Intervention de Denis Morin

Commission des affaires sociales — Réunion du 12 décembre 2018 à 9h30
Rôle des centres hospitaliers universitaires dans l'offre de soins — Audition pour suite à donner à l'enquête de la cour des comptes

Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes :

S'agissant de la régulation de l'Ondam, nous avons très clairement dit que la régulation par le gel des dotations forfaitaires destinées aux établissements hospitaliers n'était pas durable : elle crée trop de contraintes, alors que l'enveloppe des soins de ville, elle, dérape. Si un tel déplacement des financements était la traduction du virage ambulatoire, il serait acceptable, mais tel n'est pas du tout le cas.

Le respect de l'Ondam est une préoccupation majeure, absolue, de la Cour des comptes. Si l'on ne régule pas l'Ondam par le gel des dotations hospitalières, il faut donc trouver un autre moyen de le faire, c'est-à-dire ouvrir le dossier de la régulation de l'enveloppe des soins de ville, ce qui n'est pas un chantier facile. Sur les 80 milliards d'euros de dépenses de soins de ville, une vingtaine de milliards sont couverts par d'efficaces accords prix-volumes ; pour le reste, tout est à construire.

La réponse trouvée en matière de transports sanitaires, via leur internalisation dans les budgets hospitaliers, va dans le sens de la régulation. Mais ce n'est pas simple ! Il faut faire des économies, certes, mais les dépenses augmentent continuellement. Et, si régulation il y a, il faut la faire remonter jusqu'à l'activité du médecin généraliste de premier recours ; or, on le sait, la réforme de 1996 a buté sur la sanction constitutionnelle de tels dispositifs de régulation.

Je récapitule le point de vue de la Cour : premièrement, respect absolu de l'Ondam; deuxièmement, attention à la pression excessive et indifférenciée sur tous les établissements hospitaliers qu'exerce le gel des dotations forfaitaires ; troisièmement, il faut donc construire des dispositifs de régulation propres à la médecine de ville.

Quant à la RTT, ce sujet est derrière nous, même si le problème de l'organisation du travail dans les établissements hospitaliers se pose bel et bien dans le cadre du dialogue social.

Pour ce qui concerne les GHT, je précise que nous contrôlons les cliniques privées, le législateur nous ayant accordé, dans la loi de modernisation de notre système de santé, cette compétence intéressante et nouvelle pour nous.

Nous avons contrôlé, l'année dernière, seize cliniques privées. Nous avons été frappés par le fait qu'elles se vivent en situation de concurrence radicale par rapport au système public, et ne recherchent pas les complémentarités. L'idée de partenariats public-privé - on parle de « bloc partagé » -, quoique devenue tarte à la crème, est évidemment très bonne, mais elle n'a connu aucune espèce de commencement de réalisation. Je comprends que l'on pousse à l'intégration de cliniques privées dans des GHT ; nous avons pourtant constaté, en contrôlant par exemple la polyclinique de Limoges - bien que privée, elle remplit un rôle fondamental sur son territoire -, qu'y dominait une ambiance de concurrence dommageable, et contre-intuitive du point de vue du patient. Mais il y a, de toute façon, des coopérations possibles.

Je vais maintenant répondre aux questions qui m'ont été adressées par M. Milon. Les deux volets de l'enquête se recoupent-ils ? De notre point de vue, ils convergent vers l'idée de la mise en place progressive de réseaux de CHU. Nous avons laissé ouverte la question de savoir s'il était préférable de promouvoir des réseaux organisés autour d'un établissement pilote ou des réseaux où se noueraient des partenariats entre égaux. Si un réseau se constitue entre Lyon, Clermont, Saint-Étienne et Grenoble, un établissement pilote se dégagera naturellement - il s'agira évidemment des HCL, sans préjuger de la capacité de ce centre à jouer un rôle d'entraînement tout en étant capable de discuter d'égal à égal avec d'autres établissements plus petits. À l'inverse, Hugo fonctionne aujourd'hui sur une base beaucoup plus partenariale, entre des CHU comparables : un leader ne se dégage pas forcément. Nous avons donc voulu laisser ces options ouvertes, en fonction des nécessités des territoires.

Deuxième question : quels seraient les leviers d'une coopération efficace entre la ville et l'hôpital ? Le premier levier, c'est l'adressage des patients : si l'on est capable d'expliquer à une parturiente qu'il est inutile qu'elle accouche dans un CHU, parce qu'on a au préalable identifié, au fil de son suivi, qu'il n'y avait pas lieu d'attendre quoi que ce soit d'indésirable, alors cette logique d'adressage doit pouvoir être généralisée à d'autres types de prise en charge - dans certaines régions, les réseaux fonctionnent déjà de cette façon.

Quant aux liens entre ville et CHU, ils existent notamment à travers la formation initiale - les internes doivent accomplir en ville une partie de leur parcours. On peut aussi se poser la question de savoir quel rôle le CHU pourrait jouer en matière de formation médicale continue. C'est un sujet sensible, sur lequel les institutions dédiées ne remplissent pas vraiment leur office. Il existe, en la matière, une réticence des médecins eux-mêmes, mais on pourrait imaginer que les CHU s'impliquent dans ce dossier.

Quant au sujet des GHT, je ne pense pas que le CHU puisse être un élément de la structuration du « premier recours ». Si l'hôpital s'éloigne un peu - raisonnablement - des patients, il faut être capable d'ouvrir de nouvelles portes de proximité dans les territoires, correspondant à une prise en charge de qualité. Les instruments que sont les GHT et les CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé), notamment, répondent bien à cette vision, y compris via la labellisation d'un certain nombre d'hôpitaux locaux ou de maisons de santé pluriprofessionnelles.

À travers le jeu de partenariats et de conventions, le CHU, lui, peut parfaitement innerver d'autres structures de soins dans les territoires. Nous défendons ainsi l'idée, qui n'est pas consensuelle, d'attribuer des valences universitaires à certains services qui, au sein de CH, sont particulièrement reconnus en matière de recherche. Ainsi, Annecy est pointu en neurochirurgie ; une valence universitaire pourrait très bien lui être accordée en partenariat avec le CHU de Grenoble.

Troisième point : le mode de financement. Je ne sais pas ce que le ministère proposera pour renforcer, dans le financement des établissements, la part des dotations forfaitaires répondant à des contraintes de qualité et de pertinence des soins ; quoi qu'il en soit, l'inflation d'un certain nombre d'actes dans un système où la T2A est majoritaire est un sujet de préoccupation légitime. De ce point de vue, les annonces de « Ma Santé 2022 » me paraissent aller dans le bon sens. Comment les CHU y sont-ils préparés ? Il faut promouvoir tout ce qui peut les inciter à améliorer la qualité - on a vu que des marges de progrès existaient.

Par ailleurs, on ne peut pas éluder la question de l'insuffisante attractivité du statut des personnels hospitalo-universitaires. Il y a une réflexion à mener là-dessus, cette compétence étant partagée entre la sixième chambre et la troisième chambre. Dans l'organisation actuelle de notre système de santé, l'idée qu'un professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) peut indistinctement remplir des missions de formation, de recherche, de soins, fonctionne difficilement. Les PU-PH que nous avons auditionnés nous disent d'ailleurs qu'eux-mêmes ne se vivent pas selon cette logique ternaire, sinon dans le temps. Ils s'investissent dans ces trois champs, mais de façon séquencée, et non simultanée.

Cette perte d'attractivité du statut se mesure par un indicateur, celui des démissions de PU-PH : elles augmentent. Certains PU-PH commencent leur carrière en CHU, y acquièrent une notoriété parfois étonnante, et, dans un second temps, vont exercer dans des cliniques privées, où la pratique du dépassement d'honoraires est un peu plus marquée - c'est le moins qu'on puisse dire. De tels parcours existent ; nous l'avons constaté au cours de nos contrôles.

Sans pour autant considérer le système privé comme un modèle, nous avons aussi noté la souplesse des règles de gestion du personnel dans les cliniques privées en regard des rigidités du statut, lesquelles sont aussi le reflet de garanties apportées aux personnels. Le modèle qui consiste à fonctionner avec des contrats de travail d'un jour est-il pertinent ? De tels contrats, évidemment, permettent de gérer les pointes d'activité et d'augmenter la profitabilité ; mais ils ne correspondent pas à ma vision de ce que doit être la gestion du social dans notre pays.

Cinquième question : quid de l'évolution des charges ? Il faut faire le départ entre les charges contraintes et celles qui ne le sont pas. Où est le décideur, en matière de charges ? Pour ce qui est des charges maîtrisables par les gestionnaires de ces établissements, le dialogue avec le régulateur régional me paraît le bon niveau. En la matière, des progrès peuvent être faits, et la mise en place des GHT, à travers les mutualisations qu'elle peut stimuler, est de nature à aider à mieux maîtriser les charges.

Enfin, les échanges que nous avons eus avec la mission sur le « CHU de demain » sont multiples. Loin de nous cantonner à notre tour d'ivoire, nous avons testé plusieurs de nos pistes et procédé à diverses auditions d'acteurs, y compris de terrain.

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