Voilà un peu plus d’un an, le 1er novembre 2017, le Président de la République rappelait, à Strasbourg, l’attachement profond de la France aux droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950, et à son instrument le plus efficace de mise en œuvre qu’est la Cour européenne des droits de l’homme. Cet attachement, le Président l’a souligné, implique aussi notre attachement « à la force obligatoire des arrêts de la Cour ».
En l’espèce, cette loi sur la dissimulation du visage dans l’espace public, qu’en a dit la Cour ? Saisie par une requérante, dans son arrêt S.A.S. c. France de 2014, elle a écarté fermement toute violation de la Convention du fait de l’application de la loi de 2010, dont elle a jugé qu’elle ne revêtait pas de caractère discriminatoire et qu’elle ne portait atteinte ni au respect de la vie privée, ni à la liberté de conscience, ni à la liberté d’expression.
Aussi, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la préservation de conditions du vivre ensemble était un objectif légitime et que cette loi entrait dans la marge d’appréciation qui revient, fort heureusement, aux États pour définir ce vivre ensemble – le sénateur Pierre Charon l’a rappelé.
Au contraire, le Comité des droits de l’homme de l’ONU, saisi d’une requête individuelle, a rendu le 22 octobre dernier des constatations sur la loi du 11 octobre 2010, dans lesquelles il estime que l’application de cette loi porte atteinte au droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion résultant de l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et à l’interdiction des discriminations prévue par l’article 26 de ce même pacte.
Je dirai tout de même un mot sur ce comité des droits de l’homme de l’ONU. C’est un organe composé d’experts internationaux indépendants, chargé de contrôler la mise en œuvre des droits consacrés par le Pacte international de 1966. Organe non juridictionnel, le comité ne reconnaît, à la différence de la Cour européenne des droits de l’homme, pas de marge nationale d’appréciation sur les questions concernant la préservation du vivre ensemble.
À cet égard, je me permets de souligner que les récentes constatations du Pacte s’inscrivent résolument dans la continuité de ses orientations traditionnelles. Le Comité s’était ainsi déjà prononcé contre l’obligation de poser tête nue sur les photos d’identité en 2013 et contre l’interdiction, résultant de la loi de 2004, du port de signes religieux ostensibles par les élèves de l’école publique.
Toutefois, je le rappelle, ces constatations ne sont ni une condamnation de l’État ni une injonction au Gouvernement. En somme, elles ne permettent pas de remettre en cause notre droit national.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’entends vos inquiétudes et votre souhait d’adopter la proposition de résolution dont nous discutons aujourd’hui.
Cependant, comme je viens d’essayer de le démontrer, ces inquiétudes ne sont pas fondées tant la détermination du Gouvernement à préserver et appliquer cette loi et les jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme est intacte.
Vos inquiétudes sont d’autant moins fondées que les constatations du Comité des droits de l’homme de l’ONU sont dépourvues de portée contraignante et n’ont donc pas vocation à bouleverser notre paradigme législatif et juridique actuel.
En revanche, l’adoption de cette proposition de résolution aurait un caractère contre-productif, en ce qu’elle invite le Gouvernement « à ne pas donner suite à ces constatations ».
Or, conformément à la Constitution et à nos traditions en pareille situation, et justement parce que nous défendrons toujours notre vision du vivre ensemble, la France entend répondre aux constatations du Comité des droits de l’homme de l’ONU.
Vous connaissez comme moi ce dicton populaire : « Qui ne dit mot consent. » Eh bien, la France répondra, car elle ne consent pas : là est notre point d’accord.
Monsieur Retailleau, vous avez raison de souligner que les constatations du Comité des droits de l’homme sur l’affaire Baby Loup ont été commentées par le premier président de la Cour de cassation. Cependant, il ne faut pas dramatiser ou donner une portée excessive à ces constatations, le Comité ayant déjà critiqué deux précédentes lois sans que notre jurisprudence soit pour autant bouleversée. Il paraît naturel que la Cour de cassation réfléchisse à l’impact plus médiatique que juridique de telles constatations, qui, encore une fois, ne s’accompagnent pas de revirement de jurisprudence.
Pour tous ces motifs, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat quant à l’adoption de cette proposition de résolution, mais il répondra fermement au Comité.