Monsieur le ministre, vous êtes à la tête d’un grand et beau ministère qui mériterait d’être au cœur de l’État, parce qu’il est d’abord, comme le rappelait le président Christian Cambon, le ministère de la paix. Nous en avons plus que jamais besoin !
Notre pouvoir d’influence à l’international reste fort, parce que nous avons fait le choix, fruit d’une longue tradition, d’être présents physiquement grâce à notre réseau diplomatique et consulaire, considéré comme l’un des premiers au monde, et grâce à notre présence culturelle éducative et économique. La France compte ! On nous fait confiance, parce que nous allons au contact porter notre voix, et vous êtes le premier à montrer l’exemple.
C’est bien notre force de persuasion et d’attraction qui a fait de la COP21 un formidable succès pour notre pays. Pourtant, notre diplomatie souffre d’une vision obsolète du rôle de l’ambassadeur, se traduisant par des choix budgétaires qui ne sont guère en faveur du Quai d’Orsay, traité depuis longtemps par le ministère des finances comme une variable d’ajustement. Cela se traduit, notamment, par la vente et le retrait de nos antennes et de certaines missions à l’étranger, qui entraînent immédiatement une baisse de la présence française, toujours très mal perçue par nos ressortissants et les autorités des pays concernés.
Si vous vous inscrivez dans un mouvement qui n’est pas nouveau, son ampleur est nouvelle. Vous nous annoncez une ponction inédite de 10 % sur la masse salariale de toutes les missions, ce qui entraînera d’importantes suppressions de postes. Vous en conviendrez, on nous impose un vrai massacre à la calculette.
Les effectifs concernés, 130 pour 2019, sont issus de plusieurs ministères. Néanmoins, six de vos collègues du Gouvernement, et non des moindres – les ministres de l’action et des comptes publics, de l’économie et des finances, de l’agriculture, des armées, de l’intérieur et de la transition écologique –, ont d’ores et déjà annoncé qu’ils refusaient de se laisser imposer de futures suppressions de postes internationaux par votre ministère. Allez-vous être forcé de concentrer ces économies sur le seul Quai d’Orsay ?
Si vous deviez supporter majoritairement les suppressions demandées, celles-ci entraîneraient indéniablement la fermeture de nombreuses ambassades et consulats et mettraient fin, d’un coup, à ce que nous avons laborieusement construit depuis longtemps. Cela nous amènerait également à entamer de longues négociations pour payer des primes de licenciement à des personnels recrutés localement, qui ont souvent fait toute leur carrière au service de la France. Les économies réalisées risquent fort de nous coûter très cher sur le long terme. L’image de la France sera également ternie.
Dans ce contexte, pourriez-vous préciser quelles sont les intentions du ministère de l’Europe et des affaires étrangères quant à cette politique de suppressions de postes ? J’imagine que la dématérialisation et l’externalisation seront accélérées, alors qu’elles ne sont pas accessibles par tous et partout.
Je regrette le choix d’un service public d’où disparaît progressivement le contact humain, pour des raisons comptables. Heureusement, nous avons nos 442 conseillers consulaires, qui sont nos meilleurs liens de proximité avec les Français établis hors de France et qui sont élus, notamment, pour les conseiller et les accompagner lors de leurs démarches administratives. Nous aurons, semble-t-il, de plus en plus besoin de ces femmes et de ces hommes, élus locaux indispensables au maintien d’un lien social, essentiel, dans nos communautés.
Je voudrais maintenant aborder la question de l’enseignement français.
Nous avons 497 établissements implantés dans 197 pays, gérés par l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger ; 350 000 élèves y sont scolarisés, avec une augmentation de 2 % par an de ces effectifs.
Après l’annulation de 33 millions d’euros des crédits de l’AEFE en 2017, le taux de participation financière complémentaire versée par les établissements conventionnés est passé de 6 points à 9 points en 2018 pour compenser cette baisse. Ce sont les familles qui ont été mises à contribution, avec une augmentation des frais de scolarité. Il n’est pas logique de conserver une enveloppe des bourses à budget constant, alors que la demande croît, de par l’augmentation des frais de scolarité et de par la hausse de 3 % par an de nos communautés françaises présentes à l’étranger.
Le Président de la République a annoncé vouloir doubler le nombre d’apprenants de français dans le monde. Nous avons donc besoin de davantage d’établissements pour les accueillir, nécessitant plus de moyens financiers et humains. Or la décision d’arrêter brutalement la garantie de l’État, accordée jusqu’alors par l’Association nationale des écoles françaises de l’étranger, l’ANEFE, bloque aujourd’hui l’agrandissement de certains établissements et ne permettra pas à d’autres de contracter les prêts nécessaires. Un remplacement de ce système de garantie est-il recherché afin de sortir ces établissements de l’impasse dans laquelle ils se trouvent et qui engage leur stabilité financière et l’avenir scolaire des élèves qui y sont scolarisés ? Ce retrait de l’État est-il la première étape vers la recherche d’investisseurs privés qui se substitueront à lui ?
Si le doublement du nombre d’élèves semble reporté à 2030 dans les documents budgétaires du projet de loi de finances pour 2019, ce qui diffère de l’engagement présidentiel d’origine, cet objectif ne pourra être atteint que si le recrutement des professeurs, et surtout leur détachement, est planifié. Or la réduction du nombre des enseignants, après cinq ans d’augmentation, et la circulaire limitant leur détachement ne vont pas dans le sens de la hausse importante du nombre de détachements dont le réseau aura besoin. Sans compter les postes nécessaires au réseau de la Mission laïque française, conseillers culturels, directeurs d’alliances françaises et d’instituts français.
L’ambition constante du Président de la République à déployer une diplomatie universelle et des services consulaires de qualité pour nos compatriotes établis hors de France est incompatible avec son engagement de réduire, en même temps et dès 2019, le budget du ministère sur ces missions essentielles à notre service public. C’est l’image et le rayonnement de la France qui sont en jeu, partout dans le monde.