Intervention de Hélène Conway-Mouret

Réunion du 12 décembre 2018 à 14h30
Funérailles républicaines — Discussion générale, amendement 11

Photo de Hélène Conway-MouretHélène Conway-Mouret :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la vice-présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il n’est pas question de revenir ici sur la longue quête des athées, des matérialistes ou des non-croyants à enterrer leurs morts à leur gré.

Le débat qui anima la Chambre en mai 1882, alors qu’était débattue la proposition de Clovis Hugues tendant à autoriser les obsèques publiques des républicains, en offrit tous les arguments. Pourtant, qui dirait que les termes de notre débat ont changé ? L’orateur ne déclarait-il pas alors : « Nous voulons, le jour où nous allons dormir [dans] le grand sommeil, suivant l’expression de Bossuet, nous voulons avoir la conviction […] d’être accompagnés par nos amis qui, s’ils ne viennent pas saluer en nous une âme immortelle, viendront du moins saluer dans notre cadavre […], ce qui a été une âme, ce qui a été la vibration d’une conscience » ?

Cette volonté est aujourd’hui partagée par plus d’un tiers des familles, qui souhaitent des obsèques civiles dans une société qui vit pourtant une désécularisation évidente, qui voit les questions religieuses envahir toutes les sphères de la vie sociale comme si, en réaction, l’intime revendiquait sa liberté à l’heure suprême.

Devons-nous aller contre ce mouvement ou l’anticiper, donc l’accompagner en nous reposant sur les principes fondamentaux de notre République, le premier étant le principe d’égalité dont on sait qu’il revient à la puissance publique de le garantir, y compris contre les revendications religieuses ?

Dans un pays laïc, la religion ne peut envahir la vie sociale et civique et la loi de la République être mise en concurrence avec la loi de Dieu. Chaque citoyen doit pouvoir être reconnu indépendamment de ses convictions personnelles.

Or celles et ceux qui n’adhèrent pas à une religion sont privés aujourd’hui de ce moment de recueillement qui ne devrait pas avoir lieu à l’entrée du cimetière ou devant la tombe, comme cela est encore le cas. Les proches du défunt devraient pouvoir se rassembler dans un lieu qui ne soit ni commercial ni religieux. Un espace municipal semble alors l’endroit idéal pour une réunion civile d’hommage et pour respecter aussi le principe d’égalité des citoyens face à la mort.

Le sujet n’est pas nouveau. En 2007, puis en 2009, il a été soulevé à l’Assemblée nationale, sans qu’une réponse concrète soit apportée. Puis, en décembre 2016, l’article unique de cette proposition de loi a été adopté à une très large majorité des députés, à l’exception de l’extrême droite. Un large consensus s’est alors dégagé, parce que beaucoup de communes répondent déjà à cette demande des familles.

La loi offre, certes, depuis le 15 novembre 1887 la possibilité de choisir des funérailles civiles. Mais, dans les faits, les familles ne sont pas toujours informées de cette solution alternative – ce fut le cas pour le rapporteur du texte, Hervé Féron, dont le père eut des obsèques religieuses dont il ne voulait pas.

Cette proposition de loi permettra ainsi d’inscrire ce droit et de le faire connaître. Elle n’est donc pas inutile comme certains le pensent, comme il n’est pas inutile de rappeler que notre pays est un pays laïc, alors que la loi de 1905 est remise en question. Elle s’inscrit ainsi dans la lignée de la pratique des parrainages républicains ou du mariage civil.

Cette liberté réaffirmée aurait-elle un coût ? Non, car elle s’exercera dans la limite des locaux existants. Mais qu’une commune possède une petite salle adaptable, et celle-ci devra alors être mise à disposition de celles et de ceux qui, autour du cercueil, désirent ce court moment d’intimité et de recueillement. On leur permet simplement, une dernière fois, de se retrouver autour de leur défunt et de prendre le temps nécessaire pour lui dire au revoir.

Je dois vous l’avouer, j’ai beaucoup de mal à comprendre l’argument selon lequel des dépenses supplémentaires sont nécessaires, car les frais de nettoyage, d’électricité et de chauffage pour quelques heures ne valent-ils pas pour toutes les réunions ? Cela grèvera-t-il le budget communal ? Sincèrement, je ne le crois pas.

Cependant, je comprends parfaitement l’émoi que peut susciter l’introduction de la notion de gratuité auprès des communes déjà accablées par les baisses de subventions et qui pensent qu’on leur impose des charges supplémentaires. C’est pour cela que nous sommes ouverts à une nouvelle rédaction du texte. Encore faudrait-il que nous ayons la possibilité d’en débattre !

Enfin, je voudrais citer Victor Hugo, dont notre collègue Jean-Pierre Sueur vient de nous rappeler l’importance qu’il attachait à notre assemblée. Celui-ci écrivit dans son testament : « Je donne cinquante mille francs aux pauvres. Je désire être porté au cimetière dans leur corbillard. Je refuse l’oraison de toutes les églises ; je demande une prière à toutes les âmes. Je crois en Dieu ».

Je suis convaincue, avec le poète, que des funérailles républicaines peuvent aussi être l’expression d’une spiritualité laïque. J’ai le sentiment intime, avec ce texte, que nous sommes en phase avec l’évolution de notre société et les demandes de nos concitoyens.

Ce texte peut poursuivre son parcours parlementaire si nous sommes capables de nous entendre sur l’essentiel. Ce que nous souhaitons, c’est avant tout donner une base juridique aux pratiques de certaines communes, afin de garantir l’égalité entre les personnes qui veulent des obsèques civiles et celles qui souhaitent des obsèques religieuses.

Par conséquent, notre groupe est ouvert à un texte qui préserve ce principe, ce qui est l’objet de l’amendement n° 11.

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