Les 160 milliards d'euros initialement annoncés sont issus du rapport confié à Pascal Lamy, qui a travaillé sur la base des besoins et non des fonds disponibles. Rappelons que l'Union européenne n'a pas le droit d'emprunter ni d'être en déficit...
L'intelligence artificielle et la cybersécurité relèvent du programme pour l'Europe numérique, doté de 9,2 milliards d'euros, qui comprend, outre ces deux pôles, le calcul haute performance et la formation des chercheurs mais aussi des ingénieurs. En Europe, nous accordons beaucoup d'importance à la recherche de haut niveau et pas assez aux relais de l'innovation dans l'entreprise.
Nous ne savons pas quel Parlement européen ni quelle Commission européenne émergeront des élections. Il y a des tensions entre les trois grandes politiques que sont la PAC, le fonds de cohésion, et la recherche et innovation. J'estime, à titre personnel, que nous mettons trop d'argent dans la PAC. Investir dans l'innovation bénéficie aussi, au demeurant, à l'agriculture : j'étais hier à une réunion franco-norvégienne sur l'intelligence artificielle, où j'ai pu me rendre compte que celle-ci peut améliorer considérablement la performance et l'efficience de notre agriculture et de notre pêche.
Le Royaume-Uni, vous l'avez dit, est un grand pays de recherche, avec cet avantage considérable qu'on y parle anglais... Ce qui n'est pas toujours le cas des chercheurs français de haut niveau. Il y a un véritable écosystème de la recherche dans ce pays. Les Britanniques sont pragmatiques : ainsi les projets de très bon niveau non retenus au niveau européen sont automatiquement recyclés dans l'équivalent de notre Agence nationale de la recherche, sans avoir à passer par le processus de sélection. Quant à l'Espagne, son taux de retour très élevé s'explique aussi par le fait que l'État, jouant de la subsidiarité, coupe ses propres financements au niveau national... Je ne prétends pas qu'il faille l'imiter mais il est indispensable de faire preuve de pragmatisme et de simplifier les procédures.
J'ai suggéré au ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation d'identifier les domaines où les Britanniques sont le plus avancés, et de commencer à préparer des dossiers dans ces secteurs. Le programme inclut la possibilité d'association avec des pays tiers : les chercheurs britanniques pourront donc continuer à participer à des projets de recherche après le Brexit dans les termes suivants : un euro investi pour un euro reçu. Il faut utiliser le fait que les Britanniques souhaitent rester dans ce programme de recherche publique comme un levier de négociation.
La recherche britannique est particulièrement performante dans les sciences humaines et sociales. Le chercheur Benjamin Moignard, que notre commission a entendu hier matin, s'inscrit dans une tradition sociologique anglo-saxonne fondée sur des volumes importants de données plutôt que des études qualitatives et interprétatives. Peut-être devons-nous réviser notre propre conception de la recherche en sciences sociales.
Il y a une claire volonté, dans ce programme, de consolider la recherche fondamentale, mais si cette recherche ne débouche pas sur l'innovation, et si, à son tour, celle-ci n'alimente pas les filières sectorielles, cela revient à former les futurs chercheurs de Facebook ou d'Amazon. Il manque encore un pan véritablement industriel dans ce budget, ce qui est lié, comme vous l'avez souligné, madame la présidente, à une politique de la concurrence stupide, et sur laquelle l'Union européenne est d'ailleurs en train de revenir pour cibler des secteurs stratégiques à stimuler par une aide publique cadrée. InvestEU, qui est le prolongement du plan Juncker, joue sur l'effet levier - celui du plan Juncker, qui a été un succès, étant de 1 pour 15 - en apportant plusieurs milliards pour amorcer les financements et les levées de fonds privés. Au total, les financements européens pourraient avoisiner les 150 milliards d'euros.
Les auditions que je mène en tant que rapporteur de la commission des affaires européennes sur la question de l'intelligence artificielle montrent que la réflexion sur l'éthique est un vrai sujet européen. La solution passe peut-être, plutôt que par le contrôle des données personnelles, par des voies industrielles et ce que l'on appelle l'intelligence personnelle augmentée. Un smartphone a désormais plus de puissance que tous les ordinateurs de la Darpa des années 1970 réunis : il n'est plus forcément nécessaire de stocker ses données dans des serveurs ou des centres de données gérés par Google, Amazon ou Facebook.