Intervention de Michel Amiel

Réunion du 11 décembre 2018 à 14h30
Port du voile intégral dans l'espace public — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Michel AmielMichel Amiel :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a bien longtemps que le port du voile intégral ne s’était pas invité dans le débat politique. Avec cette proposition de résolution, il y refait son apparition.

Examinons les faits. La loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public fut adoptée à la quasi-unanimité par les deux chambres. Le Conseil constitutionnel la jugea conforme à nos principes, en particulier à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. De même, la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, déclara que cette loi respectait les principes de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950.

Or voilà que le Comité des droits de l’homme de l’ONU, saisi par deux plaignantes, estime que cette loi de 2010 porte atteinte « au droit des deux plaignantes de librement manifester leur religion ».

Il faut tout de même le dire et le rappeler, ce comité ne constitue en rien une juridiction et que cette « constatation », pour reprendre le terme exact, ne saurait être ni contraignante ni obligatoire. De ce fait, l’État ne saurait en aucune manière être obligé de suivre cet avis.

Certes, dans le passé, ce comité s’était prononcé sur l’aspect discriminatoire des règles de neutralité religieuse dans la fameuse affaire de la crèche Baby Loup. Cet avis avait trouvé un écho au niveau juridictionnel, le premier président de la Cour de cassation, comme vous l’avez rappelé, monsieur Retailleau, ayant prévenu que l’institution qu’il dirigeait tiendrait compte de cette interprétation en raison de l’autorité qui s’y attachait de fait.

Cette position est finalement assez constante et les juges s’appuient volontiers sur des avis non contraignants pour interpréter la loi. Sauf que, dans le cas d’espèce, il ne s’agissait pas de l’espace public. Bref, ce magistrat aurait pu prendre une autre décision.

La loi est là, elle est issue d’une volonté démocratique forte établie par les représentants du peuple, la branche législative du pouvoir.

La CEDH avait reconnu et réaffirmé : « Il apparaît ainsi que la question de l’acceptation ou non du port du voile intégral dans l’espace public constitue un choix de société. » La jurisprudence n’est pas modifiée par la décision du Comité des droits de l’homme, l’ordonnancement juridique est intact, et la volonté de la société d’établir une règle du vivre ensemble dans l’espace public préservée.

Enfin, limiter nommément cette question d’application de la loi au seul voile islamique, alors que la loi du 11 octobre 2010 a permis d’affirmer et de sanctuariser le principe fondamental selon lequel « la République avance à visage découvert », me paraît constituer, mes chers collègues, une tentative de soulever un débat qui ne devrait plus avoir lieu d’être, à des fins qui risqueraient de s’éloigner de la préoccupation juridique pour glisser vers une intervention plus politique.

Pourquoi pas ? Puisque vous voulez parler du voile, parlons-en !

Le port du voile intégral est-il un mode d’expression d’une foi religieuse, à savoir l’islam, ou bien une simple tradition vestimentaire imposée, dans certaines terres d’islam, aux femmes contre leur gré, parfois même sous peine de mort ? En tout cas, si le Coran lui-même recommande une certaine pudeur vestimentaire pour les femmes, comme d’ailleurs pour les hommes, je n’y ai jamais lu une quelconque obligation du voile intégral ; il ne contient même pas le mot « hijab ».

Il n’y a d’ailleurs dans le Coran que quatre versets sur ce sujet. La seule partie du corps féminin qu’il est recommandé de couvrir est la poitrine.

Selon Asma Barlas, universitaire américaine d’origine pakistanaise, le port d’un voile intégral qui couvre le visage « est absolument contraire à l’esprit du Coran ». Elle poursuit : « J’en veux pour preuve que les femmes doivent accomplir le hadj, le pèlerinage rituel, à visage découvert. »

Selon Mme Barlas, la question du voile cristallise d’autres craintes ; si les femmes sont opprimées dans le monde islamique, c’est le fait des hommes, pas de la religion.

C’est bien là qu’est le problème de fond. L’islam n’impose pas le voile intégral. Ce dernier est devenu une marque identitaire, voire une provocation face à notre tolérance occidentale issue de la philosophie des Lumières.

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