Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du 12 décembre 2018 à 21h45
Emplois non pourvus en france : quelles réponses ? quelles actions — Débat organisé à la demande du groupe les indépendants – république et territoires

Muriel Pénicaud :

Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier le groupe Les Indépendants – République et Territoires d’avoir inscrit ce thème très important à l’ordre du jour de la Haute Assemblée.

Il va permettre de prolonger les débats que nous avons eus il y a une semaine exactement, sur la mission « Travail et emploi », rapportée notamment par votre collègue Emmanuel Capus. Plus largement, ce débat sur les emplois non pourvus nous permet de poursuivre nos discussions sur les réformes en cours et sur les ordonnances pour le renforcement du dialogue social, ainsi que sur la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Le paradoxe, et c’est tout le sens de la question qui est posée, c’est l’existence concomitante, d’une part, de 2, 6 millions de personnes qui cherchent un emploi et, d’autre part, d’un nombre croissant d’entrepreneurs qui veulent embaucher, mais qui, faute de trouver les compétences, voire même des candidats, renoncent à des marchés ou à défaut sont contraints à recourir au travail détaché.

En 2018, l’enquête besoins en main-d’œuvre, ou BMO, de Pôle emploi, montre que la pénurie de candidats dans 83 % des cas est le premier motif des difficultés de recrutement, devant l’inadéquation des candidatures et la nature du poste proposé.

Ce sont ainsi entre 250 000 à 330 000 offres d’emploi qui n’avaient pas été pourvues en 2017. Même si nous n’avons bien évidemment pas encore les chiffres, ce sera plus en 2018, en raison de la dynamique de création d’emplois : 211 000 créations nettes en un an, soit l’équivalent des habitants de la ville de Rennes. Plus la dynamique de création d’emplois est forte, plus le désajustement entre l’offre et la demande, entre les compétences disponibles et les compétences recherchées, apparaît.

Il convient toutefois de rappeler que, dans un contexte d’accroissement fort des offres d’emploi déposées – plus 9, 2 % entre la mi-2017 et la mi-2018, soit 3, 5 millions d’offres déposées –, une large majorité des offres – plus de 90 % – sont pourvues. Ici, on parle du delta. Dans l’ensemble, le système fonctionne, mais nous sommes tous d’accord ici pour trouver insupportable que 300 000 emplois ne soient pas pourvus faute de compétences alors qu’il existe tant de demandeurs d’emploi.

Une étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, publiée hier, identifie clairement deux situations de tension sur le marché du travail. Elles sont sensiblement différentes.

D’une part, on trouve des métiers pour lesquels on recherche des personnes plutôt qualifiées, avec des besoins de recrutements forts, mais où le nombre de demandeurs d’emploi est faible. Dans ce cas, la problématique apparaît davantage liée à la qualification et au manque de qualification disponible sur le marché : soudeurs, chefs cuisiniers, ingénieurs de l’informatique, techniciens de l’électricité, de la maintenance, etc.

D’autre part, on trouve des métiers où les besoins de recrutement de la part des entreprises sont importants et coexistent avec un nombre significatif de chômeurs, souvent peu qualifiés et avec une forte rotation de la main-d’œuvre : ouvriers du bâtiment, aides à domicile, serveurs.

Une question préalable se pose : comment en sommes-nous arrivés à une telle situation, qui se retrouve sur l’ensemble du territoire, même si certains d’entre eux sont plus tendus que d’autres ?

Ces tensions sur le marché du travail sont liées au fait que la croissance s’accélère : il y a donc plus de demandes. Mais elles résultent aussi d’une série de résignations dont le caractère insidieux et interdépendant au fil du temps a produit ces effets.

La France est un des pays qui a connu trente ans de chômage de masse – et nous n’en sommes pas encore sortis –, fruit de décennies de croissance en berne, qui ont entamé notre capacité d’anticipation des besoins en main-d’œuvre. Chacun le comprendra aisément, cela n’a pas grand sens de se former quand on n’a pas de perspectives d’avenir. Résultat, la qualification de notre main-d’œuvre disponible est assez peu élevée par rapport aux besoins. Il importe de sortir de cette fatalité.

Nous sommes ensuite résignés face à un système de formation professionnelle pourtant en pointe dans les années soixante-dix et quatre-vingt, mais qui s’est progressivement sclérosé, devenant très injuste puisque seul un demandeur d’emploi sur dix a accès à la formation depuis une dizaine d’années. Encore aujourd’hui, un salarié sur trois – notamment les ouvriers, les employés et les salariés des TPE – a peu accès à la formation.

Résignation également face à une image dévalorisée ou simplement datée des métiers, en particulier des métiers manuels ainsi que de leur voie de formation en apprentissage. Nous sommes en train de changer cet état de fait. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a créé une vraie dynamique puisque nous enregistrons une hausse de 6 % du nombre d’inscrits et de 45 % des demandes à la rentrée. Néanmoins, il faudra clairement continuer également à lutter contre ce phénomène.

Enfin, résignations face à des règles de l’assurance chômage qui ne permettent pas suffisamment de lutter contre la précarité et d’inciter au retour à l’emploi. Ce sera tout l’objet de la réforme à venir de l’assurance chômage.

Notre première réponse par rapport à ces défis a bien évidemment été la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, avec la formation professionnelle et l’apprentissage. Nous avons également répondu par un effort inédit par son ampleur et sa durée en direction du Plan d’investissement dans les compétences, le PIC, qui s’étalera sur cinq ans.

Je rappellerai les trois axes d’action mis en œuvre par le Gouvernement.

Le premier axe, c’est le renforcement de l’attractivité des métiers en tension, couplée à une meilleure identification en temps réel de leur besoin en compétences. À cette fin, il convient tout d’abord d’améliorer la connaissance des métiers, car elle est très faible. Un effort devra être fait en matière d’éducation et d’orientation. Tel est le sens de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Nous avons lancé avec Pôle emploi le 20 septembre dernier l’opération #VersUnMétier. Elle consiste à organiser une fois par semaine et dans l’ensemble des agences Pôle emploi une rencontre – job dating, ateliers, visites – entre employeurs et candidats autour d’un métier ou d’un secteur en tension. Beaucoup d’emplois en tension sont accessibles à des salariés qui n’ont aucune expérience ni compétence dans le domaine, à condition qu’ils suivent une formation, ce à quoi personne ne pense.

Par exemple, dans le secteur de la cybersécurité ou du développement web, on peut former en plusieurs mois des personnes pour qu’elles soient en mesure d’occuper des emplois qualifiés. Pour autant, si on ne présente pas ces métiers et si on ne dit pas qu’ils sont accessibles, les demandeurs d’emplois restent dans l’ignorance et ne demandent pas à se former.

Cette meilleure connaissance des métiers, nous l’avons aussi renforcée sur le plus long terme au travers de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Le même objectif est visé avec l’instauration des prépa-métiers ou des prépa-apprentissage en cours de lancement. Le PIC permettra de financer des prépa-apprentissage dans à peu près tous les secteurs.

En outre, près de la moitié du Plan d’investissement dans les compétences se fera en partenariat avec les régions au travers de pactes. Le PIC comprendra un important volet sur les métiers en tension. Je signerai d’ailleurs le premier pacte, celui du Grand Est, mercredi prochain à Metz avec le président de cette région.

La loi permet aussi de mettre en place les dispositifs « Pro A », de « reconversion et promotion par l’alternance », qui seront en particulier ciblés sur les nouveaux métiers.

Le Plan d’investissement dans les compétences comprendra 10 000 formations numériques puisque le secteur cherche 80 000 personnes et 10 000 formations aux métiers verts, qui se développent à toute vitesse. Au travers des PIC régionaux, nous disposerons de nombreux leviers pour travailler sur ces métiers en tension, y compris via le financement de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans toutes les branches qui le souhaitent.

Enfin, le volet de l’assurance chômage sera important, car il importe également que le travail paie mieux. Cela fait partie des mesures annoncées par le Président de la République en début de semaine pour rendre l’emploi plus attractif.

En clair, ce débat aborde un vrai sujet. Il s’agit même d’une question d’intérêt national. L’offre et la demande, cela signifie plus de compétences pour les entreprises et moins de chômage pour les demandeurs d’emploi. Pour ce faire, il importe d’agir sur tous les leviers : la connaissance des métiers, l’incitation au travail, la reconnaissance des métiers et la formation massive pour tirer vers le haut l’ensemble des compétences. C’est ce à quoi nous nous sommes attelés avec votre concours.

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