Commission des affaires sociales

Réunion du 12 décembre 2018 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CHU
  • GHT
  • hôpitaux
  • proximité
  • réseaux

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Mes chers collègues, je suis heureux d'accueillir ce matin la sixième chambre de la Cour des comptes en la personne de son président, M. Denis Morin, de M. Christophe Strassel, conseiller maître, et de M. Noël Diricq, conseiller maître, président de section, pour la présentation du second volet de l'enquête demandée à la Cour, en application de l'article LO. 132-3-1 du code des juridictions financières, sur le rôle des centres hospitaliers universitaires (CHU) dans l'offre de soins.

Le premier volet, consacré à l'activité de recherche et de formation des CHU, a été présenté à la commission en janvier dernier. Ce second volet est consacré à l'activité de soins.

À l'approche du soixantième anniversaire de la création des CHU par les ordonnances Debré, cette demande d'enquête est née d'observations de terrain et d'une intuition : si la création des CHU a permis une réelle mutation de l'hôpital en France, le faisant passer, pour le dire un peu rapidement, de l'hospice à un véritable lieu de soins à la pointe des techniques, il me semblait que ces établissements glissaient de plus en plus sur le segment des centres hospitaliers, c'est-à-dire sur celui des activités de proximité.

De fait, les situations et les modèles sont très divers.

Quoi de commun, en effet, quant à la taille et à l'organisation, entre l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), dont nous avons entendu le directeur général la semaine dernière, et le CHU de Pointe-à-Pitre, même relevé de l'incendie qui l'a dévasté, que nous avons visité lors de notre dernière mission ?

Les CHU, cependant, partagent au moins une exigence : celle de rechercher la qualité et l'excellence que nous devons à nos concitoyens.

Alors qu'une loi devrait prochainement se pencher sur les études universitaires et sur l'organisation territoriale de la santé, je ne doute pas que l'enquête demandée à la Cour constituera une contribution précieuse à la réflexion et à l'action des membres de notre commission. J'ai lu ce rapport avec attention ; il m'a un peu bousculé.

Debut de section - Permalien
Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes

Je suis accompagné de M. Noël Diricq, président de la troisième section de la sixième chambre, qui traite notamment des établissements de santé et des établissements médico-sociaux, et de Christophe Strassel, conseiller maître, qui a piloté ce deuxième volet de l'enquête.

Il était particulièrement opportun de nous demander de réfléchir au rôle des CHU, sujet essentiel dans l'organisation du système de santé ; le Gouvernement, parallèlement, a demandé à l'ensemble des conférences compétentes de fournir un rapport sur ce thème à l'occasion du soixantième anniversaire des ordonnances Debré. Je vais donner quelques éléments de synthèse sur nos réflexions relatives à l'offre de soins, puis, monsieur le président, je répondrai aux questions que vous m'avez adressées.

J'irai d'emblée à l'essentiel : que proposons-nous ?

Nous ne proposons pas de supprimer des CHU. L'esprit de géométrie aurait pu nous dicter le raisonnement suivant : les CHU devraient coïncider avec les nouvelles grandes régions de la réforme territoriale. Mais cette voie nous a semblé totalement sans issue : quel établissement pilote choisir, par exemple, dans le Grand Est ? Dans certaines régions, Auvergne-Rhône-Alpes par exemple, chaque CHU a sa spécificité - et je ne suis pas certain que la suppression du plus petit des établissements de cette région, celui de Saint-Etienne, rendrait beaucoup service à l'organisation du système de santé dans le département de la Loire, qui présente un certain nombre de faiblesses que le CHU contribue à compenser. Il n'est pas utile, donc, de se lancer dans des débats de ce type.

En revanche, nous proposons de structurer l'ensemble des 41 structures juridiques concernées, hors AP-HP, en 8 à 10 grands réseaux, un peu à l'image des coopérations qui existent déjà aujourd'hui dans le cadre de GCS (groupements de coopération sanitaire) - je pense notamment au réseau Hugo, qui regroupe un certain nombre de CHU de la partie occidentale du pays. Cette proposition est le point de convergence permettant de traiter les difficultés discernées dans le fonctionnement des CHU en matière tant de formation et de recherche que d'accès aux soins. Il s'agit donc du moyen de réunir les deux volets distincts qui ont été étudiés par la Cour.

Quelles sont les principaux constats qui nous conduisent à formuler cette proposition ? Le premier constat est celui de l'hétérogénéité des CHU en matière d'offre de soins. Vous l'avez dit, monsieur le président : quoi de commun entre l'AP-HP, dont les ressources totales s'élèvent à un peu plus de 7 milliards d'euros, les CHU intermédiaires, à commencer par les HCL (hospices civils de Lyon) et l'AP-HM (Assistance publique-Hôpitaux de Marseille), et de très petits CHU, dont les budgets sont beaucoup plus faibles - Pointe-à-Pitre, 300 millions d'euros, ou Nîmes, 450 millions d'euros ? En même temps, hétérogénéité ne veut pas forcément dire difficultés.

Si l'on entre dans le détail de ce que font ces organismes, des prises en charge qu'ils assurent, l'hétérogénéité est encore plus frappante, entre des établissements qui couvrent tout le spectre des GHM (groupes homogènes de malades) et d'autres qui n'en couvrent qu'une partie, entre des établissements qui sont impliqués dans les activités d'expertise et de recours - c'est ce qu'on attend d'un CHU : l'excellence et la prise en charge de pathologies rares et d'actes difficiles - et d'autres, une très grande majorité, dont le « case-mix » les rapproche des gros CH (centres hospitaliers). Quand on compare par exemple le CHU de Grenoble et les CH de Chambéry et d'Annecy, il n'y a pas photo : en termes de rôle dans l'organisation du système de santé et même de qualité de la prise en charge, les deux CH sont nettement supérieurs au CHU.

Dans cet ensemble de CHU, on trouve donc des choses extrêmement disparates. Ce constat de l'hétérogénéité du système CHU avait déjà été mis en évidence, dans le premier volet qui vous a été remis l'an dernier, en matière de recherche : hétérogénéité, donc dispersion des moyens, donc, s'agissant de la recherche, absence de visibilité internationale, ce handicap étant le résultat direct de l'hétérogénéité.

Le premier chapitre de notre rapport contient un ensemble d'éléments extrêmement précis et documentés, qu'on retrouve dans peu de productions. On entend souvent, par exemple, que les CHU prendraient en charge des pathologies beaucoup plus sévères, ce qui serait facteur de surcoûts. C'est inexact : quand on compare les malades pris en charge, on constate que les taux de sévérité sont tout à fait comparables dans les CHU et dans les CH. Ce n'est donc pas un élément discriminant.

S'agissant de ce qui constitue aujourd'hui l'une des difficultés majeures de notre système de soins, la prise en charge des personnes âgées polypathologiques - elle ne se fait ni dans les Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), qui sont insuffisamment médicalisés, ni en ville, naturellement -, nous avons établi que les CHU avaient un comportement d'éviction des personnes âgées : peu de personnes âgées de plus de 85 ans y sont prises en charge ; ce sont les CH qui assument cette fonction de façon massive. À l'inverse, compte tenu du régime des autorisations, on observe une surprésence des jeunes enfants dans les CHU, ce qui tient notamment au fait que les services de pointe en néonatologie se trouvent avant tout dans ces établissements.

Nous avons visité sept CHU, hors AP-HP ; nous avons procédé à des auditions systématiques avec des responsables de CHU et de CH ; nous avons travaillé sur l'ensemble des bases de données de santé pour offrir une information précise et documentée. Le premier de nos constats, donc, est celui de l'hétérogénéité des CHU, dont beaucoup se rapprochent en réalité des CH. Ce constat, parmi d'autres, nous permet de dire que le modèle CHU s'essouffle - c'est le mot que nous avons retenu après de longues discussions : « crise » eût pu faire l'affaire, mais ce terme est un peu galvaudé ; « difficulté » eût été un peu faible ; nous avons donc parlé d' « essoufflement », sachant que nous ne proposons absolument pas de remettre en cause la trilogie des missions exercées par les CHU : soin, formation, recherche. Le lien fait entre ces trois missions nous semble extrêmement puissant ; c'est une marque de fabrique de notre système de santé, et un point fort, et non faible. Nos propositions visent donc à le conforter.

Deuxième chapitre du rapport, et deuxième élément d'essoufflement : la situation financière de ces établissements. Cette situation est caractérisée par des déficits récurrents, permanents depuis 2011, et qui se sont très fortement aggravés en 2017, comme d'ailleurs s'est aggravée la situation financière de l'ensemble des CH. Nous n'avons pas d'explication - et je crains que le ministère n'en ait pas non plus - à ce trou d'air dans l'évolution de l'activité du secteur public hospitalier, après des années de dynamisme où ledit secteur reprenait des parts de marché dans le domaine de l'hospitalisation. En particulier, le déficit de l'AP-HP, presque 200 millions d'euros en 2017, s'explique par l'attrition de l'activité, alors que, par exemple, et pour une raison que nous n'expliquons pas bien, les Espic (établissements de santé privés d'intérêt public), en région parisienne, sont extrêmement dynamiques - Saint-Joseph a vu son activité progresser de 6 %.

Je rappelle le déficit considérable observé en 2017 sur le segment des CHU : plus de 400 millions d'euros. Qui dit déficit durable dit lourd endettement, et incapacité à faire face aux investissements. Autant beaucoup a été fait, à l'occasion des plans de 2007 et de 2012, pour moderniser le parc des CH, autant les CHU n'ont pas beaucoup émargé à cette manne. Aujourd'hui, quand les malades se déplacent dans les CHU, ils disent tous que le compte n'y est pas.

Quelle est selon nous l'explication de ce déficit récurrent des CHU ? De notre point de vue, l'explication n'est pas à rechercher du côté de la T2A, la tarification à l'activité. En dépit de données fragiles, nous avons tenté de comparer les tarifs et les coûts moyens, pathologie par pathologie, sur un groupe de pathologies représentatif du case-mix des CHU. Nous avons observé que les CHU n'étaient pas pénalisés par la T2A, en tout cas pas plus que les CH : l'explication du déficit récurrent des premiers n'est donc pas à rechercher dans le fonctionnement de la T2A, dont le poids dans la tarification des CHU est de 55 %.

Je rappelle d'ailleurs que le Gouvernement, au titre des mesures « Ma Santé 2022 », a annoncé son intention de faire converger le financement de l'ensemble des segments de notre système de santé, y compris la médecine libérale, vers une structure dans laquelle l'acte représenterait 50 % des ressources, le reste étant constitué de contributions forfaitaires. Dans le secteur hospitalier, on a l'habitude de ce mix : à la tarification à l'activité répondent des dotations d'intérêt général, notamment les dotations de financement des Migac (missions d'intérêt général d'aide à la contractualisation), et en particulier des Merri (missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation).

Pour ce qui est du fonctionnement des dotations forfaitaires, la masse des concours publics a globalement augmenté sur la période 2011-2017, étant entendu qu'une partie de ces dotations a été orientée, en 2014, vers le FIR (fonds d'intervention régional), cet instrument original - notre système administratif est plutôt connu pour ses cloisonnements - à disposition des ARS (agences régionales de santé) qui couvre l'ensemble de leurs compétences et permet une fongibilité, dans des limites posées par le législateur, entre les différents segments de notre système de santé. Cette masse, donc, n'a cessé de croître.

Nous nous interrogeons en revanche sur le fonctionnement des dotations Merri, qui financent la recherche dans les CHU, mais aussi, désormais, dans les CH et dans certains établissements privés. L'extension du champ des établissements éligibles aux Merri, à enveloppe constante, réduit mécaniquement le droit de tirage de chacun : dans ce nouveau schéma, les CHU se sont vus privés d'un certain nombre de ressources.

Deux approches sont possibles : on peut arguer de l'existence de critères d'attribution des Merri pour dire qu'il ne tient qu'aux CHU de s'améliorer, l'extension de ces dotations hors du champ des CHU révélant que la recherche n'y est pas nécessairement plus efficace que dans d'autres structures. À l'inverse, on peut plaider pour le retour à une vision moins dispersée, plus centrée sur les CHU, car c'est là qu'est l'excellence de la recherche. Nous ne tranchons pas nettement entre ces deux approches, mais nous appelons à une révision des critères d'attribution des Merri - à vrai dire, ce message n'est pas particulièrement original.

Ce n'est donc pas dans la façon dont le ministère a géré les dotations d'intérêt général qu'il faut rechercher la cause principale des difficultés financières des CHU, mais plutôt dans l'évolution de leurs charges : de 2011 à 2017, les charges ont augmenté plus rapidement que les produits, sans que la sévérité des affections des patients pris en charge ne le justifie - or, les lois de l'arithmétique résistant encore et toujours à la mise en doute généralisée de tout, on peut affirmer, de manière à la fois consensuelle et solennelle, que des déficits s'ensuivent nécessairement d'une telle asymétrie. Nous avons y compris observé que, s'agissant des dépenses hors soins, la dynamique d'augmentation des charges a été beaucoup plus forte dans les CHU que dans les CH, sans raison particulière.

Nous avons également noté que la productivité était globalement plus faible dans les CHU que dans les CH. Les CHU sont loin d'être les plus performants, et, encore une fois, nous n'avons pu trouver de raisons pour le justifier. En particulier, la productivité n'est pas bonne aux deux extrémités du segment, dans les plus petits et dans les plus grands CHU. Elle est notamment très médiocre à l'AP-HP.

Bien entendu, certaines choses échappent à la maîtrise des gestionnaires : les grands plans catégoriels décidés par l'État - je pense notamment au plan PPCR (« Parcours professionnels, carrières et rémunérations ») -, auxquels s'ajoutent des plans catégoriels spécifiques au monde de la santé, impactent la dynamique des charges, y compris médicales. Ces charges sont automatiques, contraintes ; dans une certaine mesure, elles traduisent soit l'amélioration de la situation catégorielle des personnels, qui peut être considérée comme souhaitable, soit la mise à disposition des patients de traitements innovants, particulièrement coûteux - je pense notamment au traitement de l'hépatite C.

Une partie des charges sont donc automatiques, à l'image de ce qui se passe pour les budgets locaux : quand l'État prend des décisions qui impactent l'ensemble des fonctions publiques, y compris la fonction territoriale, ces décisions s'imposent à l'ensemble des exécutifs locaux.

Voici pour le deuxième chapitre : un déficit préoccupant, élément de fragilité et facteur d'essoufflement. Conclusion : il faut renforcer la capacité à maîtriser les charges. Martin Hirsch nous a par exemple annoncé que, vu la situation financière où se trouve l'AP-HP, le taux d'évolution de la masse salariale serait nul au cours des quatre prochaines années. Un magistrat verra sans doute dans un tel engagement la promesse d'une amélioration de la productivité ; mais cette annonce veut dire aussi qu'on supprime de l'emploi, ce qui pose d'autres questions.

Ceci dit, certains établissements, les HCL par exemple, ont vu pendant plusieurs années leur masse salariale gelée, et ont fini par sortir d'une situation financière qui était, en 2010, extrêmement fragile. Ils ont ainsi pu recouvrer leur capacité à investir, donc à se développer et à embaucher. Des mesures d'urgence sont donc parfois nécessaires, mais en même temps porteuses d'un développement ultérieur.

Je passerai rapidement sur le troisième chapitre, qui a trait à la qualité. Nous avons été frappés des faibles performances des CHU en matière de certification. La certification ne porte pas sur la qualité médicale des établissements, mais sur la qualité et la sécurité de la prise en charge au sens large, la traçabilité des informations par exemple, le lien entre hôpital et ville, qui est très perfectible. Il y a quelques années, quand la Haute Autorité de santé (HAS) portait ses pas dans les CHU et menaçait d'une mauvaise note, c'était considéré comme attentatoire ; aujourd'hui, beaucoup de CHU qui étaient mal classés en termes de certification ont engagé des efforts pour améliorer leur notation. Globalement, donc, les choses ont tendance à s'améliorer, mais on part d'assez loin. Je note d'ailleurs que, dans de nombreux territoires, le CHU est loin d'être le mieux classé - les CH, eux, sont souvent certifiés sans réserve.

Dernier point : le rôle territorial des CHU. Je rappelle notre proposition : constituer des réseaux de CHU. Les CHU, dans beaucoup de régions, vivent dans une sorte de splendide isolement ; ils se conçoivent comme le lieu de l'excellence, jugement qui doit être nuancé, et ils ont beaucoup de difficultés à nouer des partenariats avec les autres acteurs du système de santé. Or de tels partenariats nous semblent absolument indispensables. Notre idée n'est donc pas de faire une croix sur les établissements les plus petits et les plus fragiles, mais d'amener ceux-ci à travailler en coopération les uns avec les autres, dans le cadre de huit réseaux. Tel est le moyen, selon nous, de trouver des complémentarités, sources d'efficacité, en matière de formation et de recherche, et d'entrer dans une vraie logique de gradation des soins - l'adressage des patients, aujourd'hui, se fait indépendamment de cette logique de gradation, à laquelle réfléchissent pourtant les régulateurs des systèmes de santé de la plupart de nos voisins.

Il s'agit également de regrouper un certain nombre de moyens de recherche pour leur donner une plus grande visibilité internationale. Dans les classements internationaux, année après année, nous perdons des places. Que la Chine nous passe devant, c'est dans l'ordre des choses ; que l'un de nos voisins européens nous devance, c'est moins acceptable.

Je précise qu'il nous a semblé que cette idée de réseaux de CHU n'était pas révolutionnaire, et qu'elle était au contraire susceptible de faire converger un certain nombre d'acteurs.

Il faut aussi revoir la façon dont les CHU tissent des liens avec d'autres établissements de santé, publics ou privés - le secteur privé n'est nulle part dans le viseur du régulateur, ce qui est dommage. À l'occasion notamment des réflexions sur les projets de santé en région, le rôle des CHU doit être davantage affirmé. Les ARS doivent davantage s'appuyer sur eux ; et, là encore, selon la logique d'une gradation des soins, des coopérations entre CHU et CH, et en particulier entre CHU et GHT (groupements hospitaliers de territoire), doivent être tissées. Il y a des conventions à signer, des partenariats à organiser ; ce travail est pour l'instant assez balbutiant.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Je partage l'avis d'Alain Milon : ce rapport nous donne des indications tout à fait intéressantes.

Pour ce qui concerne les difficultés financières et la baisse de l'activité en 2017, nous avons vu, en travaillant sur le PLFSS, que le distinguo entre l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) de ville et Ondam hospitalier posait des difficultés, et que les sommes dues par l'assurance maladie n'étaient parfois jamais récupérées par les hôpitaux.

S'agissant de la productivité, la Cour des comptes a-t-elle étudié l'impact de la réduction du temps de travail dans les services hospitaliers, en termes d'organisation des ressources humaines notamment ? Par ailleurs, lors du débat sur le PLFSS, les fédérations hospitalières se sont plaintes de la désorganisation des transports inter-établissements.

Concernant les GHT, je n'ai pas senti les acteurs privés favorables à l'idée d'intégrer un réseau piloté par un établissement public : le privé a, sur le territoire, sa propre organisation.

Quant à la disparité d'un CHU à l'autre, elle est en effet étonnante. J'ai été surprise de constater que la productivité et même la qualité de recherche étaient moindres dans certains CHU que dans des CH.

En travaillant, avec Yves Daudigny et Véronique Guillotin, sur l'accès précoce à l'innovation en matière de médicament, nous avons vu les difficultés des CHU pour répondre au développement de l'innovation dans le traitement de certaines pathologies, en cancérologie notamment, par les systèmes de la « liste en sus », des tests « compagnons » ou du RIHN (référentiel des actes innovants hors nomenclature). Avez-vous travaillé sur ces spécificités de tarification et de financement dans le domaine de l'innovation ?

Debut de section - Permalien
Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes

S'agissant de la régulation de l'Ondam, nous avons très clairement dit que la régulation par le gel des dotations forfaitaires destinées aux établissements hospitaliers n'était pas durable : elle crée trop de contraintes, alors que l'enveloppe des soins de ville, elle, dérape. Si un tel déplacement des financements était la traduction du virage ambulatoire, il serait acceptable, mais tel n'est pas du tout le cas.

Le respect de l'Ondam est une préoccupation majeure, absolue, de la Cour des comptes. Si l'on ne régule pas l'Ondam par le gel des dotations hospitalières, il faut donc trouver un autre moyen de le faire, c'est-à-dire ouvrir le dossier de la régulation de l'enveloppe des soins de ville, ce qui n'est pas un chantier facile. Sur les 80 milliards d'euros de dépenses de soins de ville, une vingtaine de milliards sont couverts par d'efficaces accords prix-volumes ; pour le reste, tout est à construire.

La réponse trouvée en matière de transports sanitaires, via leur internalisation dans les budgets hospitaliers, va dans le sens de la régulation. Mais ce n'est pas simple ! Il faut faire des économies, certes, mais les dépenses augmentent continuellement. Et, si régulation il y a, il faut la faire remonter jusqu'à l'activité du médecin généraliste de premier recours ; or, on le sait, la réforme de 1996 a buté sur la sanction constitutionnelle de tels dispositifs de régulation.

Je récapitule le point de vue de la Cour : premièrement, respect absolu de l'Ondam; deuxièmement, attention à la pression excessive et indifférenciée sur tous les établissements hospitaliers qu'exerce le gel des dotations forfaitaires ; troisièmement, il faut donc construire des dispositifs de régulation propres à la médecine de ville.

Quant à la RTT, ce sujet est derrière nous, même si le problème de l'organisation du travail dans les établissements hospitaliers se pose bel et bien dans le cadre du dialogue social.

Pour ce qui concerne les GHT, je précise que nous contrôlons les cliniques privées, le législateur nous ayant accordé, dans la loi de modernisation de notre système de santé, cette compétence intéressante et nouvelle pour nous.

Nous avons contrôlé, l'année dernière, seize cliniques privées. Nous avons été frappés par le fait qu'elles se vivent en situation de concurrence radicale par rapport au système public, et ne recherchent pas les complémentarités. L'idée de partenariats public-privé - on parle de « bloc partagé » -, quoique devenue tarte à la crème, est évidemment très bonne, mais elle n'a connu aucune espèce de commencement de réalisation. Je comprends que l'on pousse à l'intégration de cliniques privées dans des GHT ; nous avons pourtant constaté, en contrôlant par exemple la polyclinique de Limoges - bien que privée, elle remplit un rôle fondamental sur son territoire -, qu'y dominait une ambiance de concurrence dommageable, et contre-intuitive du point de vue du patient. Mais il y a, de toute façon, des coopérations possibles.

Je vais maintenant répondre aux questions qui m'ont été adressées par M. Milon. Les deux volets de l'enquête se recoupent-ils ? De notre point de vue, ils convergent vers l'idée de la mise en place progressive de réseaux de CHU. Nous avons laissé ouverte la question de savoir s'il était préférable de promouvoir des réseaux organisés autour d'un établissement pilote ou des réseaux où se noueraient des partenariats entre égaux. Si un réseau se constitue entre Lyon, Clermont, Saint-Étienne et Grenoble, un établissement pilote se dégagera naturellement - il s'agira évidemment des HCL, sans préjuger de la capacité de ce centre à jouer un rôle d'entraînement tout en étant capable de discuter d'égal à égal avec d'autres établissements plus petits. À l'inverse, Hugo fonctionne aujourd'hui sur une base beaucoup plus partenariale, entre des CHU comparables : un leader ne se dégage pas forcément. Nous avons donc voulu laisser ces options ouvertes, en fonction des nécessités des territoires.

Deuxième question : quels seraient les leviers d'une coopération efficace entre la ville et l'hôpital ? Le premier levier, c'est l'adressage des patients : si l'on est capable d'expliquer à une parturiente qu'il est inutile qu'elle accouche dans un CHU, parce qu'on a au préalable identifié, au fil de son suivi, qu'il n'y avait pas lieu d'attendre quoi que ce soit d'indésirable, alors cette logique d'adressage doit pouvoir être généralisée à d'autres types de prise en charge - dans certaines régions, les réseaux fonctionnent déjà de cette façon.

Quant aux liens entre ville et CHU, ils existent notamment à travers la formation initiale - les internes doivent accomplir en ville une partie de leur parcours. On peut aussi se poser la question de savoir quel rôle le CHU pourrait jouer en matière de formation médicale continue. C'est un sujet sensible, sur lequel les institutions dédiées ne remplissent pas vraiment leur office. Il existe, en la matière, une réticence des médecins eux-mêmes, mais on pourrait imaginer que les CHU s'impliquent dans ce dossier.

Quant au sujet des GHT, je ne pense pas que le CHU puisse être un élément de la structuration du « premier recours ». Si l'hôpital s'éloigne un peu - raisonnablement - des patients, il faut être capable d'ouvrir de nouvelles portes de proximité dans les territoires, correspondant à une prise en charge de qualité. Les instruments que sont les GHT et les CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé), notamment, répondent bien à cette vision, y compris via la labellisation d'un certain nombre d'hôpitaux locaux ou de maisons de santé pluriprofessionnelles.

À travers le jeu de partenariats et de conventions, le CHU, lui, peut parfaitement innerver d'autres structures de soins dans les territoires. Nous défendons ainsi l'idée, qui n'est pas consensuelle, d'attribuer des valences universitaires à certains services qui, au sein de CH, sont particulièrement reconnus en matière de recherche. Ainsi, Annecy est pointu en neurochirurgie ; une valence universitaire pourrait très bien lui être accordée en partenariat avec le CHU de Grenoble.

Troisième point : le mode de financement. Je ne sais pas ce que le ministère proposera pour renforcer, dans le financement des établissements, la part des dotations forfaitaires répondant à des contraintes de qualité et de pertinence des soins ; quoi qu'il en soit, l'inflation d'un certain nombre d'actes dans un système où la T2A est majoritaire est un sujet de préoccupation légitime. De ce point de vue, les annonces de « Ma Santé 2022 » me paraissent aller dans le bon sens. Comment les CHU y sont-ils préparés ? Il faut promouvoir tout ce qui peut les inciter à améliorer la qualité - on a vu que des marges de progrès existaient.

Par ailleurs, on ne peut pas éluder la question de l'insuffisante attractivité du statut des personnels hospitalo-universitaires. Il y a une réflexion à mener là-dessus, cette compétence étant partagée entre la sixième chambre et la troisième chambre. Dans l'organisation actuelle de notre système de santé, l'idée qu'un professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) peut indistinctement remplir des missions de formation, de recherche, de soins, fonctionne difficilement. Les PU-PH que nous avons auditionnés nous disent d'ailleurs qu'eux-mêmes ne se vivent pas selon cette logique ternaire, sinon dans le temps. Ils s'investissent dans ces trois champs, mais de façon séquencée, et non simultanée.

Cette perte d'attractivité du statut se mesure par un indicateur, celui des démissions de PU-PH : elles augmentent. Certains PU-PH commencent leur carrière en CHU, y acquièrent une notoriété parfois étonnante, et, dans un second temps, vont exercer dans des cliniques privées, où la pratique du dépassement d'honoraires est un peu plus marquée - c'est le moins qu'on puisse dire. De tels parcours existent ; nous l'avons constaté au cours de nos contrôles.

Sans pour autant considérer le système privé comme un modèle, nous avons aussi noté la souplesse des règles de gestion du personnel dans les cliniques privées en regard des rigidités du statut, lesquelles sont aussi le reflet de garanties apportées aux personnels. Le modèle qui consiste à fonctionner avec des contrats de travail d'un jour est-il pertinent ? De tels contrats, évidemment, permettent de gérer les pointes d'activité et d'augmenter la profitabilité ; mais ils ne correspondent pas à ma vision de ce que doit être la gestion du social dans notre pays.

Cinquième question : quid de l'évolution des charges ? Il faut faire le départ entre les charges contraintes et celles qui ne le sont pas. Où est le décideur, en matière de charges ? Pour ce qui est des charges maîtrisables par les gestionnaires de ces établissements, le dialogue avec le régulateur régional me paraît le bon niveau. En la matière, des progrès peuvent être faits, et la mise en place des GHT, à travers les mutualisations qu'elle peut stimuler, est de nature à aider à mieux maîtriser les charges.

Enfin, les échanges que nous avons eus avec la mission sur le « CHU de demain » sont multiples. Loin de nous cantonner à notre tour d'ivoire, nous avons testé plusieurs de nos pistes et procédé à diverses auditions d'acteurs, y compris de terrain.

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

Certains surcoûts sont liés à la certification et à l'accréditation des hôpitaux : il faut répondre à des référentiels, respecter des normes ; beaucoup d'établissements n'obtiennent pas de certification parce que changer d'équipements est coûteux.

Votre comparaison entre les CHU et les autres établissements ne me paraît pas tenir compte du fait que la plupart des CHU doivent composer avec des surcoûts nécessaires à leur fonctionnement - je pense aux services d'imagerie ou aux laboratoires de biologie. Je mentionnerai également l'activité des comités de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN) et tout ce qui a trait aux examens systématiquement menés dans les CHU en matière de surveillance de l'environnement des patients.

Vous avez évoqué la sous-représentation des personnes âgées dans les CHU ; mais celle-ci relève parfois de choix pertinents destinés à protéger les patients contre les infections nosocomiales : il ne s'agit pas forcément d'évincer ce genre de malades.

Je fais observer, par ailleurs, que les contrats en matière d'équipements sont de plus en plus des contrats d'exclusivité ; cela génère également des surcoûts. Les CHU, qui doivent respecter certaines normes, n'ont pas forcément le choix.

Concernant l'accès à l'innovation thérapeutique, enfin, des efforts restent à faire, en matière par exemple de traitement du diabète.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

Votre constat est largement partagé : le déficit s'aggrave.

Je parlerai de ce que je connais le mieux, à savoir l'AP-HM, dont la situation est aujourd'hui assez catastrophique. En attendant la restructuration des réseaux, comment concevez-vous la période de transition ? Aujourd'hui, l'AP-HM ne peut plus investir ; il faut vraiment avoir envie d'accoucher à la maternité de la Conception ! Elle est insalubre - n'ayons pas peur du mot. Faute de moyens, il est impossible de la reconstruire. Et, de toute façon, on ne peut pas faire tabula rasa : pendant les travaux, le bal continue !

Le blocage semble donc complet. J'ai assisté, depuis quarante ans, à la dégradation considérable de l'hôpital public ; pendant mes dernières années d'exercice, j'envoyais mes patients vers le privé, faute d'un accueil convenable dans le public. Vous avez parlé d'une productivité médiocre en disant qu'elle n'était pas imputable à la T2A ; en même temps et par ailleurs, vous semblez plaider pour une tarification au parcours de soins. Que fait-on, dans les années qui viennent, en attendant le grand soir de la restructuration des CHU ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Théophile

Les CHU sont hétérogènes, en effet. Ne serait-il pas souhaitable de distinguer les deux CHU des Antilles ? En Martinique comme en Guadeloupe, le coefficient géographique, qui atteint 27 % - et 30 % à La Réunion - pose problème. Lorsque je présidais la fédération des hôpitaux de Guadeloupe, j'ai signalé les problèmes de financement. Depuis les années 1980, les CHU de Guadeloupe et de Martinique ont été des amortisseurs sociaux, ce qui a pu gonfler leurs effectifs et creuser leurs déficits. Pour construire un nouveau CHU, on a demandé au CHU de Pointe-à-Pitre de revenir à l'équilibre, ce qui imposerait au moins de ramener le déficit à zéro : impossible ! Votre rapport devrait expliquer que ces CHU ont un déficit structurel, que leur capacité d'autofinancement est négative, et détacher les dépenses structurelles de celles qui peuvent diminuer dans le cadre d'un plan de performance. Leur taux d'activité, aussi, est encore trop faible, et ne pas les traiter à part fausse la moyenne nationale. Le CHU de Pointe-à-Pitre est comparable à celui de Limoges. Pourtant, le décalage en termes de PUPH est immense. Même remarque pour les missions d'intérêt général. Les urgences non plus ne sont pas au même niveau - et nos CHU font parfois de la recherche sur des pathologies spécifiques, comme la drépanocytose. Votre rapport devrait énoncer pour eux des préconisations spécifiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Je n'ai pas bien compris votre remarque sur les maternités. C'est la fermeture des maternités de proximité, dont la mission est d'accueillir les accouchements physiologiques, qui oblige à avoir recours aux maternités de niveau 3. À propos du levier entre CHU et médecine de ville évoqué par M. Milon, le plan santé 2022 prévoit de redessiner la carte hospitalière, avec des réseaux d'établissements hospitaliers de proximité, des CPTS et des centres ou des maisons de santé. Comment les CHU, qui attirent des professionnels de santé, pourront-ils tisser des liens de proximité, notamment avec ces dernières ? Enfin, la ministre supprime le numerus clausus. Quel sera l'impact de cette décision sur l'encadrement des étudiants, qui seront plus nombreux, dans les CHU ?

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Feret

Avez-vous étudié cet impact ? L'accueil, la prise en charge et la formation - y compris les stages - devront être adaptés. Vous écrivez que la réforme ne va pas nécessairement conduire à la réduction du nombre de CHU. Qu'est-ce à dire ? Faudra-t-il fermer certains sites ? Quand vous écrivez que certains établissements n'ont pas tiré les conséquences de la nouvelle carte des régions ni de l'évolution de la carte universitaire, avez-vous pris en compte ce qui se passe en Normandie ? A la place d'une tour amiantée, on reconstruit un CHU et les collectivités territoriales se sont engagées dans la reconstruction d'une faculté de médecine, qui est un véritable pôle de santé, recherche et innovation, ce qui est un atout essentiel pour notre territoire, même si celui-ci comporte déjà deux CHU, à Rouen et à Caen.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Merci pour ce rapport de grande qualité, qui rend compte d'une réflexion pertinente, dont je ne partage pas les conclusions : la réorganisation des CHU en réseaux, que vous préconisez, va à l'encontre de la recherche de proximité. Les patients vont là où ils ont confiance, puisqu'ils sont de toute façon remboursés. Pour les soins, la proximité est indispensable. Pourquoi ne pas plutôt fédérer les GHT ? La formation, elle, s'organise autour des universités, et l'on ne peut pas imaginer que celles-ci se distinguent entre universités de premier rang et de second rang. S'il y a des réseaux de CHU, il y aura des têtes de réseaux, au détriment de la proximité. Quant à la recherche, des complémentarités peuvent être intéressantes mais, si les thématiques diffèrent, le rapprochement n'a aucun intérêt. Pour le coup, ce n'est pas la proximité mais les sujets de recherche qui doivent gouverner les associations. Il aurait été intéressant qu'en regard de vos propositions, vous présentiez des contre-propositions.

Debut de section - PermalienPhoto de Véronique Guillotin

Le budget global des CHU est déficitaire, mais il faudrait une analyse plus fine des différents CHU, au cas par cas. Celui de Nancy, par exemple, est dans une situation difficile pour des raisons liées à son parc immobilier. À mesure que les travaux se spécialisaient, ses sites se sont dispersés, ce qui pose désormais des problèmes de transport et d'entretien. Pour arrêter de creuser le déficit, il faut investir, ce qui n'est pas toujours évident.

Vous insistez sur la nécessaire coopération entre CHU au sein des GHT, et entre ville et hôpital, mais l'instauration de réseaux dégagera des têtes de réseau. Mieux vaudrait s'en remettre aux régions pour faire coopérer les CHU : c'est ce que nous faisons dans le Grand Est, où nous incitons nos trois CHU à trouver des complémentarités, notamment dans la recherche, plutôt que de se concurrencer. Le fait que les financements soient en tuyau d'orgue complique parfois beaucoup la recherche d'efficacité, surtout avec le virage ambulatoire. Ainsi, un patient traité à domicile pour un cancer fera parfois un long trajet pour une chimiothérapie, puis un trajet à nouveau le surlendemain pour une radiothérapie dans un autre établissement, ce qui est fatiguant pour lui et coûteux en transports. De ce point de vue, il y a des marges de manoeuvre pour accroître la qualité des soins et l'optimisation de leur coût, pourvu qu'on sorte de cette logique de tuyaux d'orgue. Enfin, vous n'avez pas évoqué la question des médecins remplaçants.

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Berthet

Quel est l'impact sur le budget des hôpitaux du recours à des praticiens ayant obtenu leur diplôme hors de l'Union européenne ? Que pensez-vous de la distorsion de concurrence induite par le fait que les cliniques privées peuvent communiquer sur les soins qu'elles proposent - et le font parfois de manière outrancière -, ce qui est interdit au secteur public ? Son impact sur l'activité des hôpitaux n'est pas négligeable.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Chasseing

Il est souvent difficile, à partir d'un certain âge, d'aller aux urgences pour être hospitalisé. Ceux qui n'ont pas confiance en les CH sont accueillis en clinique, où l'on obtient rendez-vous beaucoup plus facilement qu'au CHU. J'espère que le nombre de médecins en formation va croître. Il faudra mieux considérer les maîtres de stages. Pourquoi les cliniques ne feraient-elles pas partie des GHT pour accueillir des internes ? Elles pourraient avoir des médecins salariés détachés, comme les hôpitaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Sol

Vous constatez une baisse d'activité en 2017. Quelle part de cette baisse est due au virage ambulatoire ? Quelle part représente la prise en charge des personnes âgées ? Pourquoi n'évoquez-vous pas le coût de l'intérim, médical comme paramédical, ni les pistes relatives à la pertinence des actes.

Debut de section - Permalien
Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes

Contrairement à vous, qui tenez - fort légitimement - à faire ressortir la situation spécifique de vos territoires, nous cherchons, à partir des données collectées, à fournir une information synthétique, une description moyenne - mais pas médiocre, espérons-le ! Nous savons bien, pour autant, que chaque territoire a sa logique propre, et qu'il faut se garder de plaquer, depuis Paris, des modèles préfabriqués. Nous recommandons de laisser, autant que possible, les acteurs de terrain s'organiser, en leur offrant de vrais degrés de liberté. Vos remarques et questions reflètent l'hétérogénéité des CHU et de notre système de santé. La Cour n'a pas encore procédé à l'analyse du plan santé 2022. Comme l'a dit devant vous notre Premier président, la Cour ne commente pas les annonces. Mais nous travaillerons sur leur mise en oeuvre. Nous évaluerons les GHT, les CPTS et les hôpitaux de proximité le moment venu.

Beaucoup des sujets évoqués par Mme Jasmin se retrouvent dans d'autres CHU et CH, voire dans des cliniques privées. Ainsi, du fait que les surcoûts occasionnés par un service déséquilibrent le budget de tout un CHU, qu'on observe aussi dans nombre de gros CH. Dans la qualité de la prise en charge du patient, le suivi de son dossier médical ou la lutte contre les maladies nosocomiales, il n'y a pas de spécificité des CHU, qui ne doivent pas être traités différemment des autres structures hospitalières : ils doivent se soumettre aux contraintes de la simplification, qui ont des coûts mais permettent aussi de dégager des économies.

Plus qu'aux grandes réformes, je crois aux vertus de la bonne gestion quotidienne, qui permet de dégager des ressources pour investir. Sinon, il faut avoir recours à l'argent du contribuable. Déjà, les deux plans de 2007 et 2012 ont représenté un investissement de 65 milliards d'euros d'argent public dans le secteur hospitalier. Résultat : nombre d'établissements de taille moyenne ont été modernisés et sont devenus exemplaires. Un tel investissement, que d'aucuns ont jugé excessif, était certainement nécessaire.

Debut de section - Permalien
Christophe Strassel, conseiller maître

Nous sommes allés à Marseille pendant plusieurs jours, et nous avons constaté une grande hétérogénéité entre l'hôpital Nord d'un côté et les pépites dans le monde de la recherche qu'on trouve au CHU. On ne peut pas réduire la situation de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM) à la paupérisation - réelle - de certains services, dont les locaux ne sont plus au niveau. Les marges de manoeuvre existent : l'AP-HM n'est pas la mieux placée dans les indicateurs de productivité, ni dans ceux relatifs à la pertinence de la politique de sous-traitance et d'achats externes. La régulation des charges est possible même dans un environnement dégradé. Il faut utiliser les marges de manoeuvre pour retrouver la possibilité d'investir dans la rénovation des locaux.

Debut de section - Permalien
Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes

Nous ne nous sommes pas rendus en outre-mer, mais vos propos reflètent aussi l'hétérogénéité que nous évoquions, et la spécificité des CHU ultramarins. Entre 2013 et 2017, le comité interministériel de la performance et de la modernisation des établissements hospitaliers (Copermo) a distribué 1,2 milliard d'euros d'aide publique, dont 869 millions d'euros pour les CHU. Sur cette dernière somme, 85 % sont allés dans les Antilles. Ce centrage spectaculaire montre bien que le ministère a conscience des difficultés spécifiques. Vous avez parlé des CHU comme d'amortisseurs sociaux - on pourrait en dire autant de nombreux services publics outre-mer...

Les questions de Mme Cohen étaient très pertinentes...

Debut de section - Permalien
Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes

Je n'ai mentionné les maternités de niveau 3 que pour citer un exemple, à propos des réseaux de prise en charge de la périnatalité. La diversité des prises en charge de l'accouchement est une bonne chose, de la survie d'un bébé prématuré aux maisons de naissance prévues pour l'accouchement physiologique, mais en-deçà de 300 actes par an, un établissement devient dangereux et doit être fermé.

Nous nous sommes aussi interrogés sur les conséquences de la suppression du numerus clausus. Plusieurs doyens nous ont dit que des problèmes de capacité se posaient déjà, depuis les derniers relèvements de ce quota. Le rapport montre que le numerus clausus générait de fortes inégalités dans l'accès aux études médicales. Nous verrons si et comment sa suppression rétablira l'égalité d'accès.

Debut de section - Permalien
Christophe Strassel, conseiller maître

Cette suppression ne règlera pas le problème d'un coup de baguette magique. Pour cela, il faudra des investissements. Actuellement, il y a 31 places pour 100 000 habitants en Limousin, contre 15,6 en Bretagne. Et il faudra aussi prendre en compte la capacité d'accueil des universités et des CHU, pour les internes. Quant à l'encadrement, il y a 5,29 étudiants par enseignant à Paris 5 contre 15 à Lille 2. La suppression du numerus clausus n'y changera rien.

Debut de section - Permalien
Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes

Notre idée de départ était que l'instauration de réseaux de CHU dégagerait des têtes de réseaux et aboutirait à la suppression, par attrition progressive, de certains sites. Nous avons évolué et estimons désormais qu'il faudra laisser aux territoires la capacité de s'organiser. D'ailleurs, contrairement à ce que nous pensions, la coopération entre CHU devrait maintenir en activité les sites les plus fragilisés - comme ce fut le cas pour les CH au sein des GHT.

Je suis heureux que la tour de Caen soit enfin remplacée, et que vous construisiez aussi une nouvelle faculté - sans préjudice des coopérations entre Caen et Rouen.

Sans GHT, nous assisterons à la fermeture progressive des plateaux techniques de taille insuffisante. La coopération permet de maintenir une présence en faisant des GHT le lieu de la mutualisation et de l'organisation de consultations avancées dans les territoires. Même remarque sur les CHU : l'alternative à la mise en place de réseaux est l'attrition progressive de certains sites - telle qu'on la connaît déjà depuis vingt ans - et leur suppression.

L'approche fine de la gestion des établissements hospitaliers relève du Copermo, qu'il s'agisse de leur performance, de leur équilibre budgétaire ou des grands projets d'investissement, qui font l'objet, au-delà de 100 millions d'euros, d'une expertise et d'une contre-expertise.

Oui, les financements sont en tuyau d'orgue, ce qui freine les coopérations. La réforme annoncée dans le plan santé 2022 semble prometteuse, notamment le financement au parcours. Pour décloisonner, la signature de conventions précisant les relations financières entre les acteurs est aussi un outil utile. La réforme de la tarification devrait lever certains obstacles.

Le secteur privé représente près de 40 % de la prise en charge médicale, mais il est globalement méconnu par les ministères et les ARS. Le régulateur ne l'appréhende qu'à travers la discussion annuelle sur les tarifs, toujours conflictuelle, avec la fédération des cliniques et hôpitaux privés de France. Grâce à l'extension de compétences que le législateur nous a donnée, nous pourrons apporter des éléments d'information précis sur le fonctionnement de ce secteur. Nous avons prévu un référé pour donner à la ministre les premières conclusions des seize contrôles auxquels nous avons procédé. En tous cas, passer d'une situation concurrentielle à une situation de coopération n'est pas facile.

La prise en charge des personnes âgées dans les CHU souffre d'un effet d'éviction, qui ne résulte pas, toutefois, d'une politique d'adressage systématique. Les CHU évitent ces prises en charge pour ne pas alourdir leurs coûts, et laissent ces personnes aux CH, ce qui pose quelques problèmes. La médicalisation des Ehpad est encore devant nous...

Faire entrer les cliniques dans les GHT est possible. Déjà, certains blocs opératoires fonctionnent en partenariat public-privé, mais c'est encore rare.

Nous n'avons pas établi que l'évolution comparée des soins de villes et de ceux dispensés à l'hôpital traduise la mise en oeuvre du virage ambulatoire. La prise en charge ambulatoire à l'hôpital est plutôt une source de réduction des dépenses pour l'ensemble du système. Le virage ambulatoire a été bien pris en chirurgie, même dans les CHU. Carton rouge, en revanche, pour la médecine ambulatoire. Quant à la bascule de l'ensemble du système de l'hôpital vers la ville, elle tarde à se faire sentir, malgré quelques annonces. Un prochain rapport sur les urgences montrera même que le flux des entrées continue à s'y accroître.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Chez nous, la moyenne n'est pas synonyme de médiocrité mais de qualité ! Ce rapport est excellent, et je propose à la commission que nous le publiions - ce qui ne manquera pas de nous exposer à de nombreuses questions !

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Je m'abstiendrai, car je suis très réservé. La mise en place de réseaux fera nécessairement émerger des têtes de réseau. On le voit bien dans les GHT, où c'est le directeur du CHU qui prend les commandes : il faut être prudent.

Debut de section - Permalien
Didier Morin

Je ne suis pas certain que les directeurs généraux de CHU prennent le pouvoir dans leurs GHT. On observe aussi l'inverse : le poids des CHU d'Annecy et de Chambéry est tel que Grenoble et Lyon trouvent qu'ils se prennent pour les rois !

La commission autorise la publication du second volet de l'enquête ainsi que le compte rendu de la présente réunion.

La réunion est close à 11 h 40.