Je vous prie en effet d'excuser Jean-François Rapin qui a dû rentrer dans sa circonscription. Nous avons mené ensemble une série de treize auditions sur les propositions de la Commission européenne pour le futur programme cadre de recherche et d'innovation baptisé Horizon Europe pour la période 2021-2027, qui succède au programme Horizon 2020 pour la période 2014-2020. Cela nous a conduits à présenter devant la commission des affaires européennes un rapport d'information et une proposition de résolution adoptée à l'unanimité il y a deux semaines, dont je viens vous présenter les grandes lignes. Il reste beaucoup d'imprécisions à lever. Le Conseil européen a donné sa position, et le Parlement y a intégré tout récemment d'autres éléments que nous nous sommes efforcés d'inclure dans notre réflexion. Le sujet est d'importance : le soutien financier à la recherche en France et en Europe.
Pour chaque période budgétaire européenne - le cadre financier pluriannuel qui s'applique sur une période de sept ans - l'Union prévoit un programme de soutien à la recherche. Horizon Europe sera ainsi le neuvième programme-cadre de recherche et d'innovation. Concrètement, cela consiste à accorder, au moyen de différents outils, des bourses soit à des projets individuels, soit à des projets collectifs de recherche.
Le futur programme reprendrait et approfondirait une orientation engagée dans le programme en cours, Horizon 2020 : l'association renforcée de la recherche et de l'innovation. Cela part d'un constat qui date du début des années 2010 : nous avons d'excellents chercheurs, des laboratoires de pointe, des entreprises innovantes et pourtant cette excellence peine à nourrir l'économie européenne. Nous sommes ainsi de plus en plus dépendants de technologies extérieures - c'est le cas pour internet, que notre présidente connaît bien. L'idée principale du programme est donc d'aider plus encore nos chercheurs à faire émerger des idées et produits innovants et à les développer en Europe.
Le programme est bâti autour de trois piliers, accompagnés d'une action transversale. Le premier pilier est consacré à la recherche fondamentale. Sa logique est ascendante : ce sont les chercheurs qui sont libres de définir leur sujet de recherche. Seule compte l'excellence du projet. Il s'appuie principalement sur deux instruments : le Conseil européen de la recherche, qui attribue des bourses individuelles aux meilleurs projets, et les actions Marie Curie qui aident à la mobilité et à la formation des chercheurs.
Devenu une référence mondiale en matière d'excellence scientifique européenne, le Conseil européen de la recherche est un outil précieux à conserver. Nous avons auditionné son président, Jean-Pierre Bourguignon, qui est français. L'excellence des travaux soumis à son institution est telle que le Conseil européen de la recherche ne peut financer tous les projets de très haut niveau ; au total, près de 500 projets par an qui mériteraient d'être subventionnés ne le sont pas ! D'où l'intérêt d'augmenter le budget de ce programme.
La Commission européenne propose de rassembler dans le deuxième pilier la question de la primauté industrielle de l'Europe et la réponse aux défis sociétaux qui, dans Horizon 2020, constituaient deux piliers distincts. Ainsi renforcé, le pilier s'articulerait autour de cinq ou sept pôles thématiques comme la santé, la mobilité ou encore le numérique, l'industrie et l'espace : la Commission prévoyait cinq pôles, mais le Conseil européen a souhaité un plus grand niveau de détail.
La méthode consiste à établir des missions ayant vocation à apporter une réponse aux grands problèmes mondiaux, comme la lutte contre les déchets plastiques dans l'océan. La lutte contre le virus Ebola a montré qu'affecter des financements de manière massive à un objectif précis produisait des résultats. Ces missions devraient rassembler plusieurs disciplines et plusieurs pôles du programme-cadre pour apporter une réponse globale, en cassant les politiques en silos, souvent reprochées à l'Union européenne, afin de répondre à un objectif politique fixé, au sommet, par l'Union. Il s'agit donc d'une logique descendante.
La deuxième évolution importante dans la structure du programme est le troisième pilier, entièrement tourné vers l'innovation et en particulier l'innovation de rupture, qui est à l'origine de nombreuses inventions dans le numérique. La Commission européenne propose de créer une agence européenne de l'innovation, inspirée de la Darpa américaine qui a contribué à l'émergence du GPS et de Google. Nous soutenons la création de cette agence, qui, espérons-le, facilitera l'émergence de grands acteurs dans la révolution industrielle en cours.
Enfin, l'action transversale vise à renforcer l'Espace européen de la recherche, qui est davantage une idée qu'une réalisation concrète, car il subsiste d'importants écarts entre les pays de l'Ouest, avec leur recherche et leurs entreprises innovatrices d'excellence, et ceux du Sud et de l'Est. Les anciens pays de l'Est se plaignent ainsi que les fonds européens pour la recherche et l'innovation bénéficient principalement aux pays riches. La proposition de résolution suggère une meilleure prise en compte de l'éducation à la science, qui bénéficie dans le programme Horizon 2020 d'un outil bien identifié que nous n'avons pas retrouvé, malgré les assurances, dans les propositions de la Commission européenne. Or nous ne croyons que ce que nous voyons... La ministre de la recherche appuie cette démarche.
Deux aspects du budget global du programme méritent d'être relevés. Le premier est l'ambition affichée par la Commission européenne : cent milliards d'euros pour la recherche et l'innovation sur sept ans, ce qui constitue le premier programme de soutien public au monde. Si l'on tient compte du Brexit, cela représente également une augmentation de 40 % par rapport au budget actuel de 80 milliards d'euros. Enfin, cela permet de financer l'innovation de rupture, sans pour autant réduire le soutien à la recherche fondamentale. La première est nécessaire et la seconde a démontré sa pertinence.
Plusieurs évaluations du budget initial ont circulé. Ici même, nous avons évoqué 160 milliards d'euros, soit un doublement du programme actuel. Le Parlement européen s'est prononcé pour une enveloppe de 120 milliards d'euros, dans une hypothèse d'augmentation générale du budget européen à 1,3 % du PIB contre 1,1 % aujourd'hui. Or je ne suis pas sûr que les États contributeurs accroissent leur participation de manière volontaire...
De son côté, dans une évaluation à mi-parcours du programme actuel, la Commission européenne a estimé que 64 milliards d'euros supplémentaires pourraient être employés. Comme je vous l'ai indiqué, d'excellents projets ne sont pas financés faute de fonds. La proposition de la Commission pour la période à venir s'inscrit dans un effort global de 120 milliards d'euros qui inclut aussi le programme ITER de recherche sur la fusion nucléaire, le programme pour une Europe numérique dont les financements s'élèvent à 9,2 milliards d'euros et le Fonds européen de la défense.
Second aspect important de ce budget, le fait qu'il est négocié séparément du contenu du programme. Ce contenu a fait l'objet d'une orientation générale partielle lors du Conseil compétitivité du 30 novembre dernier : les États membres se sont mis d'accord sur les grandes lignes de l'architecture, les orientations et le fonctionnement du programme. La question de la recherche spatiale, qui est importante pour la France, apparaît désormais davantage dans les pôles du second pilier. Dans notre proposition de résolution, nous demandons qu'elle fasse l'objet d'un pôle à part entière.
L'enveloppe budgétaire sera, de son côté, discutée dans le cadre des négociations générales sur le cadre financier pluriannuel, qui devraient avoir lieu en 2019. C'est certainement le Parlement européen issu des urnes en mai prochain qui votera le futur budget européen, bien que la Commission européenne ait tenté de faire voter le budget avant cette date. Or ces élections pourraient causer des surprises...
À ce stade, Jean-François Rapin et moi-même considérons que la Commission européenne propose déjà un effort d'ampleur et justifié : il s'agit de dépenses nécessaires pour l'avenir et pour la croissance économique de l'Union européenne. C'est pourquoi nous appelons à préserver ce montant de cent milliards d'euros pour la recherche et l'innovation lors des négociations à venir.
Pourquoi ne pas être plus ambitieux ? D'abord parce que le Sénat a déjà adopté des résolutions pour le maintien du budget de la politique agricole commune et pour une politique de cohésion ambitieuse. Ce sont les deux premiers postes de dépenses de l'Union, la recherche étant le troisième. La logique budgétaire interdit de réclamer une hausse des deux premiers budgets et du troisième à la fois.