! Ce n’est pas toujours plus d’État, mais mieux d’État…
Les exaspérations, les inégalités, les injustices exprimées, je les comprends comme une incitation à aller plus loin et à poursuivre dans la voie de la transformation. L’État est le garant des institutions, il se doit de protéger les plus démunis, mais aussi de libérer les énergies, tout en restant au plus près des attentes des Ultramarins.
Ces attentes sont claires.
Il y a tout d’abord l’emploi. Oui, l’emploi est une priorité parce que, sans activité, sans travail, sans fierté, un territoire, quel qu’il soit d’ailleurs, n’est qu’un navire à la dérive avec un équipage totalement perdu, et souvent en colère.
Il y a le pouvoir d’achat, ensuite : nous devons travailler en profondeur sur ce sujet dans les territoires d’outre-mer.
N’oublions pas non plus la qualité de vie : plus de services publics, plus de crèches, un système de santé performant.
Il faut aussi des formations et des emplois pour la jeunesse ultramarine. Nous avons besoin d’une société moins inégalitaire – elle l’est à La Réunion ou dans d’autres territoires d’outre-mer aujourd’hui – et plus solidaire.
Il faut, par ailleurs, et j’en ai pris l’engagement, une totale transparence de l’action de l’État. J’invite du reste à une totale transparence de l’action des pouvoirs publics.
On m’a aussi rapporté qu’il fallait des responsables et des élus plus exemplaires dans leur manière de gouverner.
Face à ces aspirations, je ne promets pas une égalité réelle ni une convergence des niveaux de vie vers une moyenne nationale, dont tout le monde sait que celle-ci recouvre une grande diversité. Ce n’est pas ma vision des choses, vous le savez. Chaque territoire ultramarin doit trouver son propre modèle de développement. Et comme je le rappelais à La Réunion, l’État ne fera pas seul. Il n’est pas, tant s’en faut, le seul à détenir les réponses aux défis qui sont devant nous.
Pour permettre aux territoires d’enclencher cette dynamique de progrès économique, le présent projet de budget nous donne les moyens d’agir sur l’investissement public et d’appuyer les entreprises.
En ce qui concerne l’investissement public, les crédits du fonds exceptionnel d’investissement sont portés de 40 millions d’euros à 110 millions d’euros par an. Ce niveau d’engagement sera maintenu tout au long du quinquennat. Sur cinq ans, ce sont donc 500 millions d’euros que nous affecterons au financement des infrastructures essentielles aux territoires.
Nous parlions de convergence : ces crédits y contribuent. La loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer a par ailleurs prévu la signature d’une nouvelle génération de contrats dédiés au financement du rattrapage structurel. Ces contrats de convergence vont s’accompagner du mot « transformation ». Ils seront signés dans les prochaines semaines et scelleront les engagements de l’État et des collectivités jusqu’en 2022. Les outre-mer sont en avance sur l’Hexagone : sur quatre ans, l’effort de l’ensemble des périmètres ministériels va s’élever à 2 milliards d’euros. Pour ce qui est du ministère des outre-mer, nous allons y consacrer 179 millions d’euros en 2019, soit 15 % de plus que l’an passé.
L’investissement public, c’est également la construction et la rénovation de logements. Vous avez raison, mesdames, messieurs les sénateurs, il s’agit d’une préoccupation essentielle dans les territoires d’outre-mer.
La ligne budgétaire unique est maintenue à 225 millions d’euros. Le produit de la cession des parts de l’État au sein des sociétés immobilières d’outre-mer, les SIDOM, opération que nous attendions tous et qui a rapporté une somme de 19 millions d’euros, est réservé au ministère des outre-mer dans la loi de finances rectificative pour 2018.
Ces derniers jours, j’ai eu l’occasion de réaffirmer les engagements pris en matière d’accession à la propriété et d’aide à la rénovation de l’habitat privé : traitement de l’ensemble des dossiers actuellement bloqués, réflexion sur la mise en place de nouveaux mécanismes en matière d’aide à la rénovation et d’accession à la propriété – je compte sur vous pour m’y aider, mesdames, messieurs les sénateurs. Bien évidemment, la diversification des parcours résidentiels outre-mer est une vraie préoccupation. Je crois que la réponse ne peut pas être que sociale, comme vous le savez tous ici.
D’ailleurs, le présent projet de loi de finances comporte de nombreuses mesures fiscales favorables à la construction de logements : prolongation de la défiscalisation, amélioration de la chronicité du versement du crédit d’impôt, mais aussi augmentation des quotas de prêts locatifs sociaux, allongement des délais de mise en location ou encore extension de la défiscalisation dans les collectivités d’outre-mer pour la réhabilitation du parc social existant.
Accroître l’investissement public est fondamental pour répondre aux besoins du quotidien des Ultramarins.
Mon second combat est tout aussi fondamental : c’est la bataille pour l’emploi, parce que c’est dans le travail, je le répète, que se construit la dignité, rappelée aujourd’hui encore dans les rues de La Réunion. Pour ce faire, il faut soutenir les entreprises et, bien sûr, créer des richesses.
Il m’a également été dit que, au-delà de la création de richesses, la vraie question était celle du partage : mieux répartir la richesse dans les territoires d’outre-mer est un défi que nous devons aussi relever ensemble.
Depuis décembre 2017, le Gouvernement a proposé de faire évoluer les aides pour l’emploi et l’activité économique outre-mer. Vous le savez, un travail énorme a été mené en ce sens. L’objectif était bien de définir une politique de développement économique volontaire, pilotée et cohérente et d’inscrire les dispositifs d’accompagnement dans le temps long.
Oui, certains outils disparaissent, parce qu’ils ne sont pas assez lisibles, parce que l’on ne savait pas, au final, où allaient véritablement les financements, parce qu’ils ne servaient qu’à quelques-uns, mais aussi parce que nos concitoyens nous demandent plus de transparence. Ils veulent savoir où va le moindre euro de leurs impôts, et il est normal que l’on puisse leur répondre, dans les territoires d’outre-mer comme ailleurs. Je puis vous assurer que cette transparence sera au rendez-vous !
Notre objectif n’a pas varié sur la question de l’écosystème d’accompagnement des entreprises : ce système doit être pérenne et ciblé, afin de faire des outre-mer des territoires de conquête économique. Si nous voulons l’excellence, nous devons être à la hauteur ! La transformation du CICE en allégement renforcé de charges sociales a entraîné un bouleversement des exonérations spécifiques aux outre-mer. Dans ce contexte, notre volonté a été d’assumer une politique de l’emploi, de simplifier les barèmes existants et de parier sur les secteurs d’avenir que sont l’économie bleue, l’innovation, le tourisme ou encore l’industrie.
Nous permettons que les zones les plus intenses en emploi bénéficient de charges égales à zéro. Outre-mer, 53 % des salariés gagnent moins de 1, 4 SMIC et 80 % des demandeurs d’emploi sont peu ou pas du tout diplômés.
C’est non pas une trappe à bas salaires, mais une trappe à chômage qui existe aujourd’hui dans les territoires d’outre-mer. Je veux les en sortir. Surtout, je veux en sortir la jeunesse non diplômée, la jeunesse non qualifiée. En effet, qui sont tous les jeunes qui manifestent aujourd’hui ? Ce sont des jeunes sans emploi, qui nous demandent de prendre nos responsabilités et de faire en sorte que leur avenir soit meilleur, demain, dans chaque territoire d’outre-mer. Je serai au rendez-vous.
Nous avons mené un travail approfondi avec les administrations et les professionnels. Le Gouvernement a réalisé un effort supplémentaire de l’ordre de 130 millions d’euros, afin d’abaisser le coût du travail en outre-mer, tout en conservant l’objectif de mener une politique volontariste pour l’emploi et contre le travail illégal.
Les conséquences budgétaires sont tirées sur la mission « Outre-mer ». Tel est le sens des amendements qui ont été adoptés à l’Assemblée nationale, avec 30 millions d’euros supplémentaires – 15 millions d’euros à la suite de l’ajout d’un certain nombre de secteurs et 15 millions d’euros pour répondre aux spécificités de la Guyane. Tel est également le sens de l’amendement que je présenterai tout à l’heure, pour un montant de 65 millions d’euros. Au final, ce sont donc 95 millions d’euros supplémentaires qui ont été mobilisés par rapport au projet initial qui a été présenté à l’Assemblée nationale.
Certains s’interrogeront sur la raison de ces petits ajouts. J’avais dit ici qu’il nous fallait encore travailler, et jusqu’au dernier jour, avec l’ensemble du monde économique et coller à la réalité des besoins des territoires. C’est ce que nous avons fait à ce stade. Je précise que la modification des circuits de financement des exonérations de charges a entraîné une mesure de périmètre, faisant entrer 300 millions d’euros dans notre budget. Il s’agit d’une mesure purement technique. Vous connaissez ma volonté de transparence : je ne me vante jamais de quelque chose qui n’existe pas !
Ce nouvel écosystème économique ne se résume pas aux exonérations, même si ces dernières occupent évidemment une place importante dans les crédits du ministère.
Pour améliorer le financement de l’économie, la mission « Outre-mer » sera enrichie de nouveaux outils nécessaires au démarrage des projets. C’est l’objet de la nouvelle action n° 04, qui figure désormais au sein du programme 138. Avec la réforme des dispositifs zonés et la prolongation de la défiscalisation, nous allons construire un ensemble cohérent et efficace. Surtout, nous allons en mesurer les conséquences. S’y ajoute le renforcement des moyens dédiés au financement des investissements structurants, qui bénéficient directement à l’activité des entreprises, puisque, vous le savez, construire des écoles ou des crèches ou encore régler les problématiques d’eau, c’est de l’activité sur les territoires.
Je vous rappelle que, pour les secteurs qui bénéficient des nouvelles zones franches d’activité, le taux d’impôt sur les sociétés est réduit à environ 6 %. Autrement dit, il est plus bas qu’en Irlande !
Comment faire mieux pour permettre l’excellence dans les territoires d’outre-mer ? Démontrons tous ensemble que nous sommes capables de relever le défi qui nous est posé. Mesdames, messieurs les sénateurs, conformément aux orientations du Livre bleu, ce projet de budget propose de transformer nos territoires pour les rendre plus attractifs, plus agréables à vivre, pour en faire des terres d’excellence et de rayonnement, car, oui, nous sommes des richesses. Être une richesse, être une chance pour la France, cela ne se décrète pas ; cela se construit. C’est ce que nous faisons ensemble.
Cela ne peut résulter de la prise de conscience d’une petite partie seulement des territoires d’outre-mer : il faut une prise de conscience de l’État, avec tous ses partenaires, avec l’ensemble des élus des différents territoires. Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, l’État ne peut pas tout ! La force de ce budget ne pourra être opérationnelle que si l’ensemble de la classe politique des territoires d’outre-mer, mais aussi de nos acteurs sur le terrain travaillent à une logique collective de construction.
Comme les Réunionnaises et les Réunionnais nous l’ont montré, les Ultramarins sont exigeants. Et ils ont raison de l’être ! Je le suis moi-même. Il ne saurait en être autrement, et il nous appartient, mesdames, messieurs les sénateurs, d’être à la hauteur de leurs attentes, à la hauteur de La Marseillaise qui a retenti, mercredi dernier, à La Réunion, chantée par plus de 2 000 manifestants. Nous devons être à la hauteur des valeurs qui sont au fondement de notre vivre-ensemble : la fierté, l’unité, la dignité et la fraternité. Ces valeurs sont le socle de l’esprit républicain, l’essence même de la France des outre-mer.