Intervention de Édouard Philippe

Réunion du 6 décembre 2018 à 14h30
Fiscalité écologique et pouvoir d'achat — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Édouard Philippe :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par remercier les orateurs qui se sont succédé à cette tribune. Je veux saluer le ton et la très bonne qualité de leurs interventions, sans me faire nullement juge de ce qui a été dit par chacun. J’ai indiqué aux présidents des formations politiques que j’ai reçus lundi dernier à Matignon que je souhaitais l’organisation d’un tel débat à l’Assemblée nationale, où il a eu lieu hier et a été suivi d’un vote, et au Sénat.

Je le souhaitais parce que, dans un moment politique intense, il est indispensable que le débat politique soit organisé à l’Assemblée nationale et au Sénat, que les échanges d’arguments, les mises en cause et les défenses éventuelles aient lieu au Parlement. Je salue donc encore une fois, très sincèrement, le ton et le talent des orateurs qui se sont exprimés.

Plusieurs d’entre vous ont procédé à une mise en perspective internationale, qui montre que cette crise n’est pas seulement française, même si je ne m’exonère d’aucune responsabilité quant à la recherche de sa solution. Il y a quelque chose de saisissant à constater que les crises sociales ou politiques actuelles interviennent environ une dizaine d’années après la crise financière qui a très profondément secoué nos économies et nos systèmes occidentaux.

Comment ne pas voir aussi dans cette crise une forme de « réplique », comparable à celle qui a été vécue en Italie, et qui n’est pas sans lien avec celle qu’ont connue les États-Unis, même si elle s’exprime différemment, car les génies nationaux sont ce qu’ils sont, et c’est heureux !

Je retiens aussi l’invitation à procéder à des réformes structurelles. Bien entendu, vos propositions de réformes ne sont pas toujours convergentes ; c’est normal. En tout état de cause, je veux voir dans cette invitation à des réformes structurelles autre chose que l’appel à un petit réglage fin visant à faire disparaître un problème au jour le jour.

Je ne crois pas une seconde qu’il faille s’exonérer de ses responsabilités en rejetant toute la faute sur le passé, et je ne le fais pas. Je tiens cependant à dire que de telles réformes structurelles ne sont pas intervenues dans notre pays depuis fort longtemps ; vous êtes d’ailleurs nombreux à l’avoir rappelé. Plus exactement, elles sont intervenues dans certains domaines, mais elles n’ont pas permis de régler l’ensemble des problèmes posés à notre pays.

Je voudrais en prendre un exemple que chacun connaît ici et qui a trait à la dette, dont plusieurs d’entre vous ont évoqué l’importance en France.

Au cours des dix dernières années, notre niveau de dette s’est considérablement accru. La dette publique s’élève à peu près à 100 % du PIB, ce qui représente de 30 à 35 points de PIB de dette en plus en dix ans. C’est absolument considérable !

Nous le savons tous ici, mesdames, messieurs les sénateurs, alors même que, pendant ces dix années, notre dette publique augmentait de façon considérable, nous faisions semblant de ne pas voir que, dans plusieurs domaines de l’action publique, nous étions en train d’accumuler une dette qui serait un jour requalifiée en dette publique. Nous préférions, par pudeur peut-être, par prudence aussi et, disons-le, parfois par lâcheté, ne pas la voir.

Songez que, pendant bien plus de dix ans, nous avons demandé à Réseau ferré de France et à la SNCF de s’endetter dans des conditions qu’aucune entreprise n’aurait pu supporter, parce que nous savions que, derrière, il y avait l’État, et que donc, ultimement, cette dette qui juridiquement n’était pas une dette de l’État en était bien une en réalité.

Qui peut dire que ce choix a été fait inconsciemment ? Il a été fait et répété, collectivement, par des gouvernements et des majorités successifs. En conséquence, lorsque nous avons voulu réformer la SNCF, nous avons assumé le fait que cette dette ne pourrait pas être financée dans des conditions normales par la SNCF et qu’il fallait donc la reprendre. Une partie de l’augmentation de la dette publique viendra, il est vrai, de cette reprise, et peut-être certains d’entre vous en feront-ils reproche au Gouvernement…

La vérité, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est qu’en ce domaine, et depuis trop longtemps, nous n’avons pas été à la hauteur des enjeux. Je le dis sans accuser personne, car je ne sais pas ce que j’aurais fait si j’avais été aux responsabilités à cette époque. Mais le dire, c’est aussi, je crois, faire œuvre de lucidité, comme je m’y invitais moi-même précédemment.

Je retiens de vos interventions l’appel ferme à la concertation et à l’exécution des mesures, le soutien unanime aux forces de l’ordre et l’invitation à la fermeté, le souci de la préservation de la sécurité des personnes, qui est une doctrine constante dans l’emploi des forces de l’ordre. Je retiens aussi le souci d’apaisement et l’appel à la responsabilité formulé sur toutes vos travées.

Je ne m’exonère, je l’ai dit, d’aucune responsabilité, d’abord parce que, pour le dire trivialement, ce n’est pas le genre de la maison, ensuite parce que ce n’est de toute façon pas possible lorsque l’on est Premier ministre.

J’essaie de m’exprimer avec calme et nuance, en ne cherchant jamais à simplifier ou à caricaturer, ce qui, selon les canons du débat public actuel, n’est pas toujours spectaculaire, il faut bien le reconnaître

Je n’ai jamais hésité à assumer des mesures que je savais impopulaires mais que je croyais bonnes. On a le droit de ne pas être d’accord avec ces mesures, mais assumer des mesures que l’on sait impopulaires a, me semble-t-il, une vertu démocratique.

Le président Marseille m’a interrogé sur notre ligne. Je crois avoir dit dans mon propos introductif combien le Gouvernement s’estimait tenu par les engagements pris par le Président de la République devant les Français et par les parlementaires de la majorité au moment des élections législatives. Notre objectif est de tenir le cap qui a été fixé à la majorité et au Gouvernement, en composant avec la réalité et en améliorant s’il le faut un certain nombre de mesures, mais sans renoncer à l’équilibre des finances publiques.

Les conditions du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances permettront d’avancer dans cette voie. Beaucoup de mesures ont été proposées ici. Parfois, on dépense beaucoup d’argent public en peu de mots ! Mais, souvent, on peine à déterminer où trouver les ressources qu’il conviendrait de mettre en face de ces mots…

Nous devrons donc veiller collectivement à assurer l’équilibre des finances publiques, pour éviter que la dette n’explose et que nous continuions à reporter sur les gouvernements, les majorités, les générations qui nous suivront une charge dont nul, in fine, ne pourra s’exonérer.

Mesdames, messieurs les sénateurs, apaisement, débat, appel à la responsabilité et détermination à assurer la sécurité des Français : tel est le sens des mesures que j’ai annoncées et de la déclaration que j’ai faite. Je vous remercie très sincèrement de la qualité de ce débat.

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