Intervention de André Vallini

Réunion du 3 décembre 2018 à 14h30
Loi de finances pour 2019 — Compte de concours financiers : prêts à des états étrangers

Photo de André ValliniAndré Vallini :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plusieurs orateurs l’ont rappelé avant moi, le Président de la République s’est engagé à consacrer, d’ici à la fin de son mandat, 0, 55 % de la richesse de notre pays à l’aide publique au développement. Or, pas plus que le budget pour 2018, le budget pour 2019 n’engage la France sur une trajectoire crédible vers cet objectif.

Certes, cette trajectoire prévoit une forte augmentation en fin de quinquennat, mais on peut s’interroger sur cette accélération très forte à partir de 2020 quand on sait que l’APD a souvent servi, par le passé, et sous tous les gouvernements, de variable d’ajustement en cas de difficultés budgétaires. En tout cas, nous sommes loin d’allouer à l’APD 0, 7 % du revenu national brut ; 0, 7 %, ce chiffre qui fait consensus dans les instances internationales et que d’autres pays européens ont déjà atteint : la Norvège, le Royaume-Uni, le Danemark ou encore l’Allemagne.

Après cette introduction, j’en viens à la répartition du budget lui-même.

Monsieur le ministre, je relève tout d’abord deux points positifs.

Premièrement, les financements dédiés à la lutte contre le changement climatique seront renforcés, pour atteindre 1, 5 milliard d’euros par an d’ici à 2020. Dans ce cadre, la priorité sera donnée à l’Afrique, aux pays les moins avancés, ou PMA, et aux pays les plus vulnérables au réchauffement.

Deuxièmement, l’éducation sera favorisée – Christian Cambon en a parlé. Sur les trois prochaines années, une contribution de 200 millions d’euros sera accordée au partenariat mondial pour l’éducation, le PME, contre seulement 17 millions d’euros pour la période précédente, et 100 millions d’euros de subventions additionnelles, via l’AFD, seront dédiés au secteur de l’éducation de base.

Je tiens à dire un mot de la répartition entre les prêts et les dons et entre l’aide bilatérale et l’aide multilatérale, sujets dont a parlé Richard Yung.

On sait que la faiblesse des dons conduit depuis longtemps l’APD française vers les pays les plus solvables ; les pays les plus pauvres ne bénéficient, eux, que d’un quart de l’aide française, les autres étant notamment des pays émergents, comme la Chine, le Brésil ou encore l’Afrique du Sud.

Je relève également la montée de nos contributions multilatérales, qui s’observe depuis quelques années, au détriment de nos aides bilatérales. Lors de sa réunion du 8 février dernier, le CICID, le comité interministériel de la coopération internationale et du développement, a préconisé de corriger cette évolution, conformément à ce que souhaite le Sénat depuis de nombreuses années. Les deux tiers de la hausse des autorisations d’engagement de l’APD d’ici à 2022 devront contribuer à la composante bilatérale de l’aide au développement. Parallèlement, les dons progresseront aussi, l’AFD devant bénéficier dès 2019 de plus de 1 milliard d’euros d’autorisations d’engagement.

Pour résumer, en valeur relative, les dons augmentent par rapport aux prêts et le bilatéral progresse par rapport au multilatéral, ce qui correspond aux préconisations du Sénat. Toutefois, en crédits de paiement, les dons projets de l’AFD ne passeront que de 213 millions à 280 millions d’euros et les autorisations d’engagement, en forte hausse, ne seront mises en œuvre que sur plusieurs années. L’aide réelle aux pays les plus pauvres, notamment ceux du Sahel, dépendra donc du renouvellement de ce niveau élevé d’autorisations d’engagement au cours des prochaines années. Il s’agit d’un véritable défi pour l’AFD, qui, ces dernières années, s’est concentrée sur l’instrument « prêts » au détriment de l’instrument « dons », l’Agence étant devenue, de facto, davantage une banque de développement qu’un opérateur de l’aide au développement.

Pour ce qui concerne les prêts, le plan de croissance rapide des engagements de l’AFD pose deux questions.

Premièrement, la majorité de ces engagements correspond à des prêts à taux de marché ou faiblement bonifiés, contractés avec des pays à revenu intermédiaire ou des pays émergents. Je pense à la Turquie, au Maroc, à la Colombie, à l’Inde, au Brésil, à l’Égypte, ou encore à la Jordanie. Or, dès 2018, la forte dégradation des capacités d’emprunt de plusieurs de ces États risque de rendre l’objectif de croissance des engagements de l’AFD plus difficile à atteindre.

Deuxièmement, si l’AFD parvient à augmenter encore ses prêts, ne risque-t-on pas d’observer une diminution de la qualité de ces engagements, avec des projets qui ne répondraient pas forcément à toutes les exigences environnementales, sociales ou de bonne gouvernance, de démocratie, pour être tout à fait clair, que l’AFD doit respecter ?

Dans le même ordre d’idées, ce plan de croissance va obliger l’Agence à demander l’extension de son mandat à de nouveaux pays, au risque de nuire à la cohérence de la politique d’aide au développement.

Richard Yung a déjà évoqué la gouvernance de l’AFD. Jean-Pierre Vial en a beaucoup parlé, avec raison, et nous l’avons déjà dit en commission : les sénateurs, toutes tendances confondues, pensent qu’il faut améliorer l’articulation entre la politique d’aide au développement et les autres dimensions de la politique extérieure que vous conduisez, monsieur le ministre, à savoir la diplomatie, le commerce extérieur, les interventions militaires contre le terrorisme, la lutte contre l’immigration irrégulière et, surtout, contre les causes profondes des migrations. Il est donc clair que, dans les prochains mois et les prochaines années, le Gouvernement doit renforcer le pilotage politique de l’AFD.

Enfin, je dirai un mot de la taxe sur les transactions financières, la TTF.

En 2018, le Gouvernement a décidé de revenir sur la mesure votée par le Parlement en 2017. En cessant de taxer les opérations intrajournalières, le fameux intraday, il a renoncé à des recettes représentant 2 milliards à 4 milliards d’euros supplémentaires par an. Cette année, vous aggravez votre cas, si je puis dire, en proposant que la TTF, jusqu’à présent allouée à 50 % au développement, ne soit plus affectée au développement qu’à hauteur de 30 %.

Jusqu’à présent, la TTF était allouée pour 528 millions d’euros au Fonds de solidarité pour le développement, le FSD, et pour 270 millions d’euros à l’AFD. Or le projet de loi de finances pour 2019 supprime la part affectée à l’AFD. Marie-Françoise Perol-Dumont en a parlé à l’instant. Elle a raison d’exprimer la crainte ressentie sur toutes les travées du Sénat. Il s’agit d’un recul historique, alors même que 2019 sera une année charnière, ponctuée de rendez-vous incontournables : le G7, bien sûr, la reconstitution du Fonds vert pour le climat, évidemment, et la reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.

Monsieur le ministre, ce budget n’est pas à la hauteur des ambitions que vous affichez et qu’affiche le Président de la République. Il n’est pas à la hauteur de ce que l’on attend de la France dans le monde. C’est la raison pour laquelle les sénateurs du groupe socialiste et républicain s’abstiendront.

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