Notre mission récente à l'ONU, du 26 au 29 novembre, a été l'occasion d'une immersion passionnante au coeur de la gestion des grands dossiers internationaux, avec un point particulier que nous avions demandé sur les crises africaines.
Les 14 opérations de maintien de la paix (OMP) de l'ONU représentent un effectif de 100 000 personnes déployées et un budget de 6,7 milliards de dollars, en baisse de 20 % en trois ans. Sept de ces 14 OMP se déroulent en Afrique, dont trois en régions francophones, avec une « plume », c'est-à-dire un secrétariat français : la Minusma au Mali, la Monusco en République démocratique du Congo (RDC) et la Minusca en République centrafricaine (RCA). Avec la Finul au Liban, également sous « plume » française, ces opérations représentent les deux tiers des effectifs et du budget des opérations de maintien de la paix.
Les OMP ont théoriquement pour objet d'appuyer un processus politique. Or en Afrique, il n'y a souvent pas de paix à maintenir. Au Mali et en RCA, les OMP permettent probablement d'éviter un effondrement complet des États. La situation est plus complexe en RDC, où la mission des Nations unies est actuellement confrontée au groupe islamiste ADF (Allied democratic forces) dont les actions entravent la lutte contre l'épidémie d'Ebola. En Côte d'Ivoire et au Libéria, où des OMP ont récemment été closes, les risques de soubresauts ne sont pas totalement à écarter.
L'effondrement de l'État libyen continue à produire ses effets, avec une dissémination des crises notamment aux frontières des États du Sahel, où les foyers d'instabilité sont nombreux, et s'accompagnent de graves crises humanitaires. C'est notamment le cas dans la région du Lac Tchad. Dans ce contexte, l'opération Barkhane et la mise en place de la force conjointe du G5 Sahel sont unanimement salués.
Mais les opérations de maintien de la paix, doivent, à l'évidence, être rendues plus efficaces et plus robustes. Plus efficaces, d'abord : c'est la première orientation et l'un des axes forts de la réforme du pilier « paix et sécurité » de l'ONU, qui vise à renforcer le traitement politique des conflits, et à mieux former, accompagner et contrôler les unités déployées, pour remédier à la sous-performance opérationnelle des contingents. Au Mali, par exemple, 70 % de l'effectif de la Minusma - 15 000 personnes au total - serait affecté à l'auto-protection de la force. J'ai pu me rendre compte, lors de mon déplacement en Centrafrique avec Daniel Reiner et Jacques Gautier en 2016 dans le cadre de notre rapport sur le bilan des opérations extérieures, à quel point la protection était précaire.
La France s'est fortement engagée en faveur de la réforme des OMP, préparée et mise en oeuvre par le Département des opérations de maintien de la paix que dirige notre compatriote Jean-Pierre Lacroix. La fermeture des missions en Côte d'Ivoire et au Libéria, la baisse des effectifs au Darfour allègent les besoins en effectifs et permettent d'être plus exigeants à l'égard des pays contributeurs de troupes et plus sélectifs sur les choix des contingents et de leur encadrement. Le nombre de pays contribuant par intérêt financier a diminué, en raison de la non-réévaluation des indemnités versées aux pays contributeurs : ainsi, le Brésil et l'Inde sont désormais contributeurs nets ; le Bangladesh est tout juste à l'équilibre.
Seconde priorité soutenue par la France, des OMP plus robustes pour des opérations plus offensives. L'objectif est de permettre un cofinancement par l'Union africaine et l'ONU de ces opérations d'imposition de la paix, sous mandat conjoint de ces deux organisations. L'Union africaine contribuerait à hauteur de 25 %, le reste étant financé par l'ONU sur contributions obligatoires.
Nos partenaires africains sont très favorables à cette initiative, qui pourrait venir conforter l'action du G5 Sahel, dont les effectifs n'équivalent aujourd'hui qu'à un tiers de ceux de la Minusma.
Les États-Unis ont toutefois de fortes réserves, estimant que les forces africaines de paix doivent être financées sur contributions volontaires et non obligatoires. Le financement par l'ONU, et donc par le contribuable américain, de forces qui ne dépendent pas des Nations unies et n'en respectent pas les standards leur pose un problème de principe.
Si la remise en cause du multilatéralisme est préoccupante, la position des États-Unis pourrait, paradoxalement, jouer en faveur d'OMP plus performantes dans des régions cruciales pour la sécurité de l'Europe. C'est en ce sens qu'il faut essayer de faire pencher la balance pour limiter les effets négatifs du désengagement américain. Pour l'essentiel, les conclusions de notre rapport de 2016 ont été confirmées par les faits.