Intervention de Ronan Le Gleut

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 12 décembre 2018 à 10h00
Situation en ukraine et en particulier sur les incidents dans le détroit de kertch — Audition de s.e. M. Oleg Shamshur ambassadeur d'ukraine

Photo de Ronan Le GleutRonan Le Gleut, rapporteur :

Nous avons pris connaissance, pendant notre déplacement à l'ONU, de la déclaration du vice-chancelier et ministre allemand des finances, le social-démocrate Olaf Scholz, suggérant que la France renonce à son siège de membre permanent au Conseil de sécurité en faveur de l'Union européenne. Il y a malheureusement fort à parier que cette déclaration ne soit pas à prendre à la légère, puisqu'elle vient après une prise de position de la chancelière en faveur d'une européanisation des sièges non permanents, et après plusieurs déclarations similaires du représentant permanent allemand à l'ONU.

Cette déclaration nous a paru d'autant plus choquante et déplacée que, la veille, la France s'était exprimée au Conseil de sécurité sur l'Ukraine, en son nom propre et au nom de l'Allemagne. La France soutient l'entrée de l'Allemagne comme membre permanent du Conseil de sécurité et, plus largement, la demande du G4 - Allemagne, Brésil, Inde, Japon - en faveur d'une augmentation du nombre d'États présents au Conseil de sécurité dans les deux catégories : d'une part, les membres permanents, c'est-à-dire aujourd'hui le « P5 » - États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni - et, d'autre part, les membres élus par l'Assemblée générale pour deux ans, renouvelés par moitié tous les ans, au nombre de dix. Par ailleurs, les deux représentations permanentes préparent actuellement l'entrée de l'Allemagne comme membre non permanent du Conseil de sécurité, élu pour deux ans, à compter du 1er janvier 2019.

La déclaration allemande rompt donc la confiance nécessaire, alors que la présence conjointe de la France et de l'Allemagne au Conseil de sécurité, et leurs présidences successives en mars et avril prochains, constituent une opportunité pour faire avancer des positions communes. Cette déclaration dessert bien sûr les intérêts de la France, qui joue un rôle de premier plan à l'ONU.

Ce déplacement nous a permis de percevoir concrètement quel était ce rôle. Le siège permanent est pour nous un facteur de puissance et de rayonnement. Aucune autre puissance ne peut jouer le rôle, que nous assumons aujourd'hui, de trait d'union entre les nations, et certainement pas l'Union européenne, qui, en l'état, n'est pas dotée d'une politique extérieure commune.

Ce ne sont pas seulement les intérêts de la France que la déclaration du vice-chancelier dessert, ce sont aussi ceux de l'Allemagne et de l'Union européenne. L'Allemagne, tout d'abord, aurait intérêt à promouvoir sa propre entrée au Conseil de sécurité. L'Union européenne, ensuite, est bien mieux représentée avec actuellement cinq sièges sur quinze qu'avec un seul siège au Conseil de sécurité ; peut-on croire sérieusement que nous serions plus forts avec un siège sur quinze, voire, demain, sur vingt ou sur vingt-cinq ?

L'européanisation des sièges poserait, enfin, de graves questions juridiques car l'ONU est une organisation de cent quatre-vingt-treize États et l'Union européenne n'est pas un État ni une Nation. Ce serait une transformation de ce que sont les Nations unies.

Les prises de position, telles que celle de M. Scholz, nous fragilisent car elles tendent à délégitimer notre capacité à nous exprimer souverainement au Conseil de sécurité. Après le Brexit, nous serons le seul représentant permanent de l'Union européenne au Conseil de sécurité, ce qui peut avoir des effets paradoxaux en renforçant notre poids, alors que le Royaume-Uni verra son influence diminuer, mais aussi, en suscitant de la part de nos partenaires européens des pressions croissantes pour que nous tenions compte de leurs positions, voire pour que nous nous exprimions en leur nom.

Face à ce risque, nous devons absolument continuer à soutenir la seule réforme du Conseil de sécurité qui soit conforme à nos intérêts et à ceux de l'Union européenne, mais, pour rester influente à l'ONU, il faut aussi que la France tienne son rang. Plusieurs de nos interlocuteurs nous ont alertés sur des contributions financières décroissantes de la France, qui fragilisent nos positions.

Certes, la diminution de notre quote-part au budget des opérations de maintien de la paix, dont nous sommes actuellement le cinquième contributeur, est automatique - de 6,3 % à 5,7 %, mais surtout, certaines de nos contributions volontaires sont en chute libre. Ainsi, s'agissant du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), notre contribution a baissé de 70 % en dix ans. Nous sommes le trentième contributeur à ce programme, tandis que le Royaume-Uni est troisième et l'Allemagne septième.

Quant au Fonds pour la consolidation de la Paix, il est orphelin de la France, nous ont indiqué ses responsables. La France en est le vingt-deuxième contributeur avec 300 000 euros en 2017, alors que l'Allemagne devrait verser cette année 40 millions d'euros. Or cet instrument d'accompagnement des processus politiques et de prévention des conflits est essentiel dans l'esprit du Secrétaire général. Ses priorités sont centrées sur l'Afrique et rejoignent largement celles de la France. Nous agissons évidemment par ailleurs, dans d'autres cadres, mais il faut être conscient que certains choix fragilisent nos positions à l'ONU.

Il est nécessaire d'être présent dans les domaines clefs ; c'est ce que nous avons fait en augmentant récemment notre contribution à l'Agence de secours aux réfugiés palestiniens (UNRWA), pour répondre au désengagement américain.

Nous sommes également préoccupés par les moyens humains de notre représentation permanente à New York, qui sont manifestement insuffisants. Ces moyens sont inférieurs à ceux de nos partenaires ; les équipes sont extrêmement sollicitées et sous tension permanente. La diplomatie reposant avant tout sur les personnes qui l'exercent, cette situation crée un risque de décrochage supplémentaire.

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