Madame la présidente, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à instituer des funérailles républicaines, que nous examinons aujourd’hui, a été adoptée par l’Assemblée nationale le 30 novembre 2016, sous la précédente législature. Elle était présentée par notre ancien collègue député Bruno Le Roux et plusieurs de ses collègues.
La semaine dernière, la commission des lois du Sénat l’a rejetée en adoptant un amendement de suppression de son article unique, présenté par notre collègue Jean-Pierre Grand.
En conséquence, et en application du premier alinéa de l’article 42 de la Constitution, notre discussion porte aujourd’hui sur le texte de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale.
Pour préparer nos travaux, j’ai tenu à entendre les différentes parties prenantes : les associations d’élus, la Fédération des familles de France, les opérateurs funéraires, publics ou privés, les représentants des cultes, la Fédération nationale de la libre pensée, ainsi que les administrations concernées – ministère de la justice, ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Je me suis évidemment entretenu avec le deuxième signataire de la proposition de loi, M. Hervé Féron, qui était aussi rapporteur au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale.
Je remercie notre collègue Jean-Luc Fichet d’avoir participé aux auditions et le président Jean-Pierre Sueur, avec qui nous avons pu échanger.
Le principe de liberté de choix des funérailles, entre obsèques civiles ou religieuses, est garanti depuis le XIXe siècle et la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles.
Si les premières tendent à se développer, notamment avec le recours croissant à la crémation plutôt qu’à l’inhumation, les secondes restent largement majoritaires en France : elles représentent encore 74 % des obsèques selon une étude publiée en 2016 par le CRÉDOC.
Les règles actuelles de la domanialité publique permettent d’ores et déjà l’organisation d’obsèques civiles au sein de bâtiments communaux.
L’attribution d’une salle municipale relève toutefois de la seule appréciation de la commune et est soumise à une redevance, sauf exception.
Il arrive également que l’officier de l’état civil s’implique lors de la célébration des obsèques, mais à titre privé et avec l’accord de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles – je l’ai fait en tant que maire.
La proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale a deux finalités : premièrement, elle tend à imposer aux communes qui disposent d’une « salle adaptable » de garantir l’organisation de « funérailles républicaines » en la mettant à disposition des familles des défunts ; deuxièmement, elle vise à donner à l’officier de l’état civil la faculté de procéder à une cérémonie d’obsèques civiles, dans l’hypothèse où la famille du défunt le demanderait.
Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, elle se heurte toutefois à de nombreux écueils, que je vais tenter de résumer.
Premier écueil : l’absence de mention expresse de la notion de disponibilité de la salle, qui pourrait conduire à interpréter ces dispositions comme accordant une priorité à la demande de réservation de salle pour des « funérailles républicaines » et générer alors des conflits d’usage.
Deuxième écueil : l’absence de définition du caractère « adaptable » de la salle, qui ne manquerait pas de susciter des contentieux devant le juge administratif.
Troisième écueil : l’absence de mention des cas dans lesquels la commune pourrait légitimement refuser la demande de mise à disposition.
Quatrième écueil : l’ambivalence de la notion de « funérailles républicaines ». Plusieurs représentants des cultes ont fait remarquer qu’une cérémonie d’obsèques religieuses n’était pas moins républicaine qu’une cérémonie strictement civile.
De fait, en vertu du principe constitutionnel d’égalité devant la loi, la commune pourrait-elle légitimement refuser la demande d’une famille souhaitant utiliser une salle pour l’organisation d’obsèques religieuses ? La question se pose, d’autant plus que certains opérateurs funéraires m’ont indiqué que cela se faisait déjà.
Cinquième écueil : le coût induit pour les communes, qui devraient mettre à disposition, aménager et entretenir gratuitement, sans compensation financière, une salle adaptable, alors même que les dispositions de la proposition de loi auraient une incidence marginale sur le coût global des obsèques. Celles-ci nécessiteraient en effet toujours l’intervention d’opérateurs funéraires habilités à assurer le service extérieur des pompes funèbres.
Sixième écueil : le caractère singulier de la nouvelle compétence confiée aux officiers de l’état civil, qui ne relèverait pas du champ traditionnel de leurs missions, en principe toujours en lien avec l’établissement ou la publicité d’un acte de l’état civil, qui génère alors des droits et des obligations.
Au demeurant, préparer et présider une cérémonie funéraire ne s’improvise pas. À cet égard, les dispositions de la proposition de loi pourraient introduire une distorsion avec les agents des régies, associations ou entreprises de pompes funèbres, obligés d’être diplômés pour exercer leur profession de « maître de cérémonie », et les officiers de l’état civil, qui pourraient conduire une cérémonie d’obsèques sans diplôme ni habilitation en la matière.
Par ailleurs, il est possible de s’interroger sur la latitude laissée aux élus de refuser de procéder à une cérémonie civile. L’éventuel refus de l’officier de l’état civil pourrait être interprété comme une rupture d’égalité ou une discrimination et faire l’objet d’un recours devant le juge judiciaire, alors que le contentieux de la mise à disposition de la salle relèverait du juge administratif.
Mes chers collègues, je partage l’objectif des auteurs de la proposition de loi de prendre en considération le développement des obsèques civiles dans notre pays et suis bien entendu favorable à ce que les communes, lorsqu’elles le peuvent, mettent à disposition des familles une salle municipale à cet effet. Elles le font déjà, sans difficulté particulière.
Comme l’ont fermement souligné les associations d’élus, notamment l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, il n’est donc ni nécessaire ni utile de créer une nouvelle obligation à la charge des communes, sans compensation financière, ni même de rappeler une faculté qui existe déjà, comme cela est proposé dans certains amendements. Le Sénat, et sa commission des lois en particulier, attache la plus grande importance à la qualité de la loi et à son caractère normatif.
Pour l’ensemble de ces raisons, mes chers collègues, la commission des lois vous invite à rejeter la proposition de loi et à adopter les amendements de suppression de son article unique, déposés par nos collègues Jean-Pierre Grand et Alain Marc.