Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la culture, mes chers collègues, si le budget de la mission « Culture » sera en 2019 stable par rapport à 2018, il appelle, comme l’a justement fait observer la rapporteur pour avis de notre commission, Sylvie Robert, un certain nombre de remarques.
Sur la forme, tout d’abord, on constate des ajustements à la baisse, en ce qui concerne, par exemple, les bourses, l’enseignement supérieur culturel et le Fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle. Cela répond au souhait d’atteindre une plus grande sincérité budgétaire.
Dès lors, la contradiction est forte avec le fait qu’un certain nombre de dépenses prévisibles, mais encore peu précises, soient envisagées sur des crédits de gestion – Centre national de la musique, statut des enseignants des écoles d’art territoriales. N’apparaissant pas dans le budget, ces crédits échappent au contrôle parlementaire. Vous conviendrez, monsieur le ministre, que ce procédé doit rester exceptionnel.
Sur le fond, ensuite, certains points de vigilance évoqués lors de l’examen du budget 2018 restent en suspens. Parmi eux figure le pass culture, pour lequel 5 millions d’euros prévus cette année n’ont pas été dépensés. La dotation prévue pour 2019 est de 34 millions d’euros : il est difficile de mesurer et de comprendre la réalité du déploiement de cette somme.
Nous serons particulièrement attentifs à l’offre, pour garantir la diversité culturelle, à l’articulation avec les territoires, à la nature du contrat avec les partenaires privés – on nous parle désormais des banques – et à la nécessaire équité entre les jeunes, quels que soient leur lieu d’habitation et leur situation.
Le pass culture peut être un outil au service de la démocratisation et de l’équité culturelles, comme il peut en être le fossoyeur. Il est bien plus qu’une promesse de campagne ; c’est pour cela qu’il ne doit pas toujours être ramené à la promesse tenue, mais dépasser les contraintes politiques et de calendrier.
Le Centre national de la musique peine à voir le jour, après moult rapports. Il est pourtant vital pour la filière. Or, alors qu’il doit démarrer cette année, on ne voit pas de financements à la hauteur de ce grand projet.
C’est pourquoi, compte tenu des incertitudes pesant sur le pass culture, la commission de la culture a déposé un amendement visant à transférer 5 millions d’euros vers le CNM, dont la réussite dépendra de sa mise en route avec des fonds suffisants pour qu’il soit opérationnel.
S’agissant du plan « Conservatoires », nous avons déjà alerté sur l’insuffisance des crédits d’État à destination de ces lieux de référence, de ressources et d’excellence dans leur domaine. Ni les plans « Chorale » et « Orchestre à l’école » ni la volonté croissante d’ouvrir ces structures vers les territoires ne devraient nuire à leur mission première. Diversifier les actions nécessitera un effort budgétaire, faute duquel nous risquons de voir les missions se dégrader.
En ce qui concerne le budget 2019, de nouvelles interrogations se font jour.
La première porte sur les arts visuels et la place qui leur est réservée dans la politique culturelle. Peu de crédits sont dévolus au soutien à la production et à la diffusion des arts visuels – moins de 10 % des crédits du programme 131. Les arts visuels sont pourtant un secteur de forte créativité et d’attraction. La fréquentation des FRAC, par exemple, est en hausse ces dernières années.
Alors que les arts visuels jouent un rôle majeur dans les territoires, ils ne sont pas cités parmi les exemples relevant de l’enseignement artistique et culturel. Quant au Conseil national des arts visuels, il ne s’est pas réuni…
On le voit bien : les tiers lieux et les lieux alternatifs de création, très liés à cette discipline, n’ont jamais été aussi nombreux. C’est une marque de la vitalité créative de ces artistes et de ces collectifs. Monsieur le ministre, il est désormais nécessaire d’expliciter la feuille de route de cette discipline, comme c’est le cas pour les autres.
Une seconde interrogation concerne la déclinaison territoriale des politiques culturelles. Je formulerai plusieurs constats.
Tout d’abord, les territoires ne sont pas égaux face à la culture : de grandes disparités existent d’une région à l’autre, d’une DRAC à l’autre, et entre les territoires au sein même d’une région. Rapportées au nombre d’habitants, les dépenses culturelles varient du simple au double d’une région à l’autre !
Ensuite, tous les territoires ne sont pas en mesure de répondre aux appels à projets lancés par le ministère, faute d’information, de budget, d’ingénierie ou, tout simplement, de temps. Comme on dit communément, dans l’appel à projets, il faut entendre l’appel. Ce sujet est un fort facteur de discrimination entre les territoires.
Par ailleurs, la nouvelle donne budgétaire des collectivités territoriales, avec la contractualisation et le plafonnement des dépenses, vaut aussi pour les budgets culturels régionaux. Nous vous alertons sur la contradiction entre cette situation et la demande croissante de l’État de coconstruction avec les collectivités territoriales. Certes, celles-ci sont la clé pour que les droits culturels soient une réalité ; mais faut-il encore qu’elles en aient les moyens et que l’on les y autorise.
Enfin, on constate une certaine incohérence dans les crédits destinés à la politique territoriale. Ainsi, l’action Soutien à la démocratisation et à l’éducation artistique et culturelle voit ses crédits baisser de 8, 3 millions d’euros, alors que ceux-ci sont censés financer le plan « Culture près de chez vous ».
Voyez-vous, monsieur le ministre, il est essentiel de clarifier la politique culturelle territoriale et ses critères de choix, car la fracture culturelle est avant tout une fracture citoyenne.
J’en viens à l’éducation artistique et culturelle, qui mobilise aussi le ministère de l’éducation nationale. Doté de 198 millions d’euros, ce budget doit faire l’objet d’une clarification de sa répartition entre les deux ministères.
L’éducation artistique et culturelle est une des clés de la réussite du pass culture : c’est elle qui construit le chemin de la connaissance et de l’appétence pour la diversité culturelle. Elle est un outil majeur pour fabriquer des citoyens éclairés.
Nous souhaitons que ce grand défi se traduise budgétairement l’année prochaine, pour chacun des axes de l’éducation artistique et culturelle, car nous considérons – vous en serez certainement d’accord, monsieur le ministre – que ni la culture ni l’éducation ne prédomine : solidaires, les deux dimensions doivent l’être aussi en montants budgétaires.
S’agissant, enfin, du patrimoine, Philippe Nachbar, rapporteur pour avis, et moi-même ne pouvons que nous réjouir de le voir sortir des années de disette.
Le patrimoine suscite un engouement de la société civile, et chacun a pu s’en emparer. C’est une mobilisation citoyenne, comme en témoigne le succès du loto du patrimoine et de la mission de Stéphane Bern, ainsi que celui des Journées du patrimoine. À ce propos, monsieur le ministre, nous vous demandons de maintenir la disposition issue de l’amendement de la commission des finances voté à l’unanimité par notre assemblée mercredi dernier, afin de diriger les ressources fiscales du loto vers le patrimoine. Cela évitera les acrobaties de fin d’exercice que nous avons vues cette année…
Dans le même temps, le discours de l’État sur le patrimoine est pour le moins ambigu. Songeons, par exemple, à la discussion sur la loi ÉLAN en ce qui concerne le rôle des architectes des bâtiments de France. La politique patrimoniale s’est effacée devant d’autres considérations. Nous le regrettons d’autant plus vivement qu’elle est une politique d’attractivité, de lien social, d’aménagement et de revitalisation du territoire. Elle ne saurait être une variable d’ajustement !
Pour cela, elle doit être équitablement déclinée sur tous les territoires. Nous nous félicitons donc de la pérennisation du fonds incitatif créé pour les petites communes à faible potentiel financier. Louable, l’effort de diffusion vers les territoires n’en reste pas moins inférieur aux besoins. Il manque une visibilité, un calendrier, une cartographie, nous permettant de nous projeter sur un plan d’action sur tout le territoire français.
La déconcentration des crédits est nécessaire, partout où les besoins existent, car le patrimoine, c’est aussi le plus petit patrimoine, classé ou non : celui qui est le fruit de notre histoire et fait la valeur, l’image de nos communes.
Classés ou inscrits, 2 000 sites patrimoniaux sont en péril. Les protéger coûterait 2, 5 milliards d’euros. Et que dire du patrimoine non inscrit, dont la valeur est intimement liée au territoire auquel il appartient ? Inventorier et hiérarchiser, c’est donner une vision claire du champ du patrimoine à accompagner, donc des ressources nécessaires.
Monsieur le ministre, le présent budget, s’il est plutôt positif, invite à franchir une nouvelle étape cruciale pour permettre à la culture et au patrimoine d’accompagner de façon équitable les territoires et les citoyens. Un gros travail doit accompagner les choix budgétaires, pour garantir leur redistribution juste et efficace sur le terrain. Les territoires, voilà l’enjeu !
Ces remarques formulées, le groupe de l’Union centriste votera les crédits de la mission « Culture ».