J'aborderai pour ma part le rôle de la Russie et de la Chine aux Nations unies.
Le Conseil de sécurité reste marqué par la division historique entre, d'un côté le « P3 » - les États-Unis, le Royaume-Uni et la France -, et de l'autre, la Russie et la Chine.
La Russie est le pays le plus isolé. Elle exerce régulièrement son droit de veto, bloquant ainsi l'action des Nations unies en Syrie. Les années 2017 et 2018 ont été marquées par une série pesante de six vetos sur la question chimique syrienne. Depuis 2011, la Russie a exercé son droit de veto à douze reprises au sujet de la Syrie, en raison d'un soutien indéfectible au régime de Bachar el Assad. On peut donc parler d'obstruction au fonctionnement du Conseil de sécurité. En février 2018, la Russie a également mis son veto à un projet de résolution sur le Yémen, par solidarité avec l'Iran, en dépit d'une situation humanitaire dramatique.
La Russie s'oppose actuellement, avec l'Iran, à la composition de la liste d'experts proposée pour le comité constitutionnel syrien par l'envoyé spécial Staffan de Mistura, qui a démissionné. Elle souhaite par ailleurs que son rôle soit reconnu en République centrafricaine (RCA), ce qui complique les négociations pour le renouvellement du mandat de la Minusca.
Sur l'Ukraine, les Russes estiment que leurs positions ne sont pas rapportées de façon objective par les Occidentaux. L'incident survenu dans le détroit de Kertch serait, selon eux, le résultat d'une « provocation ukrainienne ». Le droit de veto russe interdit toute action du Conseil de sécurité sur l'Ukraine.
La Russie fait preuve à certains moments d'un légalisme pointilleux, interprétant la charte des Nations unies et le principe de souveraineté de façon très stricte, tout en contredisant, à d'autres moments, cette approche. Dans ce contexte difficile, il faut saluer la position de fermeté et de dialogue de la France, destinée à maintenir le dialogue avec la Russie et à permettre au Conseil de sécurité de fonctionner.
Si l'opposition entre États-Unis et Russie persiste, chacun perçoit toutefois que l'affrontement structurant de demain, entre les États-Unis et la Chine, est déjà en place.
La Chine s'investit de façon croissante dans le multilatéralisme, profitant du retrait américain. Elle accroît sa présence dans les opérations de maintien de la paix (OMP), avec 2 600 personnes déployées, ce qui en fait le premier contributeur parmi les membres permanents du Conseil de sécurité. En 2016, la Chine est passée de sixième à deuxième contributeur financier aux OMP. Cette présence importante permet à la Chine de se positionner en Afrique. Elle est par ailleurs un acteur engagé sur le changement climatique et sur les questions de développement, et soutient les réformes du Secrétaire général.
La Chine peut donc être un partenaire constructif, mais elle reste très attachée au principe de souveraineté, de consensus, et au droit de veto, s'opposant à l'initiative française d'encadrer le droit de veto en cas d'atrocité de masse. La Chine utilise d'ailleurs plus fréquemment que naguère ce droit de veto, à chaque fois avec la Russie, notamment sur la Syrie. Pékin tend toutefois à se dissocier de Moscou sur certains dossiers, dont celui l'Ukraine.
Bien qu'elle soutienne le principe d'une réforme du Conseil de sécurité, la Chine refuse de façon latente l'élargissement à de nouveaux membres permanents, craignant de voir arriver le Japon et l'Inde.
L'ONU est, pour la puissance chinoise, un détour vers sa propre affirmation et vers la promotion d'un modèle alternatif de multilatéralisme. La Chine est à l'origine de plusieurs institutions financières à vocation multilatérale (Banque des Brics, Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures). Elle cherche à diffuser ses propres concepts. Très concrètement, à l'ONU, la Chine tend à introduire dans les résolutions une terminologie mettant l'accent davantage sur les relations interétatiques, la souveraineté, les rapports de force, au détriment des références aux droits de l'homme, qui sont centrales dans le système multilatéral actuel.
Le dialogue entre membres permanents du Conseil de sécurité est donc âpre, très vif ; notre ambassadeur, François Delattre, nous en a expliqué toute la difficulté, mais ce dialogue est nécessaire et, pour qu'il ait lieu, la France doit conserver son rôle historique de pays pivot, susceptible de faire émerger des consensus.