Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les récents événements, marqués par d’importants dérapages en matière de maintien de l’ordre, démontrent encore une fois l’importance de la mission « Sécurités ».
Malgré tout, cette année encore, le budget n’est pas à la hauteur des enjeux. Le projet de loi de finances prévoit une augmentation des crédits de cette mission de 1, 62 %. La principale caractéristique de ce budget est la création de 2 378 ETP, qui devrait constituer la plus forte hausse sur une annuité de toutes celles qui sont prévues sur l’ensemble du quinquennat.
Cette augmentation des effectifs n’est malheureusement pas suivie d’une augmentation équivalente des dépenses de fonctionnement et d’investissement, ce qui entraîne, une fois de plus, une dégradation préoccupante du ratio des dépenses de personnel sur l’ensemble des crédits.
Ce ratio sera de 89, 39 % pour la police nationale et de 84, 39 % pour la gendarmerie nationale, soit une moyenne de 87, 36 % pour les deux forces. Voilà une dizaine d’années, les dépenses de personnel représentaient 80 % des crédits, pour 20 % de crédits de fonctionnement et d’investissement. Depuis, les sommes affectées aux dépenses de personnel ont crû de 34, 53 %, tandis que les autres ont diminué de 6, 53 %.
Les revalorisations générales, notamment l’application des protocoles d’accord signés en mai 2016, ont entraîné 200 millions d’euros de dépenses supplémentaires en 2018 et la hausse devrait être de 92 millions d’euros en 2019, selon l’estimation de la Cour des comptes.
Les comparaisons internationales démontrent qu’avec un gendarme ou un policier pour 280 habitants, notre pays n’est pas en situation de sous-effectif. Nos forces de l’ordre disposent de 151 000 policiers et de 96 000 gendarmes, pour assurer la sécurité de nos concitoyens. Il y a un policier ou gendarme pour 273 habitants en Allemagne, un pour 427 en Angleterre, un pour 220 en Italie et un pour 292 en Espagne. Parmi nos voisins, seule l’Italie possède plus de policiers et de gendarmes par million d’habitants que nous. Encore ce chiffre ne tient-il pas compte des polices municipales, ni des 7 000 militaires déployés dans le cadre de l’opération « Sentinelle ».
Avec des dépenses de personnel qui représentent plus de 87 % des crédits de la mission, les crédits de fonctionnement sont donc insuffisants et n’augmentent que de 0, 88 %. Les crédits d’investissement, quant à eux, baissent de 13, 37 % !
Comme l’a montré l’enquête de la Cour des comptes sur l’équipement des forces de l’ordre, réalisée à la demande de la commission des finances du Sénat, des efforts ont pourtant été réalisés pour faire face au terrorisme et à la crise migratoire. Ainsi, dans des délais relativement courts, votre rapporteur a pu constater que pour les primo-intervenants sur une scène d’attentat, chaque brigade anticriminalité dispose désormais d’une arme lourde et d’une protection assortie.
Toutefois, toujours selon ce rapport, de nombreux points noirs demeurent. La Cour des comptes dénonce ainsi le manque de formation : en 2017, seuls 51 % des policiers et gendarmes ont effectué leurs trois séances de tir par an.
Par ailleurs, la Cour a mis fin à une polémique entre le Sénat et le Gouvernement sur l’état du parc automobile. Il est regrettable que la multiplication des plans n’ait pas enrayé le vieillissement de ce parc. Sur ce point, le contraste entre les chiffres avancés et la réalité est flagrant : en 2017, sur 3 000 véhicules annoncés, seuls 1 500 sont arrivés sur le terrain. Depuis 2010, le nombre de véhicules achetés ne permet pas de garantir le maintien à niveau de la flotte.
Dans la police nationale, un véhicule doit être remplacé après 170 000 kilomètres ou huit ans. En 2019, 14 000 véhicules sur 30 000 auront bientôt atteint ce seuil. Dans la gendarmerie, où le critère de réforme se situe actuellement à 7, 4 années, tout le monde ne peut qu’être inquiet, car cet outil de travail est essentiel pour la couverture d’immenses zones géographiques.
L’état du parc immobilier est aussi très préoccupant. Dans la gendarmerie, l’état des logements influe sur le moral. La commission d’enquête dont mon collègue François Grosdidier était le rapporteur a évalué l’effort d’investissement nécessaire à un niveau de 300 à 400 millions d’euros. Dans la police, où 536 bâtiments nécessitent une réhabilitation lourde, le délabrement est tel qu’il faudrait des crédits d’investissement à hauteur de 650 millions d’euros. Or, le niveau de ces crédits est respectivement de 100 millions d’euros et de 165 millions d’euros.
Certaines réorganisations ont mis à mal les dispositifs opérationnels. En particulier, la directive européenne de 2003 sur le temps de travail, applicable à la gendarmerie nationale depuis le 1er septembre 2016, implique la création de 4 000 ETP. Or il n’est prévu de créer que 2 500 ETP sur le quinquennat.
Pour la police nationale, les protocoles de mai 2016, jugés sévèrement par la Cour des comptes, conduisent à l’application aux forces opérationnelles de la vacation forte. Cette disposition améliore le moral des agents, qui peuvent disposer d’un week-end sur deux, au lieu d’un sur six. Mais son application sur 11 % des effectifs, malgré l’injection de 433 ETP supplémentaires dans les services concernés, a été difficile.
Le directeur général de la Police nationale a dû décréter un moratoire, dans l’attente d’un rapport de l’Inspection générale de l’administration et de l’Inspection générale des finances qui est prévu pour mars 2019. La généralisation progressive semble remise en cause dans ce cadre budgétaire. Il faudrait, à terme, envisager 4 160 ETP de plus pour un coût financier d’environ 205 millions d’euros annuels.
Je comprends, monsieur le secrétaire d’État, vos préoccupations financières pour tenir ces engagements et j’espère que vous apporterez prochainement au Sénat des réponses à ces interrogations.
Le fait que la préfecture de police de Paris ne puisse pas appliquer la vacation forte constitue un paradoxe révélateur des difficultés induites par ce régime. Il est effectivement surprenant que, dans la région capitale, où les conditions de travail sont particulièrement difficiles, ce régime ne puisse pas être mis en œuvre. Sur le territoire de la préfecture de police, une expérimentation a été menée à Boissy-Saint-Léger et a conduit à son abandon.
Monsieur le secrétaire d’État, les sénateurs sont préoccupés par le stock d’heures supplémentaires, qui a crû de 18 % en trois ans pour atteindre 21, 7 millions d’heures. Ce problème ne concerne pas les gendarmes, qui sont sous statut militaire et disposent d’un logement de fonction. C’est, en revanche, une véritable épée de Damoclès sur la capacité opérationnelle de la police nationale, car ces congés sont pris avant le départ à la retraite, ce qui peut priver le service d’un fonctionnaire pendant une année entière, sans que celui-ci soit remplacé.