Sur la question de l’efficacité de notre système éducatif, nous sommes nombreux à croire que l’essentiel se passe dès l’école primaire.
Vous avez fait le choix de porter en grande partie vos efforts sur les dédoublements des classes de CP et de CE1 dans les zones REP et REP+. Je salue bien évidemment cette démarche, qui sera achevée à la rentrée de 2019. Toutefois, il conviendra de faire une évaluation rigoureuse de ce dispositif au regard des quelque 3 900 postes supplémentaires qu’il nécessitera pour sa mise en œuvre.
Raisonner uniquement en termes de moyens est régulièrement pointé comme un prisme réducteur, notamment dans le dernier rapport d’évaluation de la Cour des comptes. Il convient d’y associer une vraie réflexion pour ajuster la gestion des enseignants aux besoins de l’éducation prioritaire. Peut-être faut-il même imaginer de nouvelles modalités d’affectation et de rémunération des professionnels qui s’engagent sur cette voie.
Parallèlement, comme une sorte de corollaire à ces créations d’emplois en zone d’éducation prioritaire, nombre de maires de communes rurales doivent, dans le même temps, faire face à des regroupements, voire à des fermetures de classes. Le climat pesant qui règne aujourd’hui dans notre pays montre combien ces territoires ont le plus grand besoin de politiques publiques efficientes, et pas uniquement en leur faisant jouer le rôle de variable d’ajustement des villes. Les ratios appliqués en zone dense ne peuvent s’appliquer sans discernement aux zones rurales.
Pour conclure, je souhaite revenir sur cette annonce du Président de la République relative à l’abaissement de la scolarité obligatoire à trois ans.
Cette mesure, qui entrera en vigueur à la rentrée de 2019, n’est pas sans conséquences budgétaires. En effet, si le taux de scolarisation à trois ans est extrêmement élevé – 98, 9 % d’après notre rapporteur pour avis Jacques Grosperrin –, il cache des disparités très nettes : il est seulement, par exemple, de 70 % à Mayotte.
Dans la plupart des communes, on observera une augmentation de quelques unités des effectifs dans les classes, ce qui pourra néanmoins créer quelques surcharges. Mais cette décision entraînera aussi des créations de classes dans un certain nombre de communes, qui devront supporter, la plupart du temps via leurs intercommunalités, des investissements importants.
Permettez-moi de vous dire que, lors de votre audition du 6 novembre dernier, vous n’avez pas apporté un éclairage très franc sur la prise en charge de ces dépenses supplémentaires. Je sais qu’il devient une habitude de prendre l’argent qui appartient aux collectivités et de ne pas leur donner les moyens d’appliquer les décisions nationales. Toutefois, je m’inquiète de cette nouvelle dépense non compensée, estimée à 100 millions d’euros, et je partage donc totalement la vigilance de notre rapporteur spécial sur ce sujet.
N’oublions pas les besoins humains, les coûts de fonctionnement que les communes devront déployer pour accompagner ces créations de classe, au travers, notamment, de la création de postes d’ATSEM. Comme pour la réforme des rythmes scolaires décidée sous le précédent quinquennat, faire peser ces dépenses sur les collectivités locales sans compensation est profondément injuste.
De manière plus conceptuelle, je m’interroge aussi sur la pertinence de cette mesure et sur son éventuel prolongement à la scolarisation des enfants de deux ans. Je suis absolument convaincu qu’il faut respecter le rythme de l’enfant, son autonomie, sa propreté, son aptitude à suivre une journée de classe. Il faut prendre en considération les choix de familles qui considèrent que leur enfant a besoin de plus de temps avant de vivre en collectivité.
Cette obligation se traduira aussi par une nécessité de contrôle, qui incombera également aux communes.
Je m’inquiète également au sujet des modalités pratiques de la mise en place de cette mesure. Nous le savons bien, lorsque les effectifs le permettent, les plus jeunes sont accueillis de manière très souple dans les très petites sections, pour une intégration progressive au sein de la classe. S’agira-t-il d’une obligation de scolarisation dès trois ans révolus, ce qui signifierait une arrivée de nouveaux enfants tout au long de l’année scolaire, ou bien à l’occasion de la rentrée qui suivra ?
Comme l’enfer est pavé de bonnes intentions, cette décision soulève nombre d’interrogations que je résumerai ainsi : une même norme, appliquée sans discernement à tous, est-elle cohérente ?
Pour tenter un raisonnement par analogie, permettez-moi de prendre l’exemple suivant. Je fais partie de ceux qui pensent qu’une voiture en bon état, circulant par temps clair, sur une route départementale rectiligne et dont le conducteur dispose de toutes ses facultés peut sans risque rouler à 90 kilomètres par heure, voire davantage. À qui viendrait l’idée d’imposer une réglementation plus stricte ? Pourtant, ce gouvernement a fait le choix d’imposer aux automobilistes une décision qui ne tient pas compte de la diversité des routes de notre pays. Rien ne l’oblige à déployer le même rouleau compresseur sur les familles et les enfants, au motif qu’il serait démontré qu’une scolarité anticipée donne de meilleures chances de réussite dans la vie.