Intervention de Jean-Louis Tourenne

Réunion du 6 décembre 2018 à 9h30
Loi de finances pour 2019 — Solidarité insertion et égalité des chances

Photo de Jean-Louis TourenneJean-Louis Tourenne :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, en cette période troublée que la violence sauvage utilise et que nous devons unanimement condamner, j’aurais vraiment aimé approuver les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Hélas, ce gouvernement fait de la mystification auprès des plus vulnérables sa méthode.

Derrière les grandes déclarations se cache tout de même un certain cynisme ; c’est intolérable ! Ainsi se nourrissent et s’accroissent un profond ressentiment dans la population et de la défiance à l’égard des élus. Christine Lagarde, que l’on ne peut soupçonner d’être une dangereuse gauchiste, accuse les élites d’être inconscientes de ce qui se passe.

Ainsi, sur l’AAH, une augmentation, louable, des crédits de 5, 1 % est annoncée. En réalité, cette mesure est accompagnée de la suppression pure et simple d’un droit essentiel pour les bénéficiaires, à savoir la garantie de ressources fixée à 998 euros, soit en dessous du seuil de pauvreté. Cette garantie vole en éclats avec la fusion, injustifiable et incompréhensible, du complément de ressources et de la majoration pour vie autonome. Elle entraînera, de surcroît, une perte de pouvoir d’achat de 75 à 179 euros pour les nombreuses personnes concernées.

Les mesures contre les personnes en situation de handicap ne s’arrêtent pas là : diminution de 10 % de l’allocation aux adultes handicapées pour les couples de bénéficiaires, suppression de la prime d’activité aux travailleurs invalides - on leur doit un peu plus de reconnaissance et de respect -, augmentation des frais de tutelle après désengagement de l’État et désindexation de l’AAH.

Sur la prime d’activité, on atteint des sommets en matière de supercherie.

Le Gouvernement annonce à tous les carrefours à son de trompe la revalorisation de 20 euros de la prime d’activité. Chacun s’en réjouit et approuve. Hélas, le bleu budgétaire au bas de la page 38 précise : « Le montant forfaitaire de la prime d’activité a fait l’objet d’une revalorisation exceptionnelle de 20 euros […]. En parallèle, le coefficient de prise en compte des revenus est abaissé d’un point, passant de 62 % à 61 %. » Pourquoi ? Cela fait 12 euros de moins sur les 20 euros promis à un salarié au SMIC. Excusez du peu !

Ainsi, l’augmentation se limitera à 8 euros – désindexés, soit moins de 7 euros en réalité – pour un SMIC, et à 14 euros pour un demi-SMIC, sachant que le périmètre aussi a changé. En dessous d’un demi-SMIC, pas de prime d’activité !

Les plus touchés sont, encore et toujours, les plus fragiles, notamment les femmes travaillant à temps partiel et, encore, les personnes en situation de handicap ! Comment peut-on agir ainsi : tromper et accabler ceux de nos concitoyens qui, accablés, le sont déjà, et ce pour quelques économies minimes, surtout au regard de l’argent distribué aux très riches ?

L’égalité entre les hommes et les femmes, c’est la grande cause du quinquennat, selon le Gouvernement. Eh bien, la grande cause n’échappe pas « à la poudre de perlimpinpin ». On refond en totalité les crédits, selon une géométrie quelque peu fantaisiste. Cela permet subtilement, pense-t-on, d’opérer des coupes importantes. Ainsi assiste-t-on à une réduction de 500 000 euros pour l’accompagnement des personnes en situation de prostitution, et à une réduction de 400 000 euros du montant de l’allocation financière pour leur insertion sociale et professionnelle, soit une baisse de 20 % des crédits consacrés à cette politique indispensable de lutte contre la prostitution et d’insertion des êtres qui y étaient contraints.

Votre proposition met en péril l’accompagnement social apporté par les associations agréées, qui font pourtant un travail remarquable sur nos territoires pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles et accompagner les personnes qui en sont victimes.

Le même sort est réservé aux actions en direction des personnes en difficulté. Le RSA n’est pas revalorisé et les crédits consacrés à l’aide alimentaire, dont les principaux bénéficiaires sont les Restaurants du cœur et la Banque alimentaire, baissent de 363 000 euros, alors que les indicateurs montrent une progression élevée du nombre de demandes – plus de 4 millions aujourd’hui. Tandis que l’Union européenne peine à reconduire ses aides, les difficultés risquent d’être considérables cet hiver.

Par ailleurs, le Gouvernement divise par cinquante le montant de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine, laquelle passe de 10 millions d’euros en 2017 à 200 000 euros en 2019. Cette action, décidée en 2016, s’inscrivait dans une politique globale et lucide de l’immigration, s’efforçant de limiter les sorties et de favoriser les retours. Mais c’était l’ancien monde…

La lutte contre la pauvreté, annoncée comme l’une des grandes priorités – mais qu’est-ce qui, dans les déclarations du Gouvernement, n’est pas prioritaire ? –, ressemble juste à un alibi pour tenter de se construire une image plus noble que celle qui lui colle désormais à la peau de gouvernement des très riches. Un montant de 135 millions seulement pour sortir de la misère 8 millions de pauvres et 3 millions d’enfants paraît totalement déconnecté de la réalité des besoins. Il est vrai que l’ambition est de faire participer les collectivités locales… Comment croire encore à la parole du Gouvernement, qui, là encore, communique plus qu’il n’agit ?

Enfin, les ministères sociaux sont parmi les plus touchés par les suppressions de postes. Après 287 en 2018, le Gouvernement supprime, cette année, 460 emplois. Cette décision est contradictoire avec les grandes et belles déclarations. Curieuse vision d’une politique sociale ambitieuse ! On compte de moins en moins de personnels pour la mettre en œuvre.

Un tel acharnement quasi clandestin contre les politiques sociales, contre la cohésion sociale, c’est la négation de nos traditions de solidarité. Or la solidarité est le fondement d’une société civilisée, selon la définition d’Edgar Morin. Elle devrait permettre à tout individu, quelles que soient ses différences, d’accéder à son maximum d’autonomie, de s’insérer dans les meilleures conditions, tant sur le plan social que sur le plan professionnel, de réussir sa vie sans être condamné par les conditions de sa naissance.

Il est grand temps de changer d’orientation, d’engager des actions de lutte contre les inégalités plutôt qu’accroître celles-ci, de favoriser l’épanouissement de tous, d’offrir à chacun les conditions de sa réalisation, de rassembler la Nation derrière et autour d’un projet pour une société plus juste, plus douce, plus harmonieuse et plus solidaire.

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