Intervention de Pierre Ouzoulias

Réunion du 11 décembre 2018 à 14h30
Port du voile intégral dans l'espace public — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Pierre OuzouliasPierre Ouzoulias :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la laïcité française, dans ses principes et ses modalités d’application, demeure une spécificité de notre République et ses conceptions originales doivent être collectivement défendues, sur notre sol et dans les instances internationales.

La Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme du Conseil de l’Europe n’ont jamais, dans leurs nombreuses décisions, contesté les législations ou les décisions judiciaires fondées sur de tels préceptes.

En revanche, le Comité du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a parfois manifesté de l’incompréhension ou de l’opposition à l’égard de la laïcité française. Cette proposition de résolution aurait pu être l’occasion de lui rappeler notre attachement collectif à cet élément fondamental de notre socle républicain, d’en défendre les principes et d’en promouvoir la valeur universaliste. Nous regrettons donc vivement que le mot « laïcité » n’y soit jamais cité, ni dans l’exposé des motifs ni dans le texte même.

À propos des constatations du Comité des droits de l’homme des Nations unies publiées le 22 octobre 2018, il convient, en préambule, de préciser qu’elles n’ont aucune conséquence juridique sur le droit français. En aucune façon, elles ne modifient l’ordonnancement juridique national ou n’atténuent la portée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Les mesures proposées aux alinéas 14 et 15 de la présente proposition de résolution sont donc sans objet.

Néanmoins, je pense qu’il aurait été utile pour nos débats de reprendre ici certaines des observations présentées par la majorité des membres de ce comité. En effet, plusieurs d’entre eux partagent l’idée que le voile dissimulant totalement le visage, appelé niqab, est « discriminatoire ». Ils estiment que « le port du voile intégral est une pratique traditionnelle par laquelle les hommes ont asservi les femmes sous couvert de préserver leur “pudeur”, les empêchant ainsi d’occuper l’espace public au même titre que les hommes ». De même, le Comité, dans sa décision, reconnaît à l’État français le droit de « promouvoir la sociabilité et le respect mutuel entre les individus, dans toute leur diversité, sur son territoire, et conçoit que la dissimulation du visage puisse être perçue comme un obstacle potentiel à cette interaction ». In fine, ce qui est contesté par ce comité, c’est moins la mesure elle-même, l’interdiction du voile intégral, que la disproportion de la restriction de circulation, par rapport à un objectif qu’il estime mal défini par la loi.

Sur ce dernier point, la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public aurait pu, il est vrai, être plus explicite. Son premier article dispose : « Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». En revanche, l’exposé des motifs est beaucoup plus précis puisqu’il considère, avec justesse, que « la dissimulation du visage dans l’espace public est porteuse d’une violence symbolique et déshumanisante, qui heurte le corps social » et que le voile revient « à nier l’appartenance à la société des personnes » qui le portent.

Fondamentalement, l’objet même de la loi est non pas la nature du bout de tissu porté par un individu, mais la position politique qui dénie à une femme ses droits de citoyenne, conformément à des traditions religieuses qui s’imposeraient à l’ordre républicain. Il s’agit non pas de réglementer la dissimulation du visage, qui pourrait concerner, de la même façon, la femme intégralement voilée et l’individu qui souhaiterait cacher son identité aux forces de sécurité, mais de réaffirmer, dans l’exercice de la citoyenneté à laquelle nul ne peut renoncer, la primauté des lois de la République sur les croyances ou les systèmes de pensée qui lui sont extérieurs. Là est bien l’essence de la laïcité.

À ce propos, j’aimerais rendre hommage au courage de M. Yadh Ben Achour, juriste tunisien et membre du Comité aux droits de l’homme, qui a souhaité exprimer avec force son opposition à la décision de cette instance.

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